Toutefois, par ses calculs, Serge Lessard conclut que cet argument ne tient pas la route dans le cas de l’entrepreneur dont la société de gestion a accumulé des placements importants tout en se rémunérant habituellement par salaire et qui désire se verser à lui-même le rendement provenant des placements de la société. «  Oui, si tu versais 1  $ en dividende au propriétaire, il ne lui en restait que 0,60  $. Mais on oubliait de tenir compte du remboursement à titre de dividendes  », explique le fiscaliste. Ce remboursement, qui compense l’impôt déjà payé par la société sur les dividendes, s’élevait à 33,33  % (et s’élève à 38,33% en 2016).

«  Donc, la société pouvait verser 1,50  $ au lieu de 1  $, puisque le tiers du versement lui était remboursé . » L’actionnaire recevait donc 1,50  $ pour un coût de 1  $ pour la société. L’actionnaire payait 35,22  % d’impôt sur le 1,50  $ reçu, soit un revenu net d’impôt de 0,97  $. Dans le cas des intérêts et sur la partie imposable des gains en capital, le revenu net d’impôt s’élevait plutôt à 0,90  $.

C’est donc dire que le coût d’impôt pour sortir le rendement de la société de gestion si l’on tenait compte du remboursement que touchait la société de gestion ne s’élevait qu’à environ 3  % pour les dividendes déterminés et environ à 10  % pour les intérêts et les gains en capital imposables, et non à 40  %, comme on le prétendait alors. Serge Lessard tient à préciser cependant que son analyse vise principalement les entrepreneurs qui se retrouvent à la phase de décaissement avec plusieurs dizaines ou centaines de milliers, voire plus, de placements accumulés dans une société de gestion et un solde IMRTD substantiel.

Taux d’imposition négatif

Maître Lessard pousse son analyse iconoclaste encore plus loin. En effet lors de la conférence, il a donné l’exemple d’un entrepreneur qui aurait un taux plus bas que le taux maximal, disons 25  %. Il prétendait alors que cet entrepreneur pouvait avoir un coût nul ou même gagner au change.

Le fiscaliste a illustré sa thèse avec un dividende de 1,50  $ pour lequel la société recevait un remboursement à titre de dividende de 0,50  $ pour un coût de 1  $. L’actionnaire, lui, recevait un dividende de 1,50  $ sur lequel il s’acquittait d’un impôt de 25  %, soit 0,38  $. Il lui restait 1,50  $ moins 0,38  $, soit 1,12  $. Tout cela pour une sortie de fonds dans l’entreprise de 1  $. En fin de compte, l’actionnaire était donc gagnant de 0,12  $ !

Le fiscaliste Francys Brown précise toutefois que l’on additionne ici des sommes d’argent que touchera l’actionnaire et un remboursement d’impôt qui sera versé, lui, à la société. « Pour quantifier les économies, vous devriez ramener le remboursement au niveau personnel. C’est ce qu’on appelle le principe d’intégration », explique l’associé chez Demers Beaulne. Selon les données qu’il a fournies à Finance et Investissement, la charge d’impôt supplémentaire du fait de recourir à une société s’élevait en 2015 à 1,8 % sur un revenu de placement versé par une société à son actionnaire du Québec, assujetti au taux maximum. Pour les gains en capital, cet impôt supplémentaire s’élève à 0,9 %, sur un revenu d’entreprise exploitée activement admissible à la déduction pour petite entreprise, de 1,3 %, et pour un revenu d’entreprise exploitée activement non admissible à la déduction pour petite entreprise, de 2,7 %.

Possibilité de report de l’impôt

Les données fournies par Francys Brown soulignent cependant l’avantage de conserver les revenus de placement dans la société. En effet, le taux marginal maximum d’un contribuable québécois était de 49,97 % en 2015 par rapport à un taux de 46,57 % pour les revenus de placement gagnés par l’intermédiaire d’une société, d’où un report d’impôt de 3,4 %. Dans sa chronique Fiscalité financière du 4 janvier dernier (http://www.finance-investissement.com/zone-experts/quelques-mises-a-jour-fiscales/a/61959), le fiscaliste faisait cependant remarquer que cet avantage diminuerait quelque peu cette année. « Le taux d’imposition combiné d’une société passera à 50,57 %, alors que le taux marginal d’imposition le plus élevé d’un individu passera à 53,31 % », mentionnait-il alors.

