Un dessin de main qui dit au revoir.
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Le LIBOR a graduellement été adopté par les institutions bancaires et les marchés boursiers, entre autres, afin qu’il soit le taux de référence pour une multitude de contrats – autant des hypothèques que des produits dérivés complexes – si bien que ce taux est la référence pour des centaines de trillions de dollars de transactions à travers le monde (John Hull, 2017).

À l’Institut canadien des dérivés, on offre une formation conçue pour fournir une connaissance générale sur les produits dérivés des titres à revenus fixes pour lesquels le LIBOR est un de taux de référence les plus importants.

Concrètement, le LIBOR est le résultat d’une moyenne arithmétique des taux que chaque banque d’un groupe de banques contributrices s’attend à payer pour un emprunt à une autre, pour un prêt court-terme non-garanti de durée déterminée et de devise déterminée, excluant les valeurs extrêmes à la hausse et à la baisse. Chacune de ces banques contributrices est soumise à des contraintes strictes de taille, de nombre de transactions, d’expertise et de qualité de crédit entre autres, afin de représenter la réalité économique. Ainsi, le LIBOR existe désormais pour 5 devises et 7 maturités, pour un total de 35 taux publiés chaque jour ouvrable du marché londonien.

Au cours de son existence, il a été associé à plusieurs scandales de manipulation délibérée du taux et ce, par les mêmes banques qui soumettaient leurs estimés quotidiens (Federal Reserve Bank of New York, 2014). En publiant une estimation quotidienne ne serait-ce qu’un point de base plus élevé ou plus faible que l’estimé réel, ces banques avaient le pouvoir de mettre de l’avant leurs intérêts. Notamment, certaines banques ont diminué leurs estimations afin de projeter une stabilité accrue, instaurant ainsi une confiance plus élevée envers leurs activités, alors qu’à d’autres moments, elles ont soumis des estimés alignés avec leurs positions en contrats dérivés afin d’accroître leurs gains.  Par exemple, cela était particulièrement avantageux puisque les contrats dérivés se basent sur un montant notionnel important.

Avec la crise financière de 2008, la fréquence et le poids des transactions interbancaires ont diminué considérablement ayant pour effet d’accroître la prédominance du jugement des banquiers dans leurs soumissions quotidiennes de taux, puisque les banques manquaient de transactions sur lesquelles se baser pour produire une référence représentative du marché.  Pour répondre à ces deux problématiques, il fut décidé en 2014 que la British Bankers Association (BBA), soit l’organisation en charge de superviser et de régulariser le LIBOR, serait remplacée à ce rôle par l’Intercontinental Exchange (ICE).

Malgré ce changement de gouvernance et l’amélioration de la méthodologie de calcul du taux destinés à améliorer la robustesse de celui-ci, les différentes autorités financières ont désormais prévu d’adopter les taux de référence sans risque (RFR) afin de remplacer le LIBOR, mais aussi tous les IBOR.

Lors d’une discussion avec Cindy Veilleux, Directrice du groupe solutions de gestion des risques à la Banque Nationale, celle-ci estime que la transition vers les RFR devient inévitable aux États-Unis, suite à la levée de l’obligation des banques de soumettre leurs estimés quotidiens du taux formant le LIBOR.

Les RFR, qui sont des taux d’intérêt au jour le jour et sans risque, peuvent remplacer les IBOR sur le marché des prêts non-garantis. Comme ils se basent sur des transactions de marché, plus actives, plus liquides et non subjectives il en résulte des taux plus robustes.

Ces caractéristiques des RFR sont alignées avec les principes de l’International Organization of Securities Commission (IOSCO) qui exigent une représentativité des taux vis-à-vis du marché. Également, l’IOSCO exige que les données utilisées pour la construction des RFR soient des prix, des taux, des indices ou des valeurs résultant d’une compétition entre l’offre et la demande, en plus d’être issus de transactions réelles entre un acheteur et un vendeur dans le marché auquel s’intéresse le taux de référence (IOSCO, 2013).

