Recours collectif de 15 M$ autorisé contre une caisse de St-Sauveur

Cette situation peut sembler simple à première vue. En effet, selon les lois fiscales canadiennes et québécoises, la réception d’un don n’a généralement aucune répercussion pour le donataire (Gregory) puisque c’est le donateur (Isabelle) qui doit s’imposer, s’il y a lieu, sur le gain en capital réalisé lors de la disposition réputée du portefeuille à sa juste valeur marchande (« JVM »).

Dans notre exemple, Isabelle est réputée avoir disposée de son portefeuille pour un produit de disposition égale à sa JVM, soit 500 000 $. Si le prix de base rajusté (« PBR ou coût fiscal ») de ce portefeuille était de 300 000 $, elle réaliserait un gain en capital de 200 000 $. Cependant, puisqu’elle n’est pas résidente fiscale canadienne et qu’elle n’a pas disposé d’un bien canadien imposable, Isabelle ne sera pas tenue de produire une déclaration d’impôt au Canada relativement au don effectué en faveur de Gregory. Notez que pour les fins de notre exemple, Gregory est un citoyen et résident fiscal canadien. Il n’a aucun lien par ailleurs avec la Belgique.

Une situation pourtant simple est en fait très complexe puisqu’il y a un démembrement de la propriété, soit le portefeuille, afin d’en séparer le droit au revenu du droit au capital. Au moins cinq questions fiscales sont soulevées par la transaction proposée :

1) Est-ce que le don du portefeuille en faveur de Gregory représente un droit de participation, pour ce dernier, à une fiducie réputée et non-résidente du Canada ?
2) Quel est le PBR ou coût fiscal pour Gregory du portefeuille qu’il va recevoir ?
3) Qui sera imposable sur les revenus et les gains en capital réalisés sur le portefeuille ? Et dans quel(s) pays ?
4) Quel sera le traitement fiscal des frais de gestion ?
5) Quelles sont les obligations de production de déclarations de revenus ?

Nous commenterons chacune de ces questions sans toutefois pouvoir déterminer toutes les conséquences fiscales puisque la collaboration d’un fiscaliste belge serait requise dans une telle situation.

1. Est-ce que le don du portefeuille en faveur de Gregory représente un droit de participation, pour ce dernier, à une fiducie réputée et non-résidente du Canada ?

Selon les autorités fiscales*, la création d’un usufruit à partir d’une juridiction étrangère n’est généralement pas assimilée à l’établissement d’une fiducie en droit fiscal canadien. C’est donc une bonne nouvelle puisque l’inverse créerait des obligations fiscales considérables pour Gregory.

2. Quel est le PBR ou coût fiscal pour Gregory du portefeuille qu’il va recevoir ?

Gregory sera réputé acquérir la nue-propriété du portefeuille au moment de la donation pour une somme égale à sa JVM. Cependant, la JVM de la nue-propriété se doit d’être inférieure à la JVM du portefeuille, soit 500 000 $, puisqu’elle n’inclut pas l’usufruit de ce dernier. Cette position des autorités fiscales** soulève donc une problématique d’évaluation de la JVM de la nue-propriété.

3. Qui sera imposable sur les revenus et les gains en capital réalisés sur le portefeuille ? Et dans quel(s) pays ?

Pour ce qui est des intérêts et dividendes gagnés sur les placements, c’est généralement l’usufruitier (Isabelle) qui sera imposable sur ces revenus. Puisqu’Isabelle n’est pas résidente fiscale canadienne, elle sera uniquement imposée en Belgique.

Pour ce qui est des gains en capital, c’est Gregory, à titre de nu-propriétaire, qui devra s’imposer sur les plus-values réalisées. Bien que le portefeuille soit géré et détenu auprès d’une institution financière belge, Gregory sera tout de même imposable au Canada sur les gains en capital. En effet, à titre de résident fiscal canadien, Gregory est imposable sur ses revenus de source mondiale.

Cette réalité soulève une autre problématique puisque l’acte notarié prévoit que les plus-values réalisées devront être réinvesties dans le portefeuille jusqu’au décès d’Isabelle. Plus particulièrement, Isabelle conservera l’usufruit des sommes réinvesties. Ainsi, Gregory ne disposera d’aucune liquidité provenant du portefeuille de placement afin d’acquitter ses impôts canadiens.

4. Quel sera le traitement fiscal des frais de gestion ?

Gregory ne pourra pas déduire les frais de gestion, si ceux-ci étaient à sa charge, puisque cette dépense ne serait pas effectuée en vue de réaliser un revenu de bien puisqu’il n’a pas l’usufruit du portefeuille de placement.

5. Quelles sont les obligations de production de déclarations de revenus ?

D’une part, puisque le coût indiqué de son droit de nu-propriétaire sur le portefeuille de placement étranger excède 100 000 $*** , Gregory devra produire un formulaire T1135 « Bilan de vérification du revenu étranger » annuellement.

Par ailleurs, une position des autorités fiscales**** quelque peu contradictoire avec les commentaires exprimées précédemment semble suggérer l’existence d’une fiducie qui serait dissoute au moment de l’extinction de l’usufruit, soit au décès d’Isabelle. Si cette position s’avérait juste, il est possible que Gregory doive produire le formulaire T1142 « Déclaration de renseignements sur les distributions effectuées par une fiducie non-résidente et sur les dettes envers celle-ci » dans l’année du décès d’Isabelle puisqu’il aurait reçu une distribution d’une fiducie non-résidente.

Rappelons que les pénalités pour défaut de production des formulaires T1135 et T1142 sont généralement de 25 $ par jour jusqu’à un maximum de 100 jours (minimum 100 $ et maximum 2 500 $). Cependant, ces pénalités pourraient être beaucoup plus importantes lorsque l’omission de produire est faite sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde.

En attendant qu’une interprétation technique des autorités fiscales soit publiée afin de statuer de manière plus précises les conséquences fiscales discutées dans cette chronique, je vous conseille d’être prudent avant de mettre en place une telle stratégie et de consulter, au besoin, un fiscaliste du pays étranger.

* Voir la question 19 de la table ronde 2012 de l’APFF sur la fiscalité des stratégies financières et des instruments financiers.
** Voir l’interprétation technique 2001-0109445.
*** Voir l’interprétation technique 2000-0048405E.
**** Voir l’interprétation technique 2004-0091721E5.

Photo Bloomberg