La recherche universitaire n’est pas tendre à l’endroit de cette approche.

«Tous les résultats le montrent : la valeur du market timing n’est pas prouvée. En général, les résultats sont plutôt négatifs sur le rendement des fonds qui le pratiquent», affirme Laurent Barras, professeur adjoint à la faculté de management de l’Université McGill.

Si certains fonds s’en tirent mieux, c’est parce qu’ils sont «un peu plus forts pour choisir les bons titres au bon moment plutôt que d’entrer ou de sortir du marché au bon moment», affirme-t-il.

«Notre recherche montre que le coût de l’attente du moment parfait pour investir dépasse même le bénéfice d’une synchronisation (timing) parfaite», indique Mark Riepe, vice-président principal du Schwab Center for Financial Research, sur le site Web de ce courtier en ligne.

«Et parce qu’on a autant de chances de réaliser la synchronisation parfaite que de gagner à la loterie, la meilleure stratégie pour la plupart des épargnants est de ne pas chercher à faire de la synchronisation. Au contraire, faites un plan et investissez dès que possible», ajoute Mark Riepe.

De la théorie à la pratique

«Je connais bien l’anticipation des marchés, que je pratique depuis plus de 30 ans», écrivait Paul Merriman dans un article paru sur le site MarketWatch en octobre 2013.

«En théorie, c’est brillant. En pratique, ça ne fonctionne tout simplement pas pour la plupart des investisseurs», précisait le fondateur de Merriman Wealth Management et auteur de plusieurs ouvrages sur l’investissement.

Si les épargnants échouent, c’est surtout parce qu’ils n’ont pas la discipline que requiert le market timing, juge Paul Merriman.

Selon lui, il faut fonder ses décisions sur des signaux solides et accepter d’entrer dans le marché ou d’en sortir en fonction de ce qu’indiquent ces signaux, et non selon l’humeur des marchés.

Par-dessus tout, insiste-t-il, cette approche «n’est pas une façon de battre les marchés. Ça ne devrait pas être l’objectif. Un objectif beaucoup plus réaliste consiste à chercher à protéger ses placements des chutes de marché».

Saisir le bon moment

Il reste que pour certains experts du milieu du placement, l’anticipation des marchés est une approche sensée.

«Nous en sommes de fervents adeptes», lance Katrina Sherrerd, présidente et chef des opérations du gestionnaire de portefeuilles californien Research Affiliates.

«Ce qui fonctionne le mieux, c’est l’effet momentum», juge pour sa part Richard Guay, professeur de finance à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal et ancien président de la Caisse de dépôt et placement de Québec.

Richard Guay fait cependant une distinction entre le momentum à court terme et le momentum à long terme.

À court terme, un titre qui a monté au cours des mois précédents a tendance à continuer de monter, mû par l’émotivité des investisseurs. L’effet momentum incite donc les gens à entrer dans la vague et à acheter le titre, même s’il est souvent devenu trop cher. La raison commanderait plutôt de vendre ses parts pour empocher les gains.

Par ailleurs, un titre qui baisse tend à continuer de baisser, car l’effet momentum incite les investisseurs à vendre leurs parts pour éviter la dégringolade. Pourtant, l’attitude rationnelle serait plutôt d’acheter des parts, car la baisse a rendu le cours attrayant.

À plus long terme, sur un horizon de trois à cinq ans, les titres affichent un comportement différent : ceux qui ont monté au cours des dernières années ont plutôt tendance à descendre, alors que ceux qui ont baissé tendent à remonter.

«Si je veux faire du market timing, j’achète quand les cours commencent à monter et je vends quand ils commencent à baisser», souligne Richard Guay.

«Ces moments-là sont difficiles à déterminer. Mais il ne fait pas de doute que c’est une stratégie très rentable. C’est la stratégie la plus fréquente chez les fonds de couverture et elle inspire beaucoup de gestionnaires», précise-t-il.

De bons résultats

Chez Hexavest, de Montréal, on n’aime pas utiliser le terme market timing.

«Ça fait penser au day trading et l’expression véhicule quelque chose de négatif», affirme Jean-René Adam, chef des placements adjoint et vice-président, marchés nord-américains.

Cependant, Hexavest pratique le style à contre-courant, une approche de gestion dans laquelle l’anticipation des marchés est une pratique courante, selon Lilian Wu, associée de recherche chez Research Affiliates.

Ainsi, Hexavest a vu venir la crise de 2008 et la reprise de 2009. «On a vendu un an trop tôt avant le crash de 2008, mais on a saisi la hausse de 2009 deux mois avant qu’elle ne se manifeste», note Jean-René Adam.

Présentement, la firme examine s’il est opportun d’investir dans les pays émergents. «Leur économie a déçu, les titres y sont peu coûteux et les investisseurs sont déprimés», explique le dirigeant d’Hexavest.

Par ailleurs, Hexavest a accru son encaisse à 9 % de son portefeuille au cours des mois qui ont précédé la récente correction, car elle anticipait celle-ci.

Cette pratique que certains qualifieraient de market timing donne des résultats convaincants chez Hexavest.

Au cours des 10 dernières années, son portefeuille mondial a donné un rendement annuel composé de 7,67 %, comparativement à 5,80 % pour l’indice MSCI Monde, et son portefeuille européen, un rendement de 6,26 %, par rapport à 5 % pour l’indice MSCI EAEO.

Par contre, au cours des cinq dernières années, le rendement de la plupart de ses portefeuilles a été moins élevé d’un ou deux points de pourcentage que celui des indices de référence.

Enfin, une étude récente de Morningstar sur les fonds à date cible, aux États-Unis, semble confirmer la pertinence d’une approche par anticipation des marchés, ce que l’analyste Janet Yang appelle la «gestion tactique».

Les gestionnaires qui suivaient sans broncher leur philosophie de placement de base obtenaient de meilleurs rendements que 46 % de leurs pairs. Ceux qui privilégiaient une «gestion tactique» avaient de meilleurs résultats que 60 % de leurs pairs, selon cette étude.