La philanthropie demeure un angle mort de la gestion de patrimoine. Alors que 90 % des conseillers estiment aborder le sujet avec les clients, seulement 13 % de ces derniers confirment en avoir réellement discuté avec leur professionnel, selon une enquête d’Épisode, ce qui traduit un décalage.
Pourtant, la philanthropie fait partie intégrante de la planification financière, au même titre que la fiscalité, la retraite ou la succession, a rappelé Janie Provencher Blais, vice-présidente aux services de planification successorale pour les marchés avancés chez RBC Gestion de patrimoine.
Bien encadré, le don peut devenir un puissant moteur de transmission de valeurs, d’optimisation fiscale et d’engagement intergénérationnel, insiste la planificatrice. En ouvrant tôt la discussion et en proposant des solutions accessibles, les conseillers peuvent transformer un geste ponctuel en engagement durable, voire en projet familial.
De la spontanéité à la stratégie
La plupart des donateurs se limitent à des contributions spontanées, faute d’information. « L’objectif, c’est d’amener ces donateurs un peu plus loin en leur apportant les connaissances nécessaires », souligne Janie Provencher Blais. Derrière les économies fiscales se trouvent aussi des motivations plus larges : aider les clients à maximiser leur impact, à transmettre leurs valeurs et à intégrer la philanthropie dans leur stratégie financière globale.
L’experte en a fait l’expérience elle-même. Présidente du conseil d’administration du Collège Marie-de-l’Incarnation à Trois-Rivières, son alma mater, et coprésidente de sa campagne de financement, elle a vu comment un don spontané peut se transformer en un engagement durable. « Un don, c’est comme toute autre dépense importante : il se planifie et se structure. Et quand on l’optimise, les clients donnent davantage », déclare-t-elle.
Oser aborder le sujet
Beaucoup de conseillers hésitent à ouvrir la discussion, par peur de paraître intrusifs, constate la planificatrice financière. « Pourtant, la première étape est simple : poser la question. Les clients donnent-ils déjà ? À qui ? Pourquoi ? Souhaitent-ils s’impliquer autrement ? »
La plupart contribuent par de petits dons dispersés, souvent par carte de crédit, sans stratégie précise autre que d’accumuler des points de récompense.
Les Québécois donnent en moyenne 422 $ par année, selon Épisode. Un montant qui pourrait grimper significativement chez les clients disposant d’un patrimoine investi. Or, faute d’encadrement, leurs dons restent fragmentés et peu efficaces. « C’est là qu’on peut intervenir en intégrant leur don à la planification financière », insiste la fiscaliste.
Don personnel, corporatif ou de titres ?
Lorsqu’un don est fait à titre personnel, les crédits d’impôt fédéral et provincial pour dons cumulés peuvent atteindre 53,31 % pour les contribuables qui gagnent un revenu se situant dans la tranche supérieure de revenu imposable. Pour un don de 5 000 $, le crédit d’impôt total s’élève à 2 665 $. Le coût du don revient donc à environ 47 %, soit près de 2 335 $.
Si le même don est fait par l’intermédiaire d’une société de gestion, le coût fiscal diminue à près de 41 %. L’écart peut sembler mince, mais il devient significatif lorsqu’on mobilise les autres outils disponibles, explique Janie Provencher Blais.
C’est ici que la stratégie du don de titres change la donne. Plutôt que de vendre un titre, payer l’impôt sur le gain et ensuite faire un don en argent, un client peut transmettre directement des actions cotées via sa société.
Cette stratégie élimine l’impôt sur le gain et ajoute la totalité du gain au compte de dividendes en capital (CDC). Résultat : pour un don de 5 000 $, le coût net peut descendre jusqu’à 682 $, soit environ 14 % du don. Une différence appréciable par rapport à un don spontané payé à même les liquidités.
Le fonds de dotation pour structurer
L’étape suivante consiste à mettre en place un fonds de dotation pour structurer des dons plus importants. Moins complexe qu’une fondation privée, ce fonds permet de transférer un montant important — souvent 25 000 $ ou plus — idéalement en titres, en une seule opération. « Les sommes sont investies et génèrent un budget de dons annuel. Le client peut ensuite donner à son rythme, tout en maintenant un cadre fiscal optimal. »
Pour M. et Mme Tremblay (cas fictif), un couple d’entrepreneurs qui effectuaient chaque année des dons personnels de 2 000 à 3 000 $ sans structure, le fonds de dotation a fait une grande différence, signale Janie Provencher Blais. En regroupant leurs dons futurs en un seul montant alimenté en titres, ils ont réduit leur coût net de don tout en augmentant leur capacité philanthropique. Surtout, ils disposent désormais d’un outil stable et pérenne.
Un outil d’éducation financière pour la relève
Le fonds de dotation permet aussi d’impliquer la génération suivante. « Certains parents cherchent des moyens concrets d’initier leurs enfants aux finances personnelles, au budget et à l’investissement. Le budget philanthropique devient alors un excellent terrain d’apprentissage », observe Janie Provencher Blais.
Les jeunes participent au choix des causes, découvrent le fonctionnement des marchés et comprennent la notion d’impact. Cette implication permet de transmettre des valeurs familiales et d’avoir de l’impact au-delà de la prochaine génération.