Décaissement : quatre stratégies pour combattre l'inflation
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D’autres stratégies peuvent être déployées pour lutter contre l’inflation en période de décaissement, selon des spécialistes interviewés par Finance et Investissement.Ainsi, l’inflation est un risque important à la retraite puisqu’elle peut gruger le pouvoir d’achat des clients.

La hausse de l’espérance de vie fait que l’inflation devient un enjeu de plus en plus important, souligne l’Autorité des marchés financiers (AMF) dans une analyse publiée en 2016 «L’inflation et l’espérance de vie : une combinaison dangereuse pour votre retraite ?».

«La possibilité d’être à la retraite plus longtemps vous demandera plus d’épargne», rappelle l’AMF. Plus d’épargne certes, mais encore faut-il qu’elle ne soit pas grugée par l’inflation entre le début de la retraite du client et son décès.

Au cours des dix dernières années, le taux d’inflation annuel a toujours été inférieur à 3 %. À long terme, les experts prévoient qu’il se situera aux alentours de 2 %, selon l’AMF.

Par contre, des poussées inflationnistes sont possibles comme par le passé. En 1981, l’inflation a atteint 12,47 % au Canada, un record depuis 1950, selon le site Inflation.eu. Et en 1991, elle était encore à 5,64 %.

La prudence est donc de mise avec l’inflation, d’autant plus que son impact peut être très sournois. Par exemple, un panier de biens qui coûtait 100 $ en 1992 coûte aujourd’hui 155 $, selon un calculateur de la Banque du Canada, ce qui équivaut à un taux d’inflation annualisé de 1,77 % pendant cette période.

Nous avons demandé à quatre spécialistes d’élaborer des stratégies pour aider un client fictif de 65 ans à protéger son pouvoir d’achat avec un portefeuille d’une valeur d’un million de dollars. Les voici.

1. Se constituer un coussin et reporter la demande de sa RRQ et de sa PSV

S’il en a les moyens, ce client jeune retraité devrait consommer moins que son réel pouvoir d’achat, affirme Daniel Laverdière, directeur principal, centre d’expertise, chez Banque Nationale Gestion privée 1859.

C’est pourquoi il suggère d’ajuster la consommation du client comme si l’inflation était supérieure d’un point de pourcentage à ses prévisions de décaissement. Si les spécialistes anticipent une inflation annuelle de 2 %, il faut planifier en fonction d’un scénario à 3 %.

Daniel Laverdière a fait un calcul pour notre retraité fictif, tout en lui donnant une espérance de vie de 90 ans. Cette personne a donc besoin de prestations pendant 25 ans.

Dans cet exemple, un coussin d’un point de pourcentage représente une diminution de 10 % du montant maximum que notre retraité peut en théorie dépenser chaque année. «Si l’inflation augmente, je suis un peu protégé», insiste Daniel Laverdière.

Par contre, si l’inflation demeure aux alentours de 2 %, le retraité pourra toujours ajuster sa consommation à la hausse s’il le souhaite.

Pour réduire le risque de l’inflation, Daniel Laverdière suggère aussi de reporter de cinq ans le moment où un client commence à toucher ses prestations du Régime de rentes du Québec, de la Sécurité de la vieillesse (PSV) et du Supplément de revenu garanti. Ces trois sources de revenus sont entièrement indexées à l’inflation.

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Les sommes auxquelles le client retraité a droit peuvent être majorées, selon le régime, d’un facteur variant de 0,6 % à 0,7 % par mois, entre le moment où le client atteint 65 ans et le moment où il atteint 70 ans. En reportant le moment où il touche sa rente, le client verra qu’une part plus importante de son revenu de retraite est donc «protégée» contre l’inflation.

2. Acheter des actions privilégiées

Stéphane Rochon, vice-président et directeur général, chef de la recherche pour la clientèle privée chez BMO Nesbitt Burns, suggère d’investir dans des actions qui versent un dividende pour réduire le risque d’inflation. «Le dividende compense l’inflation», dit-il.

Le stratège conseille de rechercher les entreprises dont les actions versant un dividende sont en forte croissance. C’est pourquoi il recommande le titre d’Accenture (ACN), un consultant américain dans le secteur des technologies.

