Incorporation : le débat est relancé
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L’AMF dit avoir réagit à des dénonciations reçues, selon lesquelles des arrangements avaient été mis en place par des sociétés inscrites pour verser une rémunération en valeurs mobilières à un représentant inscrit en la faisant transiter par une société non inscrite, comme un conseiller constitué en société.

«Autrement dit, selon son interprétation de la LVM, l’AMF dit qu’il est interdit à un courtier de partager une commission pour les fonds communs avec un cabinet en assurance de personnes», dit Gino Savard, président de Mica Capital, en entrevue.

Une pratique qui a cours dans l’industrie consiste pour les courtiers à verser une partie de la rémunération en valeurs mobilières de leurs représentants dans une société inscrite en leur nom dans une autre discipline, comme l’assurance de personnes, écrit Gino Savard dans une lettre envoyée en janvier au ministre des Finances Carlos Leitão.

«La Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) ne l’interdit pas, précise Gino Savard. Mais là, l’AMF vient nous dire que c’est illégal».

Une des façons de régler la situation serait de permettre aux conseillers en placement et aux représentants en épargne collective de s’incorporer, ce qui leur est encore interdit au Québec.

Dans sa lettre, le président de Mica demande que la LVM soit révisée afin de permettre aux représentants qu’elle encadre de s’incorporer et de recevoir leur rémunération dans cette société.

«Il s’agit d’un débat tout à fait valable qu’il faudrait régler une bonne fois pour toutes», renchérit Maxime Gauthier, chef de la conformité et représentant en épargne collective chez Mérici Services financiers. «Tout le monde a le droit de s’incorporer, sauf les disciplines de valeurs mobilières. C’est inéquitable et ça crée une distorsion dans le marché», dit-il.

Il croit que le gouvernement du Québec devrait profiter de la révision actuelle de la LDPSF pour permettre l’incorporation et pour modifier du même coup la LVM, deux lois entrelacées qui touchent l’industrie.

Yann Nachabé, attaché politique au cabinet du ministre des Finances, confirme avoir reçu plus d’une lettre en réaction à l’avis de l’AMF, mais ajoute que pour l’instant, il ne s’agit pas d’un enjeu prioritaire. Il invite l’industrie à déposer un mémoire dans le cadre des consultations prébudgétaires si elle veut faire entendre son point de vue.

L’OCRCVM s’en mêle

Les conseillers ne sont pas les seuls à revendiquer un changement dans la réglementation. L’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) suggère aussi qu’on permette le versement direct de commissions à la société par actions personnelle d’un représentant.

Dans un livre blanc publié en fin novembre, l’OCRCVM appelle ses membres à se prononcer sur une série de propositions de changement de règles à cet égard d’ici le 31 mars 2016.

«Le document explore des façons de rendre la réglementation du commerce des valeurs mobilières au Canada plus efficiente en réduisant les chevauchements entre les règles et en harmonisant nos normes et exigences avec celles des autres plateformes de réglementation», a commenté par courriel Claudyne Bienvenu, vice-présidente pour le Québec de l’OCRCVM.

Elle spécifie que le régulateur continuerait de veiller à l’intérêt public en maintenant ou en améliorant les choix offerts aux investisseurs et la protection de ceux-ci.

«Toute règle de l’OCRCVM qui permet le versement direct de commissions devra prévoir des conditions assurant une protection des investisseurs au moins équivalente, voire des conditions supplémentaires», lit-on dans le livre blanc.

Le débat sur l’incorporation est dans l’air depuis une quinzaine d’années et n’a toujours pas été résolu. En 2006, l’ancêtre de l’OCRCVM, l’ACCOVAM, avait fait une proposition semblable qui avait essuyé un refus de la part des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), qui craignaient de compromettre ainsi la protection des investisseurs.

L’organisme dit revenir à la charge en raison de la demande d’un courtier qui voulait obtenir l’autorisation de se prévaloir du versement direct de commissions. Elle réagissait aussi à un sondage effectué auprès de ses membres sur la possibilité de dispenser les sociétés (soit par une dispense discrétionnaire ou par une modification des règles) de l’obligation de veiller à ce que les représentants en épargne collective qu’elles emploient mettent à niveau leurs compétences dès leur entrée en fonction.

«Les résultats du sondage révèlent que pour de nombreuses sociétés et personnes inscrites, l’élimination de l’obligation de mise à niveau des compétences dans le cadre réglementaire de l’OCRCVM n’aurait que peu d’intérêt, à moins que le versement direct de commissions ne soit également permis», dit Claudyne Bienvenu.

Dans le reste du Canada, sauf en Alberta et à Terre-Neuve- et-Labrador, les conseillers en épargne collective, qui sont réglementés par l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM) ont le droit de s’incorporer. L’OCRCVM, qui encadre les conseillers de plein exercice, souhaite ainsi étendre ce droit à ses membres.

La règle de l’ACFM qui permet le versement de commissions à des sociétés non inscrites prévoit certaines conditions, dont l’obligation pour le courtier en épargne collective, son représentant et la société du représentant de conclure une convention écrite. Celle-ci confirme, entre autres, que l’entente n’a aucunement pour effet de modifier les devoirs, les obligations ou les responsabilités du courtier ou du représentant. Le courtier continue de superviser le représentant et d’avoir accès à ses livres et registres.

Avantages fiscaux

Obtenir le droit de s’incorporer permettrait aux conseillers de bénéficier d’une série d’avantages fiscaux, notamment de différer leur revenu personnel, de profiter des options de fractionnement de revenu possibles avec une société par actions et de bénéficier de l’exonération des gains en capital au moment de la vente de leur société.

Alors que le gouvernement du Québec permet dorénavant à plusieurs catégories de professionnels comme les médecins, les comptables, les psychologues, les architectes et les podiatres, de s’incorporer, les conseillers en placement se demandent pourquoi il n’en va pas de même dans leur cas.

«C’est injuste», dit Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF).

Comme il détient un permis de conseiller en sécurité financière et que les représentants en assurance de personnes ont le droit de s’incorporer, Flavio Vani peut faire transiter ses revenus générés par la vente de produits d’assurance dans une société par actions, mais pas les commissions issues de la vente de fonds communs.

«Je ne peux pas continuer de diviser ainsi ma pratique en entités différentes», dit-il, ajoutant que l’argent qu’il retirerait d’une meilleure planification fiscale lui permettrait de réinvestir dans sa force de vente.

Pour l’instant, rien n’indique que les ACVM changent les règles de sitôt. Dans un courriel envoyé à Finance et Investissement, le Secrétariat des ACVM a dit ne pas vouloir commenter l’avis de l’OCRCVM à cette étape-ci.

En 2015, l’APCSF avait fait des représentations auprès du ministre des Finances Carlos Leitão pour relancer le projet de loi 58 déposé par son prédécesseur, Nicolas Marceau, alors député du Parti québécois. «On nous dit qu’on veut s’incorporer parce qu’on fait trop d’argent, ce qui est un mythe», dit Flavio Vani.

Le projet de loi 58 qui aurait permis l’incorporation des conseillers est mort au feuilleton lorsque le gouvernement du Parti libéral a pris le pouvoir en avril 2014.

En collaboration avec Richard Cloutier