Un homme d'affaires faisant le saut.
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On parle ici de gestion comportementale, ce qui constitue 93,6% de la pratique de la planification financière, selon une étude de Meir Statman. Cela inclut la compréhension des intérêts et des objectifs des membres de la famille, prévenir la vente de panique et la course absolue aux rendements, favoriser la mise en action d’un plan (testament, assurance vie, stratégies fiscales), la gestion des réactions émotives engendrées par la volatilité des marchés entre autres, et bien entendu, gérer le tout en respectant la tolérance au risque du client.

Le concept de tolérance au risque

Évidemment, tout le monde souhaite obtenir le meilleur rendement possible sur chacun des actifs qu’il possède, même s’il recherche la sécurité. La question qui vient alors est : quels risques êtes-vous prêt à prendre en échange de l’espérance d’un rendement élevé ? Et c’est là que ça se complique, que le flou s’installe. Le risque est un concept multifactoriel, et la capacité à le tolérer peut varier de façon significative d’un individu à l’autre.

Il y a 2 dimensions importantes à considérer afin d’évaluer la tolérance au risque d’un individu : la dimension environnementale, et la dimension comportementale. La première comporte plusieurs facteurs, la plupart quantitatifs et relativement faciles à mesurer : l’âge, la situation financière, l’espérance de vie, les obligations (ex : personnes à charge), les objectifs de retraite, etc. La seconde dimension fait appel à des concepts plus difficiles à mesurer : la culture, l’éducation, les antécédents familiaux, la tendance à éprouver de l’anxiété, la maturité émotive, la compréhension des phénomènes économiques et financiers, etc. La combinaison de tous les facteurs qui composent ces 2 dimensions aura un impact sur la façon dont une personne va réagir aux éléments affectant la valeur des actifs d’un portefeuille, par exemple, ou sa capacité à rencontrer les objectifs fixés. Ces éléments incluent entre autres les risques de marché, de crédit, de devises, d’appariement, de longévité, etc.

L’importance de la tolérance au risque

La tolérance au risque est un concept largement utilisé dans l’univers du conseil financier. Elle sert à déterminer le niveau de risque qui peut être acceptable pour un client, ou un compte en particulier. Elle influence de façon significative le profil de l’investisseur, et en conséquence, les décisions de nature financière, comme la combinaison des investissements qui composeront le portefeuille.

Les biais dans l’évaluation de la tolérance au risque

Là où ça se corse, c’est que toute l’industrie utilise les mêmes méthodes afin d’évaluer le degré de tolérance au risque des clients. L’évaluation est généralement faite au moyen d’un questionnaire. Celui-ci peut être rempli en personne (entrevue), sur papier, ou en ligne. Certains utilisent des questions présentant des mises en situation afin d’aider les clients à mesurer leurs réactions à certains évènements. Mais finalement, il ne s’agit toujours que d’un questionnaire. La tolérance au risque est donc évaluée à un moment précis. C’est une photo, une donnée statique, alors que la capacité à tolérer le risque peut varier dans le temps, selon les circonstances.

Par ailleurs, plusieurs facteurs comportementaux peuvent aussi contaminer l’évaluation de la tolérance au risque, et conséquemment, le choix des produits et services offerts. Dans plusieurs cas, le niveau de tolérance au risque est surévalué, en raison d’un biais optimiste. Allons-y d’un exemple afin d’illustrer mon propos. La rencontre du conseiller avec son client se fait généralement dans un environnement favorable à une conversation sincère et décontractée. Le conseiller souhaite mettre le client en confiance et s’assurer que la conversation soit ouverte et productive. Il est probable que, dans cet environnement professionnel et confortable, en l’absence de turbulences, d’irritants et de stress, le client ait tendance à évaluer avec optimisme sa capacité à bien gérer émotivement les variations à court terme des marchés. Ajoutons un niveau de complexité. Au risque de soulever la critique, je dirais que cet excès d’optimisme peut être encore plus présent lorsque le client est de sexe masculin. Eh oui, les hommes ont tendance à se présenter sous leur meilleur jour, forts et courageux. Enfin, vous aurez compris l’essence de mon propos. Malgré que la tolérance au risque fasse l’objet de biais pouvant en fausser l’évaluation, elle demeure une part importante de la fondation sur laquelle on construira les recommandations offertes au client afin de créer valeur et bien-être.