La multinationale versait récemment un dividende de 1,96 % par action, selon Bloomberg. Or, depuis cinq ans, le titre s’est apprécié de 91 % (plus la valeur du titre augmente, plus la valeur du dividende augmente).

Le stratège aime bien aussi les actions de Bank of America (BAC) et de Citigroup (C), deux institutions financières majeures aux États-Unis.

Bank of America offrait récemment un dividende de 1,87 % par action. Depuis cinq ans, la valeur du titre a bondi de 175 %. Citigroup verse pour sa part un dividende de 1,73 % par action. En cinq ans, le titre de l’institution a plus que doublé (112 %).

3. Investir dans les obligations à rendement réel

Jocelyn Bissonnette, gestionnaire de portefeuille chez Desjardins Gestion internationale d’actifs, propose de réduire le risque inflationniste en investissant dans les obligations à rendement réel telles que les obligations du gouvernement canadien.

Ces titres à revenu fixe sont conçus pour suivre le rythme de l’inflation. Ainsi, deux fois par année, l’investisseur reçoit des paiements d’intérêt ajustés à l’indice des prix à la consommation.

De plus, lorsqu’une obligation à rendement réel arrive à échéance, le montant que l’investisseur récupère (la valeur nominale) est également ajusté en fonction de l’inflation.

Par ailleurs, le retraité peut investir dans les obligations aussi bien à long terme qu’à court terme afin de protéger son pouvoir d’achat, précise Jocelyn Bissonnette. «La mécanique des obligations à rendement réel fait en sorte qu’elles s’ajustent automatiquement chaque mois en fonction de l’inflation observée le mois précédent.»

Les clients peuvent aussi investir dans l’éventail de fonds d’obligations à rendement réel qui comprennent notamment des obligations de sociétés.

4. Avoir 3 années de flux monétaire dans des placements liquides

Guylaine Dufresne, directrice principale, investissement et planification financière chez Valeurs Mobilières Banque Laurentienne, préconise de réserver une somme représentant trois années de flux monétaire dans un portefeuille de placements dits sûrs, comme des certificats de placement garanti (CPG), des obligations à court terme ou des fonds de marché monétaire.

Dans le même temps, le client peut investir le reste de son capital dans un portefeuille plus dynamique (tout en respectant bien entendu sa tolérance au risque), comme des actions privilégiées. Le retraité s’assure ainsi que cette partie du patrimoine obtient un rendement supérieur à l’inflation.

«Dans la stratégie, l’important c’est qu’on s’assure d’avoir un rendement supérieur à l’inflation afin de prolonger la durée du patrimoine du client. Le portefeuille plus dynamique servira à alimenter le portefeuille de flux monétaire au fil des ans», explique Guylaine Dufresne.

Selon elle, la gestion du portefeuille est tout aussi importante pendant la période de décaissement que pendant la période d’accumulation.

Pour réduire le risque d’inflation, Guylaine Dufresne affirme qu’un conseiller peut aussi tenir compte de facteurs importants, comme l’imposition des différentes formes de revenus, les types de comptes qui peuvent être utilisés (le CELI, par exemple) ou l’ordre de décaissement des comptes.

«Tous ces facteurs peuvent faire une différence majeure dans la situation financière d’une personne qui décaisse ses actifs. Souvent, la différence réside justement dans le fait de pouvoir se permettre des revenus indexés ou non à l’inflation», souligne Guylaine Dufresne.

Elle cite l’exemple d’un client qui a des actifs importants dans un REER, un CELI et un compte non enregistré. À sa retraite vers 60 ans, ce client décide de retirer des actifs uniquement de son CELI, car les retraits sont non imposables et reportent les retraits du REER au moment où il est obligé de le faire, c’est-à-dire à 72 ans.

Si le solde de son REER fait que le minimum qu’il est tenu de retirer de son FERR (provenant de son REER) est relativement élevé, le client pourrait perdre certains crédits socio-fiscaux ou même devoir rembourser une partie de sa PSV. «Des retraits de montants moins importants de son FERR avant 72 ans auraient possiblement pu éviter une telle situation», précise Guylaine Dufresne.