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Le market timing, c’est quoi ?

Le market timing (1) est une méthode de placement suivant laquelle les détenteurs de fonds achètent et revendent des actifs dans un court laps de temps. Il n’existe pas de définition précise de ce laps de temps, mais tant la Cour supérieure du Québec que la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) ont choisi de retenir un délai de cinq jours (2).

Cette pratique est problématique en ce qu’il a été démontré qu’elle compromet le rendement des placements à plus long terme.

Pour la prévenir, les gestionnaires de fonds imposent habituellement des frais de 2 % lors d’un retrait précipité. Toutefois, aucune loi ne prévoit l’obligation d’imposer de tels frais. Est-ce que cela veut dire que cette obligation n’existe pas ? Bien sûr que non ! Mais alors, comment la définir ? C’est ce dont traite la décision Fischer c. IG Investment (3).

Les faits

Fischer c. IG Investment intervient à la suite de l’enquête de la CVMO sur les pratiques commerciales de market timing, laquelle l’avait menée à conclure des accords de règlement d’une valeur de plus de 200 millions de dollars avec cinq gestionnaires de fonds ayant omis d’imposer des frais pour contrer le market timing. La décision Fischer analyse les recours de détenteurs de parts gérées par deux de ces gestionnaires.

Les demandeurs reprochent aux gestionnaires de ne pas avoir empêché et, même, d’avoir facilité la pratique de négociation dite de market timing.

Ironiquement, les prospectus de ces fonds communs de placement présentaient un avertissement à l’effet que les opérations fréquentes nuisaient aux fonds et pouvaient entraîner des frais allant jusqu’à 2 %. Or, malgré le contenu de leurs prospectus, les défendeurs n’ont pas seulement négligé de prendre des mesures pour empêcher les opérations fréquentes ou de facturer les frais prévus dans leurs prospectus lorsqu’elles se produisaient, ils ont facilité les opérations fréquentes en concluant des « accords de conversion » qui permettaient à certains investisseurs d’entrer dans des fonds et d’en sortir moyennant des frais de seulement 0,2 %.

Analyse et points importants

La cour ontarienne, analysant, entre autres, le devoir de diligence qui s’impose aux gestionnaires de fonds, enseigne ceci :

• On ne s’attend pas d’un gestionnaire qu’il agisse parfaitement, mais il doit agir avec le soin, la diligence et la compétence d’une personne raisonnablement prudente placée dans les mêmes circonstances et sur la base des normes en vigueur au moment où il agit ;

• Il doit prendre des mesures raisonnables pour prévenir les dommages et diminuer le risque de préjudice des investisseurs. En ce sens, il n’est pas nécessaire que les gestionnaires aient une connaissance réelle du préjudice pour mettre en place les mesures requises pour le prévenir. En l’instance, le préjudice causé aux investisseurs à long terme n’était pas seulement prévisible : il était mentionné au prospectus ;

• Un gestionnaire doit enquêter sur les activités inhabituelles et mener une analyse pour étayer sa prise de décision. Bien qu’il n’ait pas à comprendre la stratégie de chacun de ses investisseurs, il a l’obligation d’examiner les opérations inhabituelles effectuées par ceux-ci. De plus, le gestionnaire doit conserver les traces contemporaines de cette analyse ;

• Lorsque le gestionnaire se base sur un conseil juridique pourprendre une décision, sa confiance en ce conseil doit être justifiée. En l’espèce, la cour n’a pas pu accorder de poids à l’allégation voulant que les gestionnaires se soient basés sur de tels conseils puisque ceux-ci n’ont pas divulgué la teneur de l’avis juridique reçu ;

• Un gestionnaire doit avoir une connaissance générale des pratiques engagées par ses pairs ;

• La règle de l’appréciation commerciale ne s’applique qu’aux décisions éclairées et effectuées avec un degré raisonnable de prudence et de diligence ; et

• L’information communiquée aux investisseurs doit être claire.

La cour ontarienne ajoute qu’un prospectus doit recevoir une interprétation large et libérale en faveur des investisseurs. Finalement, la cour conclut que l’absence d’exigence réglementaire n’est pas déterminante pour définir l’étendue de l’obligation d’un gestionnaire. Selon elle, parfois, le législateur s’abstient de légiférer sur des pratiques afin que celles-ci puissent être interprétées avec plus de souplesse. Ce faisant, le tribunal a retenu la responsabilité des gestionnaires à l’égard des détenteurs de placements à long terme.

1 Ravary c. Fonds mutuels CI inc., 2022 QCCS 1689; il ne semble pas y avoir de traduction auprès de nos tribunaux québécois.

2 Ibid.

3 2023 ONSC 915.

avec la collaboration de Me Kevin Pinkoski, Me Pierre-Gabriel Grégoire, CPA, et Cassiopée Mailloux-Boucher, stagiaire en droit.

Le présent article ne constitue pas un avis juridique.