Les robots ont-ils perdu la guerre ?
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Andrew Hanff, consultant au bureau montréalais du cabinet-conseil Roland Berger, remarque que la perception des robots-conseillers change également de ce côté-ci de la frontière. «Il y a cinq ans, on croyait que les fintechs allaient tout raser sur leur passage. Les acteurs traditionnels de l’industrie étaient sur la défensive», souligne-t-il.

Michael Kitces ne croit cependant pas que Betterment deviendra pour autant un véritable acteur du conseil financier donné par des humains. Il constate que la nouvelle grille tarifaire du robot américain (dont le nouveau service Premium donne accès à un planificateur financier) repose sur des commissions qui se comparent à celles des principales firmes établies.

Alors, en quoi consiste la stratégie du plus gros robot-conseiller du monde ? «Betterment essaie de se positionner en tant que plateforme technologique supérieure», explique Michael Kitces.

«Finalement, Betterment recevra 25 points de base, quel que soit le service choisi par le client. L’objectif n’est donc plus de conserver les clients, mais d’être la plateforme technologique par laquelle ceux-ci transiteront pour obtenir le niveau de service qu’ils choisiront», conclut Michael Kitces.

En fait, aux États-Unis, les firmes bien établies, comme Charles Schwab avec ses Intelligent Portfolios et Vanguard avec ses Personal Advisor Services, surclassent déjà les principaux robots-conseillers que sont Betterment et Wealthfront. «La question primordiale n’est pas la gestion automatisée des portefeuilles, mais plutôt comment vous y prendre pour convaincre des millions d’investisseurs de vous confier leur argent. Les robots-conseillers survivront s’ils trouvent une réponse à cette question», explique Michael Kitces. Au 30 juin 2016, les robots-conseillers américains ne géraient que 20 G$ d’actif environ, alors que le marché de l’épargne retraite chez nos voisins totalise plus de 24 billions de dollars.

Et le Canada

«L’atteinte de la rentabilité pour les robots-conseillers ou les fintechs a été plus difficile que prévu pour deux raisons. Les grands acteurs traditionnels de l’industrie, dont les institutions financières québécoises, ont plus d’atouts qu’ils ne le pensaient au début. De plus, les consommateurs québécois et canadiens sont plus fidèles à leur institution que les Américains, observe Andrew Hanff. Aux États-Unis, il n’est pas rare qu’ un client ait son compte-chèques, son prêt auto, son hypothèque, ses cartes de crédit, et ses placements dans autant d’institutions différentes. Cette fidélité de la clientèle devient donc une barrière à l’entrée pour les fintechs.»

Andrew Hanff poursuit son argumentaire. «Il est important aussi de regarder la rentabilité des différents segments du marché visés par les robots-conseillers.» Or, c’est au début de la quarantaine que les consommateurs canadiens consacrent la plus grande part de leurs revenus au paiement d’intérêts et autres frais financiers ou bancaires. Ce ne sont donc pas les milléniaux, une clientèle recherchée par les robots-conseillers, qui représentent la part la plus intéressante du gâteau pour l’industrie. «Globalement, la place des acteurs traditionnels demeure donc énorme», poursuit le consultant.

Rapprochement

Selon Andrew Hanff, la décision de Betterment de laisser son modèle uniquement en ligne témoigne d’une prise de conscience par les fintechs et les acteurs traditionnels qu’ils ont peut-être intérêt à cesser d’être comme chien et chat.

Les robots-conseillers ont misé jusqu’à maintenant sur une offre à bas coût, car c’est la clientèle que les grandes institutions avaient délaissée. Maintenant, les banques se rendent compte qu’avec des investissements et des partenariats avec des fintechs, elles peuvent servir cette clientèle. Les fintechs permettent aux institutions financières d’accéder à de nouvelles fonctionnalités et à des manières de faire qui permettront d’accroître l’efficacité de leurs opérations. De plus, les fintechs leur permettront aussi d’accéder à de nouveaux créneaux, par exemple les milléniaux. «Le défi est d’inclure les fintechs à votre proposition de valeur», rappelle-t-il. Les investissements récents de la Banque Nationale dans Nest Wealth et de la Financière Power dans Wealthsimple semblent lui donner raison.

Andrew Hanff souligne que certaines institutions ont même créé des fonds internes de capital de risque pour cibler les investissements qui permettront de mettre la main sur de nouvelles façons de faire et de nouvelles technologies. Il constate également que les robots-conseillers ne représentent pas la seule technologie séduisante pour l’industrie. «Le lien est peut-être plus direct entre les robots-conseillers et, disons, la gestion de patrimoine, mais d’autres secteurs de l’industrie, comme l’assurance, pourraient être intéressés par d’autres technologies», ajoute-t-il.

Pourquoi les fintechs ?

Andrew Hanff soulève que les ventes croisées de produits financiers entre une institution et sa plateforme de négociation directe sont inférieures à 10 %. Alors, pourquoi ne pas laisser cette clientèle aux fintechs ? «Premièrement, parce que tout ce qui augmente le taux de rétention de la clientèle est positif. Deuxièmement, il ne faut pas s’arrêter seulement aux robots-conseillers qui ne fournissent finalement qu’un service assez simple de répartition d’actifs fondé sur la gestion passive. On peut déjà envisager des services qui auront recours à l’intelligence artificielle pour constituer non seulement des portefeuilles de fonds négociés en Bourse reposant sur la gestion passive, mais également des portefeuilles à gestion active. Le prochain chapitre en matière d’intégration de l’offre actuelle des institutions traditionnelles et des fintechs sera le recours à l’intelligence artificielle afin de rechercher l’alpha. Cela pourrait plaire à une clientèle encore plus large, et non seulement celle des robots-conseillers», évalue le consultant. Il cite également en exemple le recours aux métadonnées (big data) qui pourrait permettre de prévoir quand un client s’apprête à faire appel à un service en particulier, par exemple le recours à des conseils en matière de gestion de patrimoine ou l’achat d’une police d’assurance.

«On peut s’imaginer que la technologie pourra devenir un outil au service du représentant ou du conseiller plutôt que de représenter un concurrent», conclut Andrew Hanff. D’autant plus que les solutions mises en oeuvre par les fintechs pourront également prendre en main de nombreuses activités administratives (back-office, formulaires de connaissance du client, etc.), ce qui allégera la tâche du représentant et lui permettra de se consacrer à la réelle valeur ajoutée qu’il procure aux clients, soit le conseil.