Génératrice de consensus
Lyne Duhaime (crédit photo : Martin Laprise)

Après son arrivée en poste, Lyne Duhaime s’allie deux nouvelles personnes-ressources, et cherche maintenant à en embaucher une troisième. «Lyne Duhaime est très orientée sur l’action, ajoute Yvon Charest. Elle a pris les moyens pour que son équipe soit performante en s’entourant de bonnes personnes.»

Devenue la première femme à diriger l’ACCAP-Québec, Lyne Duhaime se fait remarquer par sa facilité à comprendre des enjeux complexes et par son talent en relations interpersonnelles et en communication, d’après Yvon Charest.

En juin dernier, elle devient la vice-présidente principale à la distribution à l’échelle canadienne de l’ACCAP, une reconnaissance de ses «grandes compétences», d’après Yvon Charest. «On a redonné un dynamisme à l’ACCAP-Québec. Ça a été possible grâce à mon équipe», dit humblement Lyne Duhaime.

Ce sont d’importantes réalisations pour cette avocate spécialisée en régimes de retraite et en assurances de personnes qui a pourtant répondu «non» lorsqu’un chasseur de têtes l’a d’abord approchée pour occuper son poste actuel. Un café avec celui-ci l’a toutefois fait changer d’avis.

«Je ne regrette rien, dit-elle. Mon arrivée en poste était comme une longue boucle qui se referme. Je suis revenue dans une industrie que j’avais connue.»

D’un nouveau départ à l’autre

Le parcours professionnel de Lyne Duhaime est ponctué de plusieurs nouveaux départs, un peu comme son parcours universitaire, d’ailleurs. Lorsqu’elle était jeune adulte, Lyne Duhaime n’a jamais pensé devenir avocate.

«Mon rêve de jeune adolescente était d’être comme Marie Curie. J’adorais les sciences et je pensais que j’allais être une scientifique et travailler à l’Institut Pasteur», raconte celle qui est originaire de Drummondville.

Après avoir commencé des études universitaires en biotechnologie, elle se heurte à un milieu plus aride qu’elle ne l’imaginait. Elle aime les mathématiques, les sciences et fait alors une demande d’admission à différents programmes, dont le droit.

Elle s’est découvert une passion pour cette discipline dès son premier cours sur l’histoire du droit, à l’Université de Sherbrooke. «Le droit permet de comprendre le monde, la société dans laquelle on vit», dit Lyne Duhaime.

Après avoir été associée au cabinet Stikeman Elliott, de 1990 à 1996, elle plonge dans le milieu de l’assurance, comme conseillère juridique à la Financière Sun Life, de 1996 à 1999. Elle y fait sa place avant de partir travailler à Londres, en Angleterre, pour BNP Paribas UK, de septembre 1999 à juin 2001.

L’un de ses trois enfants y voit le jour. Forte de cette expérience internationale, elle rentre à Montréal travailler pour la Sun Life, dans une pratique davantage axée sur l’assurance collective.

Robert Lebeau, qui a été son patron chez l’assureur, est heureux de l’embaucher une deuxième fois, raconte-t-il : «Dans le domaine de l’assurance, elle a pris rapidement un rôle important. Elle était très appréciée des clients et elle travaillait très bien. De sorte que quand elle nous a quittés [une seconde fois], nous avons été un peu tristes.»

«J’avais 35 ans, je venais d’avoir un troisième enfant et j’avais la bougeotte. J’avais envie de plus, relate-t-elle. J’ai décidé de revenir en pratique privée [comme associée chez Fasken Martineau, de 2005 à 2012]. J’ai développé ma pratique en régimes de retraite, un secteur que je trouvais fascinant.»

Cet intérêt l’a aussi amenée à travailler quelques années au sein de l’équipe de consultation de Morneau Shepell. «Les régimes de retraite, c’est très complexe et hypertechnique. En fin de compte, il faut que tu te demandes comment ça cadre avec les enjeux de société comme l’espérance de vie ou la pauvreté à la retraite», explique Lyne Duhaime.

Robert Lebeau, qui a collaboré avec le prédécesseur de Lyne Duhaime à l’ACCAP-Québec, Yves Millette, n’a pas hésité à la recommander pour le poste de présidente de l’organisation. «C’est un poste très difficile. Il faut atteindre des compromis entre des personnes qui ont des intérêts, des enjeux et une perspective différents. Le danger est de ne jamais rien faire. Je pensais que Lyne serait excellente, étant donné son intelligence des enjeux et des personnes, son aptitude à négocier et à traiter avec ces personnes», note-t-il.

