Un homme et une femme se serrent la main dans l’ombre.
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Le 5 avril 2024, la Securities and Exchange Commission (« SEC ») a obtenu gain de cause dans la décision SEC v. Panuwat[i], élargissant ainsi la portée des délits d’initié aux opérations d’initiés parallèles aussi connues sous l’expression anglaise « shadow trading ». C’est la première décision aux États-Unis qui traite du concept de shadow trading.

Qu’est-ce que le shadow trading ?

Une information sur un émetteur assujetti qui est (i) inconnue du public et (ii) susceptible d’affecter la décision d’un investisseur raisonnable est une information privilégiée[ii]. Toute personne qui a une connexité avec l’émetteur assujetti (administrateurs, dirigeants, actionnaire avec 10 % des droits de vote) ou qui obtient une information privilégiée devient un initié et ne peut effectuer d’opération sur les titres de cet émetteur assujetti[iii]. S’il le fait, il commet un délit d’initié.

Il existe 3 principaux types de délits d’initiés :

  1. Opérations directes : Un initié, notamment un dirigeant ou un administrateur, négocie les titres de son émetteur assujetti sur la base d’information privilégiée obtenue en raison de sa position au sein de l’émetteur assujetti.
  2. Tuyautage : Un initié partage une information privilégiée avec un tiers. Ce tiers effectue alors des opérations sur les titres de l’émetteur assujetti sur la base de cette information privilégiée.
  3. Détournement : Une personne effectue des opérations sur la base d’information qu’elle sait avoir été obtenue de manière illégitime, quel que soit son lien avec l’émetteur assujetti.

Dans ces trois cas, il y a utilisation d’information privilégiée d’un émetteur assujetti pour effectuer des opérations sur les titres de ce même émetteur assujetti.

Le shadow trading est, quant à lui, un délit d’initié qui consiste à utiliser de l’information privilégiée relative à un émetteur assujetti afin d’acheter ou de vendre des actions d’un autre émetteur assujetti dont le cours est susceptible d’être affecté par cette information privilégiée. Ce type de délit d’initié est un phénomène qui est largement répandu puisqu’il est plus difficile à détecter par les autorités que les 3 principaux types de délits d’initiés[iv].

L’affaire SEC v. Panuwat

Dans la décision SEC v. Panuwat, Matthew Panuwat (« Panuwat »), un dirigeant de Medivation inc. (« Medivation ») a obtenu de l’information privilégiée à l’effet que les actions de Medivation allaient être achetées par Pfizer pour un montant supérieur à leur prix au marché. Quelques minutes plus tard, Panuwat a acheté des options d’achat sur des actions d’Incyte, une entreprise comparable œuvrant dans la même industrie et le même marché que Medivation. Panuwat misait que l’annonce publique de l’acquisition de Medivation par Pfizer entraînerait une augmentation de la valeur des actions d’Incyte puisque les deux entreprises étaient similaires. Lors de l’annonce de l’acquisition de Medivation, l’action d’Incyte a bondi de 8 %, permettant ainsi à Panuwat de réaliser un profit de 100 000 $ dollars américains.

La SEC a allégué que l’acquisition de titres d’une entreprise comparable, alors que l’on détient des informations privilégiées sur l’acquisition d’un émetteur assujetti, constituait un délit d’initié. La SEC a soutenu que l’acquisition de Medivation aurait été perçue par un investisseur raisonnable comme ayant considérablement modifiée l’ensemble des informations disponibles à l’égard non seulement de Medivation, mais également d’Incyte. Le tribunal a conclu que Panuwat avait commis un délit d’initié, reconnaissant ainsi pour la première fois aux États-Unis la théorie du shadow trading.

Qu’en est-il au Canada ?

De notre côté de la frontière, il n’y a pas encore eu de décision en lien avec le shadow trading. Considérant l’étendue du phénomène de shadow trading, il est fort probable que les régulateurs canadiens en valeurs mobilières y soient confrontés prochainement.

Au Québec, l’article 189.1 de la Loi sur les valeurs mobilières[v] prévoit spécifiquement qu’un initié ne peut pas exploiter une information privilégiée afin d’effectuer des opérations sur les titres d’un autre émetteur assujetti dès lors que leur cours est susceptible d’être influencé par les fluctuations des titres de l’émetteur assujetti dont il détient de l’information privilégiée. La législation québécoise prévoit donc explicitement l’interdiction du shadow trading.

Dans les autres provinces, la législation en matière de délit d’initié n’interdit pas explicitement le shadow trading. Cependant, les régulateurs pourraient invoquer la compétence résiduelle en matière d’intérêt public des tribunaux afin d’obtenir l’imposition de sanctions en lien avec le shadow trading[vi].

Bref, bien que la théorie du shadow trading n’ait pas encore été invoquée devant les tribunaux canadiens, les régulateurs disposent néanmoins des outils nécessaires pour sanctionner cette pratique. Les émetteurs assujettis devraient également mettre à jour leurs politiques internes afin de tenir compte des pratiques de shadow trading. Il reste à voir comment les régulateurs encadreront cette pratique.

Le présent article ne constitue pas un avis juridique.

Par Me Julie-Martine Loranger, Ad.E., avec la collaboration de Yassine Khadir, stagiaire en droit chez McCarthy Tétrault.

[i] Numéro de dossier 21-cv-06322-WHO. La décision a été portée en appel le 8 novembre 2024.

[ii] Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ c. V-1.1, art. 5 (ci-après « LVM »).

[iii] Art. 89 et 187 LVM. Notez qu’au Québec, lorsque l’on obtient de l’information privilégiée, peu importe la manière dont on l’obtient, on devient un initié (art. 189 par. 6 LVM).

[iv] Voir Shadow Trading, M. Mehta, et al, The Accounting Review (juillet 2021), https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3689154; et Shadow Trading and Macroeconomic Risk, Y. Lee et A. Romano, Harvard Business Law Review (2023), https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3731719.

[v] Art. 189.1 LVM.

[vi] Par exemple : Loi sur les valeurs mobilières, L.R.O. 1990, c.-S.5, art. 127.