Encore mieux cette année !

Si l’avantage de reporter les impôts sur les revenus de placement conservés au sein de la société a légèrement diminué cette année, ce n’est pas le cas lors de la distribution de ceux-ci. En effet, Me Lessard revient à la charge en 2016 dans la foulée de l’augmentation du taux d’imposition le plus élevé décrétée par le nouveau gouvernement fédéral. Et ses conclusions étonnent. D’autant plus que ces modifications d’impôt visent à accroître le fardeau fiscal des contribuables les mieux nantis.

En effet, le remboursement est passé de 33,33  % à 38,33  %, tandis que le taux d’imposition pour un contribuable qui se situe dans la fourchette de revenus inclus entre 140 000 et 200 000  $ a vu son taux marginal sur les dividendes déterminés maintenu à 35,22  % (rappelons que le taux maximal qui était de 35,22  $ ne s’est accru que pour les revenus supérieurs à 200 000  $, et non pour ceux se trouvant entre 140 000 et 200 000  $).
On se retrouve dans la situation suivante  : la société recevra un remboursement de 38,33  % sur chaque dollar versé, tandis que l’actionnaire ne payera que 35,22  %.

Ainsi, la société pourra verser un dividende déterminé de 1,62  $ pour un coût de 1  $ (1,62  $ moins le crédit de 38,33  %, ou 0,62  $). Sur ce dividende de 1,62 $, l’actionnaire ne payera que 35,22  % pour un revenu net de 1,05. Donc, au risque de se répéter, un revenu net de 1,05  $ pour l’actionnaire par rapport à une sortie de fonds de 1  $ pour la société !

Pour l’actionnaire encore mieux nanti (plus de 200 000  $ de revenus imposables), la situation est un peu moins avantageuse, mais à peine.

En effet, pour une sortie de fonds de 1  $ pour la société, il recevra 1,62  $ sur lequel il paiera 39,83  %, soit 0,65  $ d’impôt pour un revenu net de 0,97  $. Soit à peine 0,03  $ d’impôt net (0,65  $ qu’il a versé, moins le remboursement obtenu par sa société de 0,62  $).

Ce qui fait dire à Serge Lessard : «  Auparavant, on disait au client de ne sortir de l’argent de sa société que s’il en avait besoin. Ce n’est pas forcément le cas. Parfois, on lui recommandera de sortir des sommes, même si son salaire ou ses autres revenus lui permettent de maintenir son niveau de vie. Cela dépend de son solde IMRTD.  ». Lors de la conférence, il s’est amusé à suggérer qu’il pouvait parfois être judicieux de recommander à un client qui voulait s’acheter un yacht de se verser un généreux dividende pour ce faire. Quitte à réemprunter pour racheter le placement de façon à rendre les intérêts déductibles.

Quant au fiscaliste Luc Lacombe, de Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT), il fait remarquer que cet avantage ne s’observe que sur les revenus ayant déjà fait l’objet du taux maximal d’imposition entre les mains de la société. « L’impôt en main remboursable auquel fait référence votre analyse ne s’applique que si la société a payé le taux maximum d’imposition, soit 46,57 % l’an passé et 50,57 % cette année. C’est dans ce cadre que le crédit d’impôt intervient. C’est alors que c’est intéressant », souligne-t-il.

L’avantage décrit par Serge Lessard viserait donc principalement les revenus gagnés par la société qui ne bénéficieraient pas de la déduction pour petites entreprises et qui seraient versés sous la forme de dividendes déterminés. Les sociétés touchant des revenus d’entreprises exploitées activement et celles jouissant de la déduction pour petites entreprises ne gagneraient donc pas nécessairement au change.

Le fiscaliste explique que le crédit pour impôt en main au titre de dividendes ne fait que compenser le fait que la société a déjà assumé un fort taux d’imposition et évite ainsi que les revenus gagnés par la société ne soient imposés deux fois, soit entre les mains de la société et entre celles de l’actionnaire. « Il est donc normal que l’écart soit alors très faible ou légèrement négatif », précise-t-il. « On parle dans notre jargon de taux effectif, soit le taux combiné payé par la société et par l’actionnaire. Cette année, pour un contribuable au taux maximal, le versement d’un dividende déterminé devrait entraîner un impôt net d’environ -2 % », ajoute Luc Lacombe.

Cet article a fait l’objet d’une mise à jour le 3 octobre 2016.