Coup d'oeil sur les 30 ans de MICA, selon Gino Savard
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Finance et Investissement (FI) : Qu’est-ce qui a mené à la création de MICA ?

Gino Savard (GS) : Mon père, Denis Savard, était agent chez Assurance vie Desjardins au moment où il a pris la décision d’ouvrir son cabinet. À l’époque, au début des années 1980, des cabinets de courtage commençaient à ouvrir alors que le modèle qui prévalait jusqu’alors, c’était celui des réseaux captifs, avec des agents représentant une seule compagnie. Le courtage intéressait énormément papa, qui y voyait une opportunité de travailler encore davantage dans l’intérêt du client en proposant des produits en fonction de leurs forces plutôt qu’en fonction d’une obligation de vendre un seul produit. Nous habitions alors en Gaspésie et nous avons déménagé à Québec en prévision de ce projet de cabinet. Pendant un an, au cours duquel il a préparé l’ouverture, mon père a assumé un mandat de directeur des ventes pour une compagnie d’assurance. Puis, en janvier 1986, il a démarré MICA.

(FI) : Vous étiez aux premières loges au moment de la création du cabinet.

(GS) : Oui, j’avais alors 16 ans et j’ai été le premier employé de la compagnie, après mon père. J’étais alors en cinquième secondaire et lorsque je finissais l’école, j’allais au bureau pour faire le ménage. En attendant que le bureau ferme, je placotais avec les employés, je regardais aller l’entreprise et je trouvais ça pas mal intéressant. Malgré tout, je n’avais alors aucune intention d’y travailler un jour à temps plein.

(FI) : Qu’aviez-vous l’intention de faire ?

(GS) : J’étais un peu déchiré à l’époque. J’ai envisagé le droit, mais je savais ultimement que je désirais me lancer en affaires. J’ai d’ailleurs étudié assez sérieusement certains projets, dont un qui impliquait un associé. Toutefois, il m’a éventuellement laissé tomber et papa m’a demandé mon aide pour un mois alors que s’amorçait la saison des REER. Ce mois s’est prolongé par l’entremise de différents remplacements et finalement, cela fait 24 ans et je ne suis jamais reparti.

(FI) : Votre frère s’est également impliqué dans l’entreprise.

(GS) : Avant de travailler dans l’entreprise, je n’avais vraiment pas perçu à quel point c’était important pour mon père que j’y sois. Il l’a fondée avec l’idée de créer quelque chose pour ses enfants, mais ne nous le disait pas. Dès que je suis entré dans le portrait, ne serait-ce qu’à temps partiel, c’était clair qu’il était important pour lui que je sois là.

Ce qui a amené mon frère Martin, qui est de neuf ans mon cadet, à s’impliquer, c’est de voir à quel point nous avions du plaisir papa et moi. Martin a toujours été plus administrateur, calculateur, et il a complété un baccalauréat en relations industrielles. C’est un gestionnaire et aujourd’hui c’est lui qui dirige l’entreprise et le personnel à titre de vice-président exécutif, alors que moi je la développe.

On se complète donc très bien. C’est ce qui a mené papa, quand il a eu 60 ans, à nous dire à mon frère et moi : « Vous n’avez plus besoin de moi », et à nous vendre l’entreprise. C’était un peu vite pour nous. Martin aurait aimé avoir deux ou trois années de plus de mentorat, mais papa considérait qu’on pouvait reprendre le flambeau et ne voyait plus pourquoi il restait. Il voulait jouer au golf à l’année, passer ses hivers en Floride et profiter de la vie. Malheureusement, il a reçu un diagnostic de cancer quelques mois plus tard. Il a malgré tout survécu pendant huit ans, mais n’a jamais pu vivre la retraite qu’il espérait. Plusieurs personnes dans l’industrie croient que papa nous a vendu l’entreprise parce qu’il était malade, mais il l’ignorait.

(FI) : Quel fut le moment clé des 30 années du développement de MICA ?

(GS) : En 1998, mon père a fait un premier gel successoral et je suis devenu propriétaire à 30 % de l’entreprise. J’avais 28 ans et il était clair pour moi que je ferais ma vie chez MICA. Toutefois, à la fin des années 1990, on assistait à une première vague de consolidation dans l’industrie. Les assureurs, les banques, les compagnies de fonds communs commençaient à acquérir des agents généraux d’assurance et des cabinets en assurance collective. Pour tirer notre épingle du jeu et rester indépendants, nous avons entrepris une réflexion stratégique afin de positionner l’entreprise à long terme. Nous avons fait une grande consultation auprès de consommateurs, de conseillers qui étaient chez nous et de conseillers extérieurs. Le but : aller chercher deux grands paramètres, soit le profil du cabinet idéal et le profil du conseiller idéal.

Cette démarche nous a amenés à nous fixer comme objectif de réunir les meilleurs conseillers au Québec sous une même bannière, puis à devenir un cabinet de peu de conseillers. À l’époque, nous avions 575 conseillers. Nous les avons tous rencontrés sur une période de deux ans, munis d’une grille d’analyse pour déterminer s’ils avaient le profil, ou le potentiel, pour faire parti des meilleurs conseillers au Québec. Une fois que nos rencontres ont été complétées, le soir même, nous avons mis un terme à 500 contrats pour n’en garder que 75.