Importante empathie

Depuis son arrivée en poste, elle et son équipe de cinq personnes doivent aussi interagir avec des gens qui travaillent auprès des régulateurs et différents ministères.

«Quotidiennement, je dois créer des consensus : entre concurrents, entre l’industrie et les régulateurs, entre mon industrie et le gouvernement, dit Lyne Duhaime. Il n’y a pas de recette magique : il faut essayer de comprendre l’autre personne, ce qui la dérange.»

Au moment de l’entrevue, l’équipe de l’ACCAP-Québec attendait impatiemment le dépôt d’un projet de loi omnibus qui modifiera les lois du secteur financier, dont la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) et la Loi sur les assurances (ndlr: le projet de loi 141 a été déposé la veille de la tombée du présent numéro).

L’ACCAP comprend que le gouvernement attribue aux assureurs une certaine responsabilité au moment de la distribution d’une police d’assurance, avec ou sans représentant, et ne s’y oppose pas. Elle espère que l’éventuelle loi leur accorde suffisamment de souplesse.

«Ça ne veut pas dire que le conseiller n’a pas de valeur. Au contraire, il en a une et il est préférable qu’il y ait des conseillers. Mais on vit dans un monde où la vente par Internet prend de l’ampleur. Cette concurrence pourrait venir de là», dit Lyne Duhaime.

«On pense que les assureurs n’ont pas avantage à distribuer certains produits par Internet, parce que le consommateur ne sera pas bien servi. On s’attend à ce que la loi nous impose certaines restrictions», ajoute-t-elle.

L’ACCAP compte 19 mandats actifs au Registre des lobbyistes du Québec, et 37 personnes inscrites comme lobbyistes, notamment afin de rappeler au gouvernement que l’industrie de l’assurance de personnes emploie 30 000 personnes au Québec.

Pour un de ces mandats, l’ACCAP a convaincu les autorités fiscales de suspendre l’envoi d’avis de cotisation aux agents généraux pour non-paiement de taxe d’accise. Ceux-ci s’opposent à l’interprétation des autorités fiscales selon laquelle leur service d’intermédiaire entre les clients et les assureurs serait taxable. Ce moratoire ne marque toutefois pas la fin de ce litige, qui chemine lentement.

Au moment de mettre sous presse, le mémoire de l’ACCAP en réponse au document de réflexion sur la gestion des risques de conflits d’intérêts liés aux incitatifs en assurance n’avait pas encore été rendu public.

Selon ce document de réflexion, l’Autorité des marchés financiers (AMF) attribue un risque faible de conflit d’intérêts à la rémunération sous forme de salaire, soit un mode de rétribution qu’on observe dans les réseaux carrière. Or, d’après l’AMF, deux formes de rémunération liées à la distribution indépendante comportent des risques supérieurs : la commission, qui constitue un risque moyen, et les bonis de performance évalués en fonction de l’atteinte d’un seuil de volume de primes, dont le risque est jugé élevé.

«Si on explique à l’AMF qu’on vise un niveau de production minimal parce que, à défaut de quoi, le représentant ne pourra pas survivre et devra quitter l’industrie, l’AMF va comprendre que c’est tout à fait raisonnable. Surtout si, par ailleurs, les entreprises ont de bonnes pratiques de conformité», dit Yvon Charest.

L’ACCAP souhaite aussi que les assureurs puissent demander aux clients s’ils ont subis un test génétique pour lequel les résultats sont connus, afin d’éviter «la hausse de primes causée par l’asymétrie d’information entre l’assuré et l’assureur». Selon l’organisation, la loi canadienne sur la non-discrimination génétique adoptée récemment «est inconstitutionnelle», puisque l’assurance est de compétence provinciale.

Le lobby prône aussi une meilleure divulgation des frais autant pour les fonds d’investissement que pour les fonds distincts. Pour ces deux produits, l’ensemble des coûts devrait être mieux détaillé. Par exemple, l’ACCAP propose que, dans le cas des fonds distincts, on scinde en trois éléments le ratio des frais de gestion, soit les frais d’administration, de distribution et d’assurance.

«Le Modèle de relation client-conseiller phase 2 (MRCC 2) est incomplet», estime Lyne Duhaime. On veut éviter qu’il ne désavantage les assureurs simplement parce que leur modèle de distribution est différent de celui des banques, par exemple.

L’ACCAP entend également collaborer avec le gouvernement du Québec, qui souhaite mettre fin partiellement aux cessions de polices d’assurance à des fins viatiques, aussi connues sous le nom de viatical and life settlements. «On veut s’assurer qu’il ne se développera pas une business des life settlements, ce qui n’empêchera pas une personne de céder sa police à un tiers dans certaines conditions», note Lyne Duhaime.