Le monde à l’envers

Les investisseurs se retrouvent dans une position inattendue, comme l’explique Sébastien Vallée, directeur principal, solutions de placement, chez Desjardins Société de placement. Le rôle stabilisateur et protecteur de la partie obligataire d’un portefeuille est ébranlé.

«Les baisses de taux (depuis 2007) ont permis aux obligations de donner aux portefeuilles une bonne performance générale même dans les périodes de baisse boursière, dit Sébastien Vallée. Cette fois, c’est l’inverse.» Aujourd’hui, c’est le marché boursier qui, en quelque sorte, «protège» le portefeuille des baisses obligataires.

Les craintes d’inflation qui n’étaient jamais très loin à la suite des vastes mesures d’assouplissement des politiques monétaires de la Réserve fédérale américaine (Fed) ont été ranimées par les perspectives de déficits budgétaires et de dépenses en infrastructures du président Donald Trump. Et ces craintes ont été amplifiées par la hausse du taux directeur de la Fed en décembre, cette impulsion se confirmant dans une nouvelle hausse le 15 mars.

Tirer son épingle du jeu

Même si le marché obligataire est moins serein, cela ne veut pas dire que les gestionnaires de portefeuille ne disposent pas de moyens de tirer leur épingle du jeu.

D’abord, une hausse des taux accroît les risques de perte dans les portefeuilles obligataires, reconnaissent les gestionnaires à qui nous avons parlé. Ces risques ont toutefois été atténués par les choix de duration des obligations sous gestion.

Par exemple, dans le fonds d’obligations de sociétés en dollars américains Renaissance, la duration moyenne a été ramenée au fil du temps à 6 ans, l’équivalent de la duration des indices auxquels se réfère le portefeuille d’Andrew Kronschnabel, gestionnaire du fonds chez Logan Circle Partners, à Philadelphie.

Il est certain aussi «qu’une montée rapide des taux représenterait un problème pour tout le monde, reconnaît-il. Par contre, une montée lente et graduée ne serait pas nécessairement mauvaise pour les portefeuilles. En fait, ça pourrait s’avérer tolérable». Cela permettrait aux portefeuilles de se déplacer graduellement vers des taux de rendement plus élevés.

Cependant, même si la remontée est graduelle, il n’est pas certain qu’elle se fera sans heurt. «Les interventions des banques centrales pour réduire les taux d’intérêt ont été accompagnées de mouvements brusques. Je ne vois pas pourquoi ce serait différent à la hausse», avertit Richard Beaulieu, vice-président et économiste principal chez Addenda Capital, à Montréal.

Très jeune et noté à un niveau de risque faible, le fonds Renaissance n’a que deux années de parcours, avec un rendement de 5,8 % en 2014 et de -2,8 % en 2015. Andrew Kronschnabel se tient à flot en investissant 95 % de son portefeuille dans les titres de sociétés, dont 20 % dans les titres à rendement élevé (cote inférieure à BBB).

Une position vedette dans son portefeuille tient à l’obligation de 30 ans de Khol’s, un détaillant américain. Il s’agit d’un titre de qualité BBB, mais dont le taux de rendement de 6,5 % est équivalent à un titre de pacotille. Andrew Kronschnabel tire profit de ce qu’il croit être une fausse perception des marchés.

Résister à l’inflation

Le fonds de Desjardins se spécialise, comme son nom l’indique, dans les obligations indexées à l’inflation. Ces titres sont connus aux États-Unis sous l’acronyme TIPS (treasury inflation protected securities), marché où une portion de 60 % du portefeuille est investie. Ces titres portent un coupon inférieur aux bons du Trésor de base, par contre leur valeur nominale augmente au gré de l’inflation (telle qu’affichée par l’indice des prix à la consommation). Si son taux de rendement est vulnérable aux hausses de taux des banques centrales, le portefeuille est par ailleurs protégé contre l’inflation.

Le fonds de Desjardins a recours aux produits financiers dérivés pour gagner un avantage dans les marchés. Environ 20 % de l’actif sous gestion de 442 M $ est constitué de contrats à terme et d’options sur contrats à terme. Ces stratégies visent des objectifs de couverture, mais aussi à profiter des écarts entre les rendements de diverses obligations ou d’indices obligataires.

Le niveau de risque du fonds est quand même considéré faible, tandis que les rendements du portefeuille s’établissent à 3,8 % sur cinq ans. Depuis la création du fonds en 2011, une seule année, 2015, a montré un rendement négatif : – 1,9 %.

Parfum asiatique

Le Fonds d’obligations asiatiques à rendement global Manuvie constitue une autre solution particulièrement attrayante dans le contexte obligataire actuel. «Nous investissons dans plusieurs pays souverains asiatiques entre lesquels les corrélations sont souvent très faibles», avance Endre Pedersen, gestionnaire senior du fonds chez Manulife Asset Management, à Singapour.

On a tendance à agglomérer les pays émergents asiatiques dans un fourre-tout auquel on accole l’étiquette «Asie». C’est une grave méprise, soutient Endre Pedersen. D’abord, des pays comme l’Indonésie, la Chine, l’Inde, la Malaisie et Singapour ont des profils extrêmement diversifiés. Chacun a ses politiques monétaires propres, ce qui réduit considérablement le niveau de corrélation entre plusieurs d’entre eux.

De plus, fait ressortir le portefeuilliste, «nous sommes ici dans le haut de gamme des marchés émergents, où la cote de crédit de plusieurs de ces pays est de la meilleure qualité. Enfin, c’est une zone géographique dont l’importance ne fait plus de doute. De 300 G$ US en 1998, au lendemain de la crise asiatique, son marché obligataire a explosé depuis à 10,7 billions de dollars américains, le troisième du monde en importance après les marchés américain et japonais.

Cette diversité géographique multiplie les possibilité de gain pour Endre Pedersen non pas uniquement avec les titres obligataires, mais en jouant aussi sur les taux d’intérêt des différents pays et sur leurs taux de change. «Pour obtenir des rendements élevés, la plupart des investisseurs se déplacent vers les titres de pacotille, dit Endre Pedersen. Ils feraient mieux d’investir dans des obligations souveraines diversifiées.»

Un exemple entre bon nombre : les obligations d’Indonésie. Le bon du trésor indonésien offre un taux de rendement nominal de 7,5 %, ce qui donne un rendement réel de 3,5 % quand on en retranche l’inflation de 4 %. Et de tels rendements sont associés à un pays dont la situation se solidifie de jour en jour, où le marché de la consommation se déploie constamment et où le gouvernement investit fortement dans les infrastructures et combat vigoureusement l’inflation.

Tout cela fait en sorte que le fonds de Endre Pedersen, très modeste avec un actif de 24 M $ et une note de risque de «faible à moyenne», après un rendement de 9,58 % en 2014 a quand même obtenu 7,63 % en 2015, alors que la majorité des gestionnaires du secteur obligataire essuyaient des pertes.