L’industrie canadienne des fonds communs de placement (FCP) affiche plusieurs caractéristiques d’un marché mature, dont la pression croissante sur les prix et la diminution des marges bénéficiaires. Voici quelques tendances qui risquent de croître dans cette industrie.

Croissance du marché des FNB

«Le modèle d’affaires des FCP subit un test de résistance (stress test). La croissance des ventes enregistrées par les fonds négociés en Bourse (FNB) a définitivement un impact sur cette situation, en raison de sa structure de frais», avance Clément Gignac, vice-président principal et économiste en chef, Industrielle Alliance, Gestion de placements.

«Le FNB a en quelque sorte réinventé le modèle lié à la structure de prix (pricing) et il s’agit sans doute de la plus grande difficulté à laquelle les acteurs indépendants et institutionnels traditionnels sont confrontés», analyse pour sa part Jean Morissette, consultant pour des firmes de gestion de patrimoine, ancien président de Services financiers Partenaires Cartier pour le Québec, avant son absorption par Dundee en 2004, et ex-associé fondateur de Talvest.

Selon lui, un FCP diversifié d’actions canadiennes aura de la difficulté à s’imposer en raison de l’écart dans les frais de gestion avec son concurrent FNB.

La divulgation de la rémunération des courtiers qu’impose, entre autres, la deuxième phase du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2) accentue cette pression sur les prix des fonds.

La croissance des ventes dont bénéficient les FNB n’a pas nécessairement augmenté la pression sur l’industrie des FCP, croit quant à lui Claude Paquin, président du conseil des gouverneurs du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ) : «Cette pression était déjà omniprésente en raison notamment de l’augmentation de la réglementation».

Selon Investor Economics, de janvier à août, les ventes nettes de fonds communs à long terme s’élevaient à 48,2 G$, alors que celles de FNB se chiffraient à 9,8 G$. Tandis que les premières sont plutôt stables depuis un an, les secondes sont généralement en croissance.

On assiste à un déplacement des ventes de FCP vers celles de FNB, d’après Jean Morissette : «Le marché total n’a pas grossi anormalement, les ventes enregistrées par les FNB, ce sont des ventes qui ne sont pas allées dans les FCP ou directement dans les actions».

Jean Morissette estime que le transfert des ventes de FCP vers les FNB devrait bientôt se stabiliser et faire une plus grande place aux FNB à gestion active, soit une sorte de produit intermédiaire entre les FNB indiciels et les fonds à gestion active.

«Nous allons bientôt avoir une masse critique suffisante de FNB sur les marchés pour voir dans quels secteurs ils performent réellement», dit-il.

Ménage et fusions de fonds

Jean Morissette croit également que l’industrie des FCP est en phase avancée d’intégration.

«Il y a tellement de fonds semblables dans chaque catégorie, il est clair qu’au cours des cinq à dix prochaines années, nous allons assister à des fusions de fonds sans fin, dit-il. Il n’y a aucune entreprise, banque ou gros assureurs, qui veut offrir dix fonds diversifiés canadiens. Nous allons donc assister à un important ménage.»

Selon Clément Gignac, le secteur des FCP tend nécessairement vers une consolidation. «Les firmes dont le modèle d’affaires repose strictement sur le rendement vont devoir s’interroger et se repositionner.»

Selon lui, les firmes devront développer davantage l’accompagnement et l’aspect-conseil.

Jean Morissette abonde dans le même sens : «L’intégration du secteur des FCP, couplée à la pression sur les prix et sur les marges que nous observons, c’est majeur, car ça laisse peu de choix aux plus petits acteurs : ou bien tu innoves, ou bien tu n’es pas là».

D’après lui, cette évolution mène plusieurs gestionnaires de portefeuille vers l’ingénierie de produits et la recherche de mandats de sous-gestionnaires institutionnels.

«La part des fonds institutionnels et des régimes de pension traditionnels, qui était le pain et le beurre des gestionnaires de portefeuille, a fondu au cours des ans, alors que le nombre de nouveaux fonds de pension se fait plutôt rare, souligne-t-il. Comme l’innovation vient rarement des grands intégrateurs, il est clair qu’il y aura toujours une place pour les gestionnaires capables d’apporter une différenciation à leurs produits.»

Nécessaire innovation

Selon Jean Morissette, lorsqu’un fonds de pension ou un promoteur lance aujourd’hui un produit, plutôt que d’en confier la gestion à un gestionnaire unique, il partagera le mandat entre trois gestionnaires apportant chacun des caractéristiques différentes.

Cette façon de faire crée des occasions pour plusieurs gestionnaires, estime-t-il, et leur permet d’utiliser pleinement l’expertise qu’ils ont développée.

Il reste que pour concurrencer les grandes institutions financières et la force de leur réseau de distribution, les manufacturiers de FCP indépendants doivent innover.

«Il y a toujours eu une grande panoplie de produits, mais depuis quelques années, nous sommes dans un cycle où l’industrie innove beaucoup, notamment en proposant de nouvelles catégories de fonds qui répondent à des besoins très spécifiques», observe Claude Paquin.

