Des personnes qui discutent ensemble de façon animée.
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Perdre l’accès au conseil financier pour les clients les moins fortunés constitue un risque de conséquence inattendue découlant de l’intention des organismes de réglementation en assurance d’encadrer ou d’interdire les séries de fonds distincts en rétrofacturation du conseiller.

C’est l’un des messages qu’ont livré deux dirigeants du secteur de la distribution d’assurance de personnes, lors du Congrès de l’assurance de personnes, le 15 novembre, à Montréal.

« Les personnes qui essaient d’épargner 2000 $, 5000 $ ou 10 000 $ par année, que ce soit dans les régions ou dans les grandes villes, ce sont des gens qui ont le plus besoin de conseils, mais il n’y aura pas de conseillers pour leur en donner », anticipe Phil Marsillo, président et chef de la direction d’IDC Worldsource Insurance Network Inc, si les régulateurs abolissaient les séries avec rétrofacturation du conseiller.

« Il va y avoir beaucoup moins de personnes qui ont moins de moyens et des jeunes familles qui n’auront plus accès au conseil », a prévenu Pierre Vincent vice-président principal, Distribution et développement de produits, chez iA Groupe financier.

Rappelons que le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA) et les Organismes canadiens de réglementation en assurance (OCRA) ont consulté l’industrie sur les modes de souscription à l’achat des contrats de fonds distincts. Ils fixent leur mire sur la rétrofacturation, le modèle de rémunération où c’est l’intermédiaire, et non le client, qui rembourse à l’assureur la totalité ou une partie de la commission perçue à la souscription d’un fonds distinct si son client retire des fonds pendant la période de rétrofacturation, laquelle varie de deux à cinq ans selon l’assureur.

Selon Phil Marsillo, contrairement aux frais d’acquisition reportés qui facturent le client lorsqu’il veut décaisser, la série avec rétrofacturaction ne pénalise pas le client s’il souhaite racheter ses parts.

« Le client peut sortir quand il veut. Comme agent général, ce n’est pas la meilleure situation parce qu’il y a des risques. Mais je fais partie de l’industrie et c’est meilleur pour le client. Le conseiller dit : ‘‘Je prends ma commission upfront, mais j’ai un risque de charge back pendant une période de 3 ans’’. C’est juste un mode de financement pour le conseiller qui permet à des gens de venir dans le domaine », a-t-il expliqué.

Selon lui, ce genre de séries rend responsable le conseiller, qui a intérêt à bien servir son client afin que celui-ci ne retire pas ses billes.

Pierre Vincent convient que les clients se plaignaient parfois des FAR, car il y a un risque de mauvaise interprétation de la part du client. Or, iA n’a jamais eu une plainte en 25 ans à propos des séries à rétrofacturation. « Les clients sont très bien servis. Ils peuvent prendre leur argent et l’amener ailleurs s’ils ne sont pas contents avec les services de leurs conseillers », a-t-il noté.

Selon les deux dirigeants, ce mode de rémunération permet de financer les conseillers qui commencent dans leur carrière et l’éliminer nuirait à l’accès au conseil à ceux qui ont moins d’argent, y compris aux jeunes familles qui souhaitent mettre en place un REEE.

Actuellement, beaucoup de conseillers d’iA les éduquent, font une analyse de leur besoin, leur communiquent une information pour qu’ils puissent commencer à mettre de l’argent de côté.

« Par exemple, pour un dépôt de 200 $ par mois, à 4 % de commission, ça fait 96 $ par année, a précisé Pierre Vincent. Mais si le conseiller est payé à 0,75 % sur les actifs, ça va faire 9 $ pour sa première année, parce qu’il va avoir 1200 $ en moyenne durant année. Pour 9 $, qui va passer 5 à 7 heures pour trouver un client, pour travailler avec lui, l’éduquer et commencer à mettre un plan en place? Ça ne se fera pas. »

Selon lui, pour qu’un conseiller reste dans l’industrie, il doit atteindre un seuil de revenu annuel de 50 000 $, ce qui serait difficile pour un conseiller qui se concentre dans l’offre de produits d’investissement.

« Faire une offre globale, offrir de l’assurance, bien répondre aux besoins des clients c’est la clé, mais on risque d’avoir beaucoup moins de conseillers qui vont avoir du succès et qui vont venir dans l’industrie pour servir des nouvelles familles », a ajouté Pierre Vincent.

Phil Marsillo a souligné que la rétrofacturation ne coûte pas plus cher à l’assureur, car, après cinq ans, la rémunération est la même que celle reçue selon un mode de commission nivelée. « C’est un mode de financement. La compagnie d’assurance fait un prêt. Au bout de 5 ans, c’est la même rémunération. C’est juste une avance de commission. Si le client décide de sortir, le client peut le faire et le conseiller (rembourse) », a-t-il noté.

L’objectif de la consultation du CCRRA est notamment d’éviter l’arbitrage réglementaire entre les fonds communs et les fonds distincts et favoriser l’adéquation entre les besoins des conseillers, des assureurs et des consommateurs, a expliqué Éric Jacob, surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution, à l’AMF. Selon lui, l’utilisation des séries à rétrofacturation doivent être transparentes.

« Je vous crois que vous n’avez pas eu de plainte dans les 25 dernières années sur le modèle du chargeback, mais très souvent les gens ne sont même pas au courant de cette mécanique-là, que le conseiller doit repayer le bout qu’il y a financé », a indiqué Éric Jacob, en réponse à Pierre Vincent.

Par ailleurs, dans sa consultation, le CCRRA, dont fait partie l’AMF, souligne que ces séries font qu’un conseiller pourrait inciter un client à ne pas retirer son argent d’un fonds distinct, même si c’est dans son intérêt supérieur. Dans le panel, Éric Jacob a tenté de faire valoir un argument analogue. « Dans la période où les taux d’intérêt des hypothèques vont augmenter, et le client va voir ce nouveau conseiller qui commence et lui demande : Est-ce que je devrais rembourser mon hypothèque ou laisser mes fonds dans ça? Si le consommateur retire ses billes et le conseiller doit payer 3000 $… », a-t-il dit avant de se faire interrompre, signe que le débat soulève les passions.

À un autre moment, Pierre Vincent a souligné que, si un client devait payer 300 $ pour la venue d’un conseiller à domicile, à l’instar du coût pour faire venir un réparateur de cuisinière, bon nombre de clients abandonneront et se priveront de conseils financiers.

Selon Éric Jacob, l’industrie devrait éviter de dépendre d’un mode de rémunération afin de recruter des nouveaux conseillers. « D’attirer, de recruter et de conserver des conseillères et des conseillers est une question beaucoup plus structurelle que la simple rémunération. Il faut réfléchir. C’est vrai en assurance et c’est vrai dans d’autres secteurs. Il faut réfléchir plus globalement sur comment on attire de nouveaux candidats et sur comment on les conserve. »

Éric Jacob a évoqué différentes questions soulevées par la consultation. « Comment l’assureur peut faire pour bien rémunérer son réseau de distribution. Comment on peut plus être créatif? Aujourd’hui, il y a toutes sortes de mécanismes pour être efficace. Est-ce qu’on peut créer l’accessibilité à des produits qui sont plus simples et moins coûteux pour la population ? », a-t-il noté.

« Comment fait-on pour traiter avec efficacité les conflits d’intérêts créés par la rémunération au moment de la souscription, laquelle peut entraîner un décalage entre l’intérêt des assureurs, des intermédiaires et des clients? », a-t-il ajouté.