Le transfert de risque favorise la survie des régimes PD
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Dans un entretien avec Finance et Investissement, Benoit Hudon, illustre son propos en évoquant deux transactions dans lesquelles il a été impliqué, soit le contrat de Bell Canada contre le risque de longévité conclu en mars 2015, et la transaction visant à transférer les risques de placement, de longévité et d’inflation, conclue en décembre 2015 et annoncée le 26 janvier 2016. Dans les deux cas, les risques sont assurés par la Financière Sun Life.

Finance et Investissement (FI) : Comment les promoteurs de régime de retraite à prestation déterminés se protègent-ils contre l’augmentation du passif actuariel de leur régime ?

Benoit Hudon (BH) : Face aux risques de voir leur passif actuariel croitre, la grande majorité des promoteurs cherchent à transférer leurs obligations à une tierce partie (un assureur), de manière à retirer cette charge de leurs états financiers. Traditionnellement, lorsqu’un promoteur choisit de transférer son régime, il achète des rentes et l’obligation de payer les retraités est transférée auprès d’un assureur, qui inscrit cette charge sur ses propres états financiers. Au fil du temps, des produits plus sophistiqués ont été développés afin d’aider les promoteurs à gérer ces risques, même ceux choisissant de conserver leur régime. Plusieurs promoteurs parmi ceux qui maintiennent leur régime pour leurs employés décident néanmoins d’assurer la portion des retraitées afin de diminuer le passif auquel ils font face. Il s’agit d’une stratégie permettant de transférer à l’assureur les risques d’investissement, de taux d’intérêt et de longévité.

(FI) : Quelle tendance observez-vous en matière de transfert de risques ?

(BH) : Historiquement au Canada dans le marché des rentes collectives, jusqu’à 2012, il se faisait annuellement pour environ 1 G$ de dollars de transactions. Mais le désir de transférer les risques et les obligations financières à une tierce partie, à un assureur, s’est accentué. En 2013, le marché a atteint 2 G$, puis 2,5 G$ en 2014. En 2015, la valeur des transactions a triplé. Si l’on considère les transactions de Bell Canada et celle conclue en décembre, cette valeur a atteint 7,5 G$. Il s’agit d’ailleurs d’une tendance mondiale et depuis les huit dernières années, la valeur des transactions a dépassé les 250 G$.

La taille des transactions a aussi enregistré une croissance. Il y a sept ou huit ans, les plus grosses transactions étaient d’une valeur de 50 M$. Chez Mercer l’an dernier, nous avons fait pour plus de 1 G$ de transaction. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir une transaction de 200 M$. Celle-ci conclue en décembre 2015 est de 530 M$.

(FI) : De quelle manière se distinguent les deux récentes transactions ?

(BH) : Bell Canada a assuré l’aspect longévité de ses retraités. C’est une transaction qui couvrait des engagements d’une valeur de 5 G$ de dollars. Bell Canada a donc pris une portion de son passif lié à ses retraités et a souscrit une assurance pour la longévité auprès d’un assureur, soit la Financière Sun Life.

Certains employeurs importants possèdent l’expertise requise pour gérer leur caisse de retraite. Bell Canada, dont les obligations au niveau des régimes de retraite sont de plus de 20 G$ en est un bon exemple et c’est pourquoi la compagnie a simplement choisi de transférer le risque de longévité.

Une transaction comme celle-là ne s’était jamais faite à l’extérieur du Royaume-Uni et il faut s’attendre à ce qu’il y en ait d’autres de cette nature qui soit effectuée par des grandes caisses de retraite au Canada au cours des mois ou des années à venir.

Concernant l’autre transaction, qui est évaluée à 530 M$, il s’agit de la plus importante transaction de l’histoire canadienne impliquant des rentes indexées. Il s’agit également d’une première mondiale, car une transaction de cette nature n’avait jamais été faite jusqu’ici. Sa particularité tient justement au fait que les deux promoteurs impliqués offraient des rentes indexées à leur retraitée, donc des rentes qui étaient dotées d’une protection contre l’inflation. Ces promoteurs étaient toutefois intéressés à transférer ce risque à un assureur.

Il est relativement facile d’acheter des rentes. Par contre, quand vient le temps d’avoir une protection contre l’inflation, les assureurs se montrent plus frileux, car cela rend la facture assez salée. C’est pourquoi le nombre de transactions réalisées au Canada impliquant des rentes indexées se compte sur les doigts d’une main. Nous avions néanmoins, chez Mercer, deux caisses de retraite cliente qui étaient intéressées à acheter des rentes indexées. Nous avons donc étudié leurs caractéristiques et puisque l’indexation visée par les deux régimes se complémentait, nous avons pu les combiner.

Il s’agit néanmoins de deux contrats distincts et il n’y a aucun lien entre les deux régimes. La seule particularité tient au fait que nous devions les transiger la même journée afin que la Financière Sun Life, par l’entremise de cette combinaison, puisse obtenir le niveau de réserve requis pour être conforme aux règles du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF). Les économies engendrées par cette combinaison pour les deux clients de notre firme se calculent en dizaines de millions de dollars.

(FI) : Comment les analystes ont-ils perçu ces transactions ?

(BH) : Les marchés financiers voient ce genre d’innovation d’un très bon oeil. Habituellement, les analystes assimilent tout ce qui concerne les régimes de retraite à prestation déterminée à des mauvaises nouvelles. Alors quand ils voient une entreprise prendre des mesures, gérer des risques et en transférer une portion à une tierce partie, ce sont des démarches que les analystes vont habituellement récompenser dans leur évaluation d’une entreprise.

La transaction conclue en décembre est assez innovatrice, car la combinaison de deux caisses de retraite comme nous l’avons fait n’avait jamais été faite nulle part ailleurs dans le monde. C’est la première transaction de ce type et ce n’est certainement pas la dernière.

(FI) : Est-ce que d’autres types de transactions sont susceptibles d’être observés au Canada dans les prochaines années ?

(BH) : Oui, il faut s’attendre à voir des solutions novatrices émerger. Chaque caisse de retraite a ses enjeux particuliers et les promoteurs n’évoluent pas tous dans le même environnement économique, alors cela risque de mener à la création de solutions uniques pour chacun des promoteurs. Lorsque l’on regarde la situation dans d’autres pays, nous voyons d’ailleurs certains modèles intéressants. Par contre, leur implantation au Canada requerrait certains changements législatifs. Par exemple, la solution retenue dans le cas de Bell Canada est une solution qui a été créée au Royaume-Uni en 2008 et elle a finalement été implantée au Canada sept ans plus tard.

Mercer va par ailleurs lancer en février 2016 une solution grâce à laquelle nous pensons modifier fondamentalement la façon dont les transactions sont réalisées dans le marché canadien. Il s’agira en quelque sorte d’une Bourse en ligne qui mettra en contact les assureurs et les caisses de retraite. Cette solution devrait amener beaucoup plus de transparence et de rapidité dans le marché. Présentement, les transactions peuvent prendre des mois à se réaliser alors que nous sommes d’avis que cela devrait être une question de journées.

Il s’agit d’une solution que nous avons lancée aux États-Unis et au Royaume-Uni en 2015, qui est donc nouvelle et émergente. Elle doit être apprivoisée par le marché, mais nous avons déjà effectués quelques transactions et, tant du côté des assureurs que des promoteurs de régime, je dirais que c’est un grand succès.