D’autres pistes à explorer

Le temps est venu de remettre ces méthodes en question. Les capacités technologiques d’aujourd’hui permettent un accès étendu aux données, et la possibilité de les répertorier, ordonner, classifier, analyser. Il est permis de croire qu’on pourrait évaluer la tolérance au risque d’un client sur la base de ses réactions aux événements et aux tendances, aux variations de son niveau d’anxiété, plutôt que sur la base d’un questionnaire rempli dans un environnement purifié. C’est ce qu’on appelle la tolérance au risque basée sur des données empiriques (ou en anglais : « evidence based risk tolerance »). Vous vous dites : D’accord, mais au début de la relation, on ne possède pas cette information. Ce à quoi je répondrai ceci : Vous avez raison !

C’est pourquoi l’évaluation de la tolérance au risque doit être un processus dynamique. On peut l’établir temporairement, au début de la relation, au moyen d’un questionnaire. Par la suite, alors qu’on raffine la connaissance du client au moyen d’outils de communication permettant d’approfondir la relation en temps réel, on peut mettre à jour l’évaluation de la tolérance au risque selon les données empiriques reflétant l’évolution du comportement du client. L’intelligence artificielle et les systèmes experts permettent de cumuler, d’analyser l’information, et de poser un diagnostic, pour enfin adapter le conseil financier à la situation des clients. La technologie permet aussi d’étendre ces meilleures pratiques à l’ensemble des clients, et non seulement à un groupe sélect de clients « VIP ».

Les systèmes experts sont-ils à l’abris des biais ?

Il convient de mentionner que l’intelligence artificielle et les systèmes experts ne garantissent pas l’absence de biais. Si l’on introduit des biais dans l’algorithme, alors ceux-ci seront répétés dans le traitement, le diagnostic et les recommandations. D’ailleurs, certains ont fait l’erreur dans le passé, en n’étant pas suffisamment attentifs à ce risque. Il y a l’exemple classique d’une école de médecine au Royaume-Unis (condamnée par le tribunal des droits de la personne) qui a implanté un système d’admission afin d’éliminer l’effet des préjugés des recruteurs humains dans l’analyse des dossiers des candidats. L’algorithme comportait lui-même des biais dans la sélection, de sorte que les demandes d’admission des candidatures féminines et n’ayant pas un nom à consonance européenne, avaient moins de chances d’être retenues (Notes from the AI frontier : Tackling bias in AI (and in humans) – McKinsey Global Institute). Il faut donc demeurer vigilants afin d’éviter que les biais découlant des facteurs comportementaux que l’on cherchait à éliminer ne soient remplacés par des biais systématisés dans la programmation de l’algorithme.

Bienvenue au 21ème siècle !

Il est grand temps de moderniser le domaine du conseil en services financiers. S’il est vrai que la plupart des firmes ont l’intention d’être orientées vers le client, plusieurs gestes doivent être posés afin de mettre ces intentions en action. La technologie permet maintenant d’approfondir la relation avec les clients afin de bien comprendre leurs besoins, leurs aspirations, leurs préférences, leurs intérêts, leurs contraintes et bien sûr, leur tolérance au risque (celle déterminée selon l’analyse de données empiriques !). Peut-on se contenter d’offrir ses meilleurs efforts à quelques clients, et une proposition générique à la majorité de sa clientèle ? La connaissance détaillée de 10% à 15% de ses clients – ce qui est le cas pour la plupart des conseillers – ne suffit pas. Il faut pouvoir étendre ses meilleures pratiques à chacun d’entre eux. Ils le méritent. Après tout, c’est ce pourquoi ils paient !

Richard Legault, CPA CA, CFA
Président, Phoenix Stratégies Conseils
Conseiller exécutif, TelosTouch