La fiscalité québécoise passée à la loupe

En effet, au lieu de renforcer le lien de confiance, la divulgation entraînerait une perte de confiance chez le client, selon Sunita Sah, assistant professeure d’économie et d’éthique à l’Université Georgetown.

De plus, le client qui est informé du conflit d’intérêts de son conseiller se sentirait souvent davantage tenu de suivre ses recommandations, aussi nuisibles soient-elles.

Ainsi, la divulgation deviendrait un fardeau pour ceux qu’elle est censée protéger.

Ce sont là les conclusions d’une étude expérimentale publiée par Sunita Sah et deux de ses collègues en 2013.

Poussés à faire le mauvais choix

L’expérience rapportée dans l’étude mettait des sujets en situation de gagner certains prix dans un jeu de hasard. La valeur des récompenses variait de 1 à 50 $.

Ces personnes devaient choisir entre deux jeux de dés, dont un leur donnait la chance de remporter des prix d’une valeur supérieure. Pour ce faire, elles étaient conseillées par d’autres individus qui étaient récompensés si la personne choisissait le jeu le moins attrayant. L’un des groupes de conseillers devait divulguer cette situation de conflit d’intérêts, et l’autre non.

Les chercheurs ont découvert que la divulgation augmentait sensiblement le nombre de personnes qui se conformaient au «mauvais avis» du conseiller.

En entrevue, Sunita Sah précise que d’autres études du même type tendent à démontrer que la valeur de la récompense monétaire ne change pas les comportements de façon marquée.

Des conseils plus biaisés

Neil Gross, directeur général de la Fondation pour l’avancement des droits des investisseurs (FAIR Canada), est parfaitement d’accord avec les conclusions de la chercheuse. Sunita Sah a d’ailleurs été reçue par l’organisme l’automne dernier et a prononcé une conférence à Toronto.

« Même dans la vraie vie, ces conclusions ont beaucoup de sens. Elles s’accordent avec ce que j’ai vu dans la pratique au fil des ans », soutient Neil Gross.

Selon lui, d’autres recherches ont aussi montré que la divulgation d’un conflit d’intérêts avait parfois pour effet d’influencer encore plus les conseils donnés.

« Étant donné que le conflit d’intérêts a été divulgué, le conseiller peut se sentir plus libre de laisser libre cours à ses biais », affirme-t-il.

Neil Gross avance aussi que la divulgation pourrait avoir pour effet d’accroître la confiance des clients. Un client se sentirait ainsi rassuré quant à la probité générale du conseiller qui l’informe du fait qu’il est en situation de conflit d’intérêts.

Sunita Sah ne souscrit pas à cette dernière conclusion. Elle ne connaît pas d’étude qui démontre une telle chose et souligne que la divulgation et ses effets sont souvent mal communiqués.

Doutes sérieux (suite p. 2)

Photo : Stock Exchange

Michel Mailloux, fondateur de Mayhews et associés, une firme spécialisée en déontologie et conformité, est sceptique quant aux résultats de l’étude.

«Je suis très surpris. J’ai encore bien des doutes. Dans la réalité, je ne suis pas sûr que ça se passe comme ça», affirme-t-il après avoir «lu et relu» l’étude en question.

Michel Mailloux a de la difficulté à comprendre les motivations qui mèneraient les clients à prendre de mauvaises décisions simplement pour, en quelque sorte, ne pas décevoir leur conseiller. «Cela va contre l’entendement», dit-il.

Solutions opposées

Pour Neil Gross, les résultats de cette étude soulèvent de sérieuses questions.

« C’est très problématique qu’il y ait des clients qui ne veuillent pas nuire à la relation avec leur conseiller. »

La position de FAIR Canada ? Il serait préférable d’éliminer les situations de conflit d’intérêts plutôt que de recourir à des palliatifs comme la divulgation.

« Nous ne croyons pas que la divulgation ait jamais été une solution. Même informés du conflit d’intérêts, les clients ont souvent de la difficulté à comprendre le problème soulevé par le modèle d’entreprise que suivent les conseillers », affirme Neil Gross.

« La divulgation est une manière imparfaite de régler le problème », ajoute-t-il.

Un bon début serait d’éliminer les commissions intégrées dans les fonds communs, dit-il.

Sunita Sah suggère quant à elle de procéder à la divulgation en amont, avant que la relation ne soit établie avec le conseiller.

« Ce serait encore mieux qu’un client ait la possibilité de choisir, à l’aide d’un site Internet de divulgation publique, un conseiller qui ne soit pas en conflit d’intérêts », précise-t-elle.

Là encore, Michel Mailloux est plutôt perplexe. « C’est un beau monde en théorie », laisse-t-il tomber.

Il croit plutôt qu’il faut établir le même «terrain de jeu» pour tous.

« Ce qui est important, c’est qu’on ait les mêmes règles pour tout le monde, tant pour les conseillers indépendants que pour le personnel d’institutions financières », précise-t-il.

Ces derniers ont intérêt à ce que leurs clients achètent certains produits, note-t-il. « Comment paye-t-on les conseillers, ça, c’est un choix de société. Mais pour ma part, du moment qu’on divulgue le conflit d’intérêts, je suis à l’aise avec ça », conclut-il.

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