CIBC et CSF: pas de deux poids, deux mesures

En ordonnant à la CIBC et à sa filiale Placements CIBC de transmettre à la syndique de la Chambre de la sécurité financière (CSF) les documents et informations qu’elle estime essentiels à ses enquêtes, la Cour supérieure du Québec confirme le rôle de la syndique dans la protection du public ainsi que les pouvoirs d’enquête inhérents à sa fonction.

La position du juge Louis Lacoursière est très claire, soutient Maxime Gauthier au sujet du jugement rendu le 4 mai dernier par la Cour supérieure du Québec sur l’étendue des pouvoirs d’enquête de la syndique de la CSF.

« Le juge a pris la peine d’expliquer la prétention de chacune des parties et les bases sur lesquelles reposait son raisonnement. Sa démarche et l’analyse de l’argument des parties sont très bien expliquées. Il s’agit d’un jugement qui est très bien écrit et même facile à comprendre pour quelqu’un qui n’est pas versé dans ce genre de lecture », mentionne Maxime Gauthier.

Dans son jugement, le juge Louis Lacoursière précise qu’il « serait insensé, voire absurde, que le législateur ait prévu que le syndic nommé en vertu de la LDPSF (Loi sur la distribution de produits et services financiers) puisse jouer son rôle de dénonciateur sans l’avoir pourvu des moyens d’enquêter et d’obtenir les informations pertinentes pour décider s’il y a lieu ou non de porter plainte. »

Rappelons que le litige tire sa source dans le refus de la CIBC de donner accès à la syndique de la CSF à des documents et des informations liés aux congédiements de neuf représentants en épargne collective alors à son emploi et survenus entre le 30 octobre 2009 et le 5 janvier 2012. Selon la CIBC, les fautes ayant mené au congédiement de ces employés auraient été commises dans le cadre d’activités bancaires au détail et non de représentant en épargne collective.

La syndique de la CSF exigeait un accès à ces documents et informations afin de pouvoir évaluer si des accusations à l’encontre des neuf représentants en épargne collective devaient être déposées au comité de discipline de la CSF. Face au refus de la CIBC, la CSF à déposer contre elle et sa filiale, Placements CIBC, une requête introductive d’instance en injonction permanente.

« Les scandales financiers des dernières années ont ébranlé la confiance du public. Pour la CSF, ce jugement est fondamental puisqu’il confirme les pouvoirs requis pour que la CSF puisse jouer pleinement son rôle de protection du public, souligne Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction par intérim de la CSF. Cette décision reconnaît clairement la capacité d’agir de la syndique en matière de protection des investisseurs et rassure le public puisqu’elle confirme qu’au Québec, la CSF a des pouvoirs de surveillance et d’enquête efficaces. »

Rappelant à quel point la sensibilité est grande au Québec face aux enjeux de juridiction, Louis Morisset, le président-directeur général de l’Autorité des marchés financiers (AMF), considère le jugement « intéressant sous le front de la juridiction », bien qu’il n’en avait pas encore pris connaissance en détail au moment de sa conversation avec Finance et Investissement.

« Des décisions qui affirment la juridiction québécoise, je vois toujours ça d’un très bon oeil », avance-t-il notamment.

Appelée à commenter la décision rendue par la Cour supérieure, l’Association des banquiers canadiens (ABC) a répondu par courriel à Finance et Investissement qu’elle « n’est pas impliquée dans ce litige et n’émettra pas de commentaires. »

Tous égaux

« Ce jugement vient confirmer qu’il n’y a pas deux classes de courtiers en matière de réglementation disciplinaire et que nous jouons tous dans un même carré de sable. Que tu sois la filiale d’une banque ou un courtier indépendant, la syndique a le droit de faire son travail et il n’y a pas d’avantages compétitifs pouvant être tirés d’une banque. Du point de vue de l’industrie, je trouve cette position très rassurante », dit-il.

Relativement à la dualité juridique entre CIBC et sa filiale Placements CIBC, invoquée par l’institution financière lors des procédures juridiques, le Tribunal conclut effectivement que celle-ci « n’est ni plus ni moins qu’un simple véhicule, nécessaire pour que soient respectées les obligations réglementaires, dont celle de l’inscription. Elle n’a pas d’employé. Tous les RCEC (représentants de courtier en épargne collective) sont embauchés et congédiés par la Banque. »

D’après le juge Louis Lacoursière, il est très difficile, en pratique, de ne pas confondre les activités de CIBC et de sa filiale Placements CIBC. « Ce portrait suffit à peine à convaincre que (Placements CIBC) soit, dans les faits plutôt qu’en théorie, une entité distincte de la Banque », écrit-il.

Pour Maxime Gauthier, il ne pouvait en aller autrement.

« Ils se sont enfermés dans un prisme d’analyse qui leur était propre sans se questionner sur la volonté du législateur et sur l’état réel de la réglementation. Lorsque tu te crées un monde artificiel, tu ne peux pas te surprendre quand quelqu’un de l’extérieur vient te rappeler à la réalité », analyse-t-il.

Pas d’appel en vue

Selon lui, le jugement de la Cour supérieure ne prête pas flanc à un appel qui aurait beaucoup de force. « Tous les arguments invoqués par la banque ont été démontés par le juge et ont été invalidés. »

« J’ai beaucoup de difficulté à voir sur quel motif un appel pourrait être logé et j’ai encore plus de difficulté à voir comment la Cour d’appel du Québec pourrait accueillir un pourvoi qui renverserait ce jugement », signale Maxime Gauthier.

Il demeure difficile à ce moment de présumer de la position de la CIBC sur les suites du dossier.

« L’objectif de la CIBC dans cette affaire a toujours été de savoir avec certitude quelles sont les informations qu’elle peut légalement fournir à la CSF sans empiéter sur le droit à la vie privée de ses clients bancaires qui ne transigent pas de valeurs mobilières par son entremise, tout en ne portant pas atteinte au droit à la vie privée de ses anciens employés », explique Kevin Dove, le chef des communications externes et des relations avec les médias de CIBC, rejoints par Finance et Investissement.

Il confirme du même souffle que CIBC analyse la décision « afin de voir si nous devons obtenir davantage de clarté sur cette question ».

«Il s’agit vraiment d’un débat de réputation. Nous savons que nous sommes dans notre droit, mais le défi en est un de durée», analysait pour sa part Luc Labelle, alors président et chef de la direction de la CSF, lors d’un entretien publié en octobre 2014 dans Finance et Investissement.

 

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