C’est le moment charnière de l’histoire de l’entreprise et depuis, nous n’avons jamais regardé en arrière. Nous sommes demeurés avec le même alignement et nous travaillons avec peu de conseillers. Présentement, nous parrainons entre 175 et 180 licences, ce qui inclut une trentaine d’adjoints avec permis, des juniors en apprentissage qui travaillent aussi à l’intérieur des cellules et des cabinets. Donc au final, nous desservons 120 partenaires et nous sommes 65 employés-ressources pour le faire.

(FI) : Vous n’avez jamais regretté cette démarche ?

(GS) : Ce que nous avons regretté, c’est d’avoir fait cette grande segmentation en 2000 alors que tout de suite après, nous avons été plongés en pleine crise des technos. Les marchés plantaient, les vendeurs étaient sur le « burn-out » et nous aurions aimé avoir 575 personnes pour nous envoyer des ventes d’assurance pendant l’année et demie que la crise a duré.

(FI) : Quel est le principal obstacle auquel MICA a été confronté au cours de son histoire ?

(GS) : Le vent contraire le plus fort, nous l’avons eu au milieu des années 2000. En 1998, nous avions acquis la moitié d’une petite firme de gestion de patrimoine et en 2001 et 2003, nous avons démarré deux fonds communs, gérés par notre firme de gestion privée. Cela nous apportait une expérience à titre de manufacturier de fonds. L’expérience était positive et nous avions le vent dans les voiles jusqu’à ce que nous vivions un conflit avec notre associé, qui était aussi notre gestionnaire principal de portefeuille. Nous avons donc revendu la firme de gestion privée à notre associé et nous avons gardé les fonds, dont le mandat de gestion a été confié à une autre firme. Le « timing » n’a toutefois pas été très bon car à la même période, le scandale Norbourg est survenu et dans ce contexte, les investisseurs n’étaient pas tellement chauds à l’idée d’investir auprès d’une petite compagnie de gestion québécoise familiale.

Nous avons donc dû mettre un terme à l’expérience et je dois dire que nous avons payé cher pour apprendre. Nous avions eu une offre de 1,8 M$ pour vendre un peu avant cette crise, mais nous avons refusé et au final, fermer l’entreprise nous a couté environ 400 000 $. Mais les choses n’arrivent pas pour rien et nous sommes très heureux de pouvoir travailler aujourd’hui dans le secteur où nous sommes les meilleurs, c’est-à-dire en distribution de produits de façon complètement indépendante, sans devoir porter deux chapeaux, celui de distributeur et de manufacturier.

(FI) : Qu’est-ce qui a le plus changé dans l’industrie depuis les débuts de MICA, il y a 30 ans, et maintenant ?

(GS) : Sans contredit : l’environnement de conformité. Les règles ont été resserrées et ça a notamment permis d’écarter plusieurs pas bons de l’industrie. Mais ce qui me fait le plus plaisir, c’est de constater à quel point les conseillers de la nouvelle génération ont de beaux profils. Lorsque j’ai débuté dans l’industrie en 1986, il y avait beaucoup de « vendeux ». Aujourd’hui, avec des outils comme l’analyse de besoin et le profil de l’investisseur, les représentants sont obligés d’analyser la situation de leurs clients et ceux qui ne sont pas capables ne restent pas. Mon père s’est battu pour qu’il y ait des règles d’entrées dans la profession, ça a donné des résultats positifs et je suis encore plus fier aujourd’hui d’être partie prenante de cette industrie.

(FI) : Quels sont les principaux défis auxquels MICA est susceptible de faire face dans les prochaines années ?

(GS) : Il y a un autre vent de consolidation qui souffle et je ne veux pas que devenions l’un des seuls cabinet indépendants, j’aimerais mieux qu’il y en ait encore quelques-uns. C’est un défi important de travailler dans un univers où nous sommes en perpétuelle compétition avec les manufacturiers, mais en même temps, où nous sommes partenaires avec des branches de ces compagnies. Je fais affaires avec Manuvie, mais je suis en compétition avec Placements Manuvie. Je fais affaires avec l’Industrielle Alliance, mais je suis en compétition avec Investia services financiers. Même chose pour Gestion de patrimoine Assante, qui appartient à CI Financial, qui est l’un de nos plus gros partenaires en fonds d’investissement.

Les mesures que nous pouvions prendre pour nous préparer à cette situation, nous les avons déjà prises. Le fait d’avoir un positionnement stratégique bien défini nous permet de tirer notre épingle du jeu et de continuer à connaître un très beau développement. Notre croissance annuelle est de 25 % depuis 2008. C’est plus que satisfaisant et il n’y a pas de raison de penser que ça ne continuera pas sur le même rythme.

La vente de produits d’assurance sans conseillers sur Internet va être un autre défi important. Je n’y crois pas, je pense que le régulateur est dans l’erreur, je l’ai dit et il n’a malheureusement pas l’air de vouloir écouter. C’est donc un dossier que nous allons suivre avec attention.