Cette situation pourrait accentuer les débouchés pour tous les acteurs de l’industrie, selon Claude Paquin.

«Il y a de la place pour les indépendants», croit Jean Morissette. Selon lui, les firmes parviennent à tirer leur épingle du jeu en développant des produits plus distinctifs. Il cite l’exemple de Fiera Capital et de son Fonds Fiera Infrastructure.

«Il existe une multitude de facteurs attrayants, que ce soit la nouveauté, les cotes de rendement corrélées ou non, ou une méthode de gestion visant à donner de meilleurs rendements ou à réduire le risque. Si tu as un produit susceptible d’apporter une valeur ajoutée significative, le produit intéressera des courtiers et des représentants», avance Jean Morissette.

«Ce que ces courtiers de plein exercice ne feront pas, toutefois, c’est d’acheter une gamme de produits, car ils utilisent de deux à trois familles de fonds, et si ce n’est pas leur propre entreprise qui leur fournit ces familles de fonds, ils ont déjà des relations d’affaires avec des acteurs comme Fidelity Investment et Placements Mackenzie qui s’en chargent», ajoute-t-il.

Pour Jean Morissette, un manufacturier indépendant a peu de chance, aujourd’hui, de recréer un Fidelity Investment ou un Trimark. «Il faut toutefois qu’à l’intérieur d’un certain laps de temps, il soit prêt à se faire absorber par un plus gros acteur, sinon sa valeur risque de disparaître.»

Investir dans des domaines plus distinctifs requiert une expertise et une capacité de prendre des risques qui ne correspondent pas, de prime abord, au modèle d’affaires privilégié par les banques, mentionne Jean Morissette.

«Les grandes institutions financières attendent souvent que d’autres acteurs innovent, soient confrontés aux problèmes et les règlent. Une fois que les acteurs engendrent du volume de vente et que la machine est en marche, elles les achètent», dit-il.

Consolidation continue

Selon Jean Morissette, l’industrie se trouve dans une autre phase de fusion-acquisition-intégration. «Auparavant, de petits acteurs spécialisés ou des institutions de taille moyenne en difficulté étaient appelées à être intégrés. Mais depuis cinq à dix ans, ce sont des acteurs indépendants dotés d’une masse critique relativement importante qui sont achetés.»

«Aujourd’hui, la tendance chez les indépendants est de mettre sur pied une entreprise dans le but de la vendre à un groupe. Les gens qui ont une bonne connaissance de l’industrie, une expertise, la capacité et le capital pour lancer une start-up, ne se lancent donc pas en affaires en ayant pour ambition de faire grossir leur entreprise pendant 50 ans, mais plutôt de la vendre dans cinq ans», estime Jean Morissette.

Cette situation s’explique par plusieurs phénomènes, qui forcent à la fois les manufacturiers à changer le développement de leurs produits, et les réseaux de distribution, à changer leur offre de service.

Parmi ces phénomènes, Jean Morissette cite notamment l’augmentation de la réglementation, les développements technologiques, ainsi que la pression sur les prix des FCP exercée par la croissance des ventes enregistrées par les FNB et par l’arrivée des conseillers-robots.

D’après un article de la Banque du Canada publié en juin 2015, au Canada, les dix plus importantes sociétés de gestion de fonds «gèrent près de 70 % de l’actif total des fonds communs de placement canadiens, et la plupart d’entre elles sont des filiales exclusives de banques ou de compagnies d’assurance canadiennes».

À titre comparatif, la part de l’actif des FCP américains gérés par les dix plus grandes sociétés américaines s’élevait à 53 % au 31 décembre 2013, selon la Banque du Canada.

Pour Jean Morissette, la phase actuelle de fusions-acquisitions-intégrations «est pratiquement terminée, car il ne reste à peu près plus d’indépendants significatifs n’appartenant pas déjà à une banque, à une importante compagnie d’assurance, à Desjardins, ou à des étrangers», exception faite de quelques acteurs plus marginaux.

L’actif géré continue toutefois de croître. Selon une étude de l’Institut du Québec publiée en juin 2015, les placements des Québécois dans les FCP et les FNB ont connu une croissance annuelle moyenne de 9,3 % sur neuf ans, faisant passer l’actif géré de 81,4 G$ en 2004 à 180,5 G$ en 2013.

Pour Claude Paquin, à l’instar de la perte de vitesse des régimes de retraite à prestations déterminées qui a transféré une partie de la responsabilité de la retraite sur les consommateurs, la consolidation des acteurs observée dans l’industrie des FCP est l’un des facteurs qui a contribué «à la forte croissance que l’on a connue au cours des 15 dernières années».

«De grandes institutions financières ont fait l’acquisition de plusieurs fonds indépendants, et c’est un phénomène cyclique et naturel. Est-ce que cette consolidation est terminée ? Difficile à dire», mentionne Claude Paquin.