homme qui signe un papier
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La vente à découvert de titres (short selling), est une pratique qui fait l’objet d’un examen de plus en plus approfondi des autorités de régulation des marchés financiers. La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) a récemment initié une procédure d’application de la loi contre un courtier en investissement, son responsable des marchés de capitaux et leur client, alléguant que des ventes à découvert illégales et abusives ont été effectuées en prévision d’un placement privé. Cette action réglementaire souligne la nécessité pour les investisseurs de prendre conscience des risques associés à la vente à découvert.

La vente à découvert  

La vente à découvert est une stratégie employée par des investisseurs chevronnés pour profiter de la baisse du cours d’une action. Cette stratégie leur permet de parier sur la baisse d’un titre. Normalement, les investisseurs achètent des actions avec espoir que leurs valeurs augmentent afin de réaliser un profit en les revendant à un prix plus élevé. À l’inverse, la vente à découvert permet de réaliser un profit lorsque le cours du titre diminue. Pour ce faire, un investisseur emprunte une valeur mobilière, la vend sur le marché avec l’intention de la racheter dans le futur afin de rembourser le prêt initial avec l’action. Si le prix de l’action a diminué entre la vente et le rachat de l’action, l’investisseur engendrera un profit. Ainsi, la vente à découvert consiste à une prise de position, sur la base d’une hypothèse que des événements futurs entraîneront la baisse de la valeur du titre, permettant ainsi au vendeur à découvert de réaliser un profit.

Une pratique risquée

Pour l’investisseur averti, la vente à découvert présente des avantages. Elle permet de réaliser rapidement un gain si le cours du titre baisse, elle apporte une diversification des risques dans un portefeuille, et elle nécessite une mise de fonds initiale moindre parce que l’investisseur emprunte une valeur mobilière plutôt que de devoir débourser des fonds pour l’acheter.

Cependant, cette stratégie est une opération risquée vu qu’elle peut entraîner des pertes potentielles illimitées. En effet, si le cours de l’action s’envole à la suite d’un événement, l’investisseur devra débourser d’importantes sommes pour racheter son action afin de rembourser son prêt initial avec celle-ci. De plus, les contrats de vente à découvert ont souvent des frais de négociation plus élevés.

Le contexte canadien

La loi sur les valeurs mobilières (la « LVM »), conformément à la législation des autres provinces, interdit expressément les opérations trompeuses ou manipulatrices et confère un large pouvoir discrétionnaire aux tribunaux pour sanctionner toute personne qui, de l’avis du tribunal, a eu un comportement contraire à l’intérêt public. En l’absence d’une définition de l’intérêt public dans la loi, les tribunaux sont en mesure de sanctionner toute personne ou entité nuisant à l’intérêt public selon la conception du régulateur, même si ces personnes n’ont pas enfreint expressément une section de la LVM.

À titre d’exemple, le gouvernement de l’Ontario a récemment publié un rapport définitif émanant du Groupe de travail sur la modernisation relative aux marchés financiers, dans lequel il a proposé l’interdiction de la vente à découvert avant les offres de titres par prospectus et les placements privés. Selon la proposition principale, qui n’a pas encore force de loi, les participants au marché seraient dans l’incapacité d’acquérir des titres dans le cadre d’une offre s’ils ont une position courte sur le même titre.

En outre, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) a publié des directives en matière de vente abusive à découvert. Plus spécifiquement, la vente de titres empruntés dans le but de faire baisser leur prix avant une offre, afin de profiter de la différence de prix, devrait être signalée à la CVMO et à l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM). Ces mesures ont été prises pour assurer l’intégrité et la transparence des marchés financiers en Ontario, et pour protéger les investisseurs contre les pratiques commerciales trompeuses et manipulatrices.

Allégations récentes de la CVMO

Dans l’affaire Cormark Securities et al, une procédure en cours à la CVMO où les allégations ne sont pas encore prouvées, un courtier en investissement, son responsable des marchés de capitaux et un investisseur sont tous accusés d’avoir profité d’une cliente, une entreprise émettrice qui s’apprêtait à lever 25 millions de dollars (M$). Selon les allégations de la CVMO, l’investisseur a fait une vente à découvert des actions de la cliente dans le marché secondaire, a acheté le même nombre d’actions de cette cliente à rabais par le biais d’un placement privé subséquent, a échangé ces actions par des actions ordinaires grâce à une convention de prêt de titres avec un directeur de l’entreprise, et a ensuite utilisé ces actions ordinaires pour régler la vente à découvert. D’après la CVMO, ce stratagème a permis à l’investisseur d’être assuré de faire un profit à cause du rabais offert sur les actions acquises via le placement privé.

Il est important de noter que les allégations de la CVMO contre Cormark sont encore à l’étape d’allégations non prouvées. La CVMO accuse Cormark d’avoir participé à une distribution illégale des actions acquises en placement privé, d’avoir enfreint le devoir du courtier d’agir de manière équitable, honnête et avec bonne foi, et d’avoir porté atteinte à l’intérêt public. Ces allégations soulignent la préoccupation croissante des régulateurs à l’égard des pratiques potentiellement illégales de vente à découvert et de leur impact sur l’intégrité des marchés financiers.

Points clés à retenir

Les régulateurs canadiens ont de plus en plus recours à leur compétence en matière d’intérêt public pour imposer des normes de comportement qui vont au-delà des exigences spécifiques de la LVM et pour sanctionner des pratiques qui vont à l’encontre de leur conception de l’intérêt public. En plus des infractions potentielles à la LVM liées à la vente à découvert, les procédures de mise en application pourraient également être fondées sur des allégations de délit d’initié ou de manipulation du marché.

Les participants au marché devraient examiner périodiquement et attentivement leurs politiques et procédures internes concernant la vente à découvert de titres lors d’une offre afin d’éviter les risques réglementaires et juridiques potentiels, notamment les allégations de délit d’initié, de manipulation de marché, et de pratiques portant atteinte à l’intérêt public.

Le présent article ne constitue pas un avis juridique.