Qu’adviendra-t-il des transactions utilisant le LIBOR à titre de référence? Celles-ci peuvent être classées en trois catégories. Tout d’abord, les contrats arrivant à terme avant la date butoir de la fin du LIBOR, pourront se conclure comme prévu sans renégociation. Toutefois, le défi consiste à adapter les contrats déjà engagés et arrivant à terme après 2021, soit après la discontinuation du taux sur lequel ils sont évalués. La troisième catégorie sera la modification des instruments financiers offerts, mais non engagés, afin que ceux-ci cessent d’utiliser le LIBOR à l’avenir.

Au Canada, le LIBOR sur le dollar canadien n’existe plus depuis 2013. Malgré cela, les entreprises canadiennes peuvent être exposées au risque d’une transition de taux de diverses façons : une entreprise possédant une filiale en sol américain peut avoir contracté une hypothèque basée sur le LIBOR ou encore, peut s’être engagée dans des swaps référençant le LIBOR par exemple.

La situation du Canada est moins alarmante que celle des États-Unis dans un horizon à court terme, en raison de la décision du Canadian Alternative Reference Rate Working Group (CARR) d’entériner deux taux de référence, soit le Canadian Dollar Offered Rate (CDOR) et le Canadian Overnight Repo Rate Average (CORRA).

Il faut s’attendre à un processus en deux temps au Canada concernant la fin de l’utilisation des IBOR. D’abord, les entreprises canadiennes délaisseront leurs contrats associés au LIBOR sur le dollar américain en renégociant bilatéralement au préalable les contrats concernés ou encore, en se basant sur le Fallback Protocol mis en place par l’International Swaps and Derivatives Association (ISDA) pour pallier la discontinuation du taux de référence. Certaines contreparties se tourneront vers des contrats référençant le SOFR, soit le RFR américain de référence.

D’autre part, puisque le LIBOR sur le dollar canadien n’existe plus depuis plusieurs années, les contrats canadiens actuels se basent majoritairement sur le CDOR, soit un IBOR qui, contrairement au LIBOR, n’a pas de date butoir de discontinuation. Il ressemble en plusieurs points au LIBOR, tous deux étant basés sur les soumissions d’un panel de banques et possédant une structure de taux à terme. Toutefois, ils diffèrent du fait que le LIBOR utilise des soumissions sur le taux auquel les banques peuvent emprunter entre-elles, alors que les soumissions composant le CDOR représentent le taux auquel les banques prêtent à des clients corporatifs sous la forme d’acceptations bancaires. Cette différence renforce la fiabilité et la représentativité du CDOR vis-à-vis du LIBOR.

Pourquoi ne pas passer du LIBOR au SOFR directement? Ou encore, pourquoi ne pas procéder dès maintenant à la transition du CDOR au CORRA ? Pour répondre à ces deux questions, il faut prendre en considération que les RFR, bien que plus robustes, n’existent pas sous la forme de taux à terme sans risque. Cela implique de repenser les méthodes d’évaluation des contrats puisque certains nécessitent une structure de taux à terme. Sinon, il faudra songer à faire des compromis car un taux à terme peut ne pas être idéal pour plusieurs intervenants. Par exemple, une entreprise pourrait avoir la possibilité de gérer l’encaisse et le paiement de contrats quelques jours après que le taux ait été fixé plutôt qu’immédiatement. Plus encore, il faut penser au fait que beaucoup d’entreprises utilisent une comptabilité de couverture, laquelle devra être adaptée pour plusieurs raisons, notamment pour représenter la nouvelle valeur marchande des outils financiers suite au changement de taux des contrats, a noté Philippe Seyer-Cloutier, Directeur Général du groupe de négociation de dérivés sur taux d’intérêt à la Banque Nationale, lors d’un entretien.

En conclusion, bien que les contrats de dérivés référençant le CDOR représentent environ 90% des contrats de dérivés engagés au Canada et que le 10% restant est attribuable à ceux sur le CORRA (TMX, 2020), il est estimé que ce ratio s’inverse dans les années à venir, suivant la tendance croissante qui privilégie les RFR aux IBOR. Entre temps, il faut être conscient que la robustesse et la liquidité des RFR proviennent du grand nombre de transactions qui utilisent cette référence et qu’une transition des contrats vers ces taux ne fera que renforcer le marché.