Un homme d'affaire qui réfléchit. Devant lui on voit des bulles avec plusieurs sortes de graphiques.
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La longue interdiction d’opérations imposée aux 11 fonds négociés en Bourse (FNB) d’Emerge Canada, associée au silence radio prolongé qui a marqué la durée de l’interdiction, a suscité une grande frustration chez les détenteurs de parts. Plusieurs d’entre eux ont déclaré à Investment Executive que cette expérience les avait rendus plus méfiants à l’égard des FNB et qu’ils comptaient maintenant limiter leurs investissements aux manufacturiers de FNB bien établis uniquement.

Cette situation est « un œil au beurre noir affiché pour les marchés financiers canadiens », déplore Yves Rebetez, partenaire de Credo Consulting à Oakville, en Ontario, et d’autres acteurs de l’industrie qui espèrent que la réglementation propre aux FNB sera appliquée à l’avenir.

Lui et d’autres acteurs du secteur espèrent que le secteur des FNB et les autorités de régulation tireront des leçons de la façon dont toute cette affaire s’est déroulée.

Voici quelques solutions qui permettraient de renforcer la confiance dans le secteur canadien des FNB.

Exiger des mises à jour plus fréquentes

Il existe un précédent qui permet aux régulateurs d’exiger de la part des émetteurs qu’ils fassent des mises à jour fréquentes lorsqu’ils sont visés par une interdiction d’opérations sur valeurs mobilières.

Les ordonnances d’interdiction d’opérations sur titres sont volontaires et interdisent à certains initiés et dirigeants d’effectuer des opérations sur un titre. Elles peuvent notamment être émises lorsqu’un émetteur assujetti ne dépose pas ses états financiers à temps.

Pendant la durée d’une ordonnance d’interdiction d’opérations sur titres, l’émetteur doit publier des rapports bihebdomadaires sur l’état des manquements. Ceux-ci doivent indiquer tout changement pertinent dans les informations importantes, et faire une mise à jour sur la manière dont l’émetteur tente de remédier à la situation qui a mené à l’ordonnance. Toutefois, la production de ces rapports n’est plus requise dès qu’une interdiction d’opérations sur valeurs mobilières est émise.

La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) pourrait-elle alors exiger que la diffusion de mises à jour périodiques soit maintenue dans le cadre d’une interdiction d’opérations sur valeurs mobilières ?

« Les FNB Emerge ont fait l’objet d’une interdiction d’opérations sur valeurs mobilières générale pour avoir omis de déposer les documents d’information continue spécifiés, indique JP Vecsi, le porte-parole de la CVMO, dans une réponse envoyée par courriel à cette question. Une interdiction d’opérations sur valeurs mobilières pour défaut de dépôt d’information ne sera généralement pas révoquée, à moins que l’émetteur n’ait déposé les documents manquants. Pour cette raison, il n’y a donc généralement pas de mise à jour à fournir tant que l’émetteur ne sait pas quand il déposera les documents d’information manquants. »

JP Vecsi signale toutefois que la CVMO s’était assurée qu’Emerge communique avec les détenteurs de parts pendant la durée de l’interdiction d’opérations sur valeurs mobilières.

« Au cours de notre surveillance d’Emerge, nous avons veillé à ce qu’elle tienne les investisseurs des fonds informés de l’interdiction d’opérations sur valeurs mobilières, et de la dissolution subséquente des fonds par divers moyens, y compris des communiqués de presse, des lettres aux investisseurs, en exigeant qu’elle maintienne activement [son] site Web avec une page aisément accessible, dédiée aux questions des investisseurs sur la liquidation et les restrictions de négociation. Nous avons aussi contrôlé qu’elle répondait aux questions des investisseurs », a-t-il rapporté.

Yves Rebetez trouve étranges les exigences disparates imposées en matière d’information dans le cadre d’une ordonnance d’interdiction d’opérations sur titres, et d’une interdiction d’opérations sur valeurs mobilières, en particulier lorsque cela concerne des FNB qui sont commercialisés comme étant transparents et liquides.

« Cela fait-il du sens d’avoir des mises à jour chaque deux semaines dans un cas et de n’en avoir aucune pendant une longue période dans l’autre ? À mon avis, cela devrait être amélioré. Les investisseurs vous font confiance et placent de l’argent dans vos fonds. Vous leur devez autre chose que de communiquer quand cela vous arrange ».

Dan Hallett, vice-président de la recherche et directeur chez HighView Financial Group, à Oakville, en Ontario, aime l’idée d’une communication accrue sur les fonds au moment d’une interdiction d’opérations sur valeurs mobilières. Toutefois, il souligne qu’il faut également tenir compte de la charge réglementaire. « Nous ne voulons pas imposer une obligation à tous pour un scénario qui se produit rarement », avance-t-il, en référence au fait que l’interdiction d’opérations sur valeurs mobilières concernait une famille de FNB et qu’il s’agissait de la première fois qu’une telle situation survenait.

Améliorer les comités d’examen indépendants

Le comité d’examen indépendant (CEI) d’un fonds examine les conflits d’intérêts signalés par le gestionnaire. Les rapports déposés entre 2020 et 2023 par le CEI pour les 11 FNB Emerge ne contenaient aucune note ou renvoi relativement à des créances ou à des discussions connexes. À la suite de l’interdiction d’opérations sur titres, les experts du secteur avec lesquels nous nous sommes entretenus ont expliqué que les mandats encadrant l’action des CEI sont assez limités.

Les régulateurs demandent maintenant aux comités d’examen indépendant d’élargir leur champ d’action.

La semaine dernière, la CVMO et l’Autorité des marchés financiers (AMF) ont appelé les gestionnaires de fonds à « adopter une vision large de ce qui constitue une “question de conflit d’intérêts” et à pécher par excès de prudence en soumettant un conflit d’intérêts réel ou perçu au CEI ».

Les régulateurs ont également souligné que les gestionnaires de fonds devraient être prêts à identifier de nouveaux conflits opérationnels.

« La complexité croissante de la réglementation et des opérations de gestion des fonds d’investissement fait qu’il est approprié que le [gestionnaire de fonds] se concentre de manière continue et spécifique sur l’identification de nouveaux conflits d’intérêts et qu’il les soumette au CEI pour recommandation ou approbation », ont déclaré la CVMO et l’AMF dans leurs lignes directrices.

JP Vecsi a affirmé à Investment Executive que l’examen du CEI n’avait pas été influencé par une entreprise ou une situation quelconque.

Soutenir les petits FNB, les acteurs

Karl Cheong, investisseur et ancien dirigeant de l’industrie des FNB à Toronto, estime que les FNB peu négociés sont désavantagés, car leurs prix ne reflètent pas nécessairement la valeur réelle des titres sous-jacents du fonds.

« Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières et la communauté des FNB ont besoin d’une solution pour les évaluations de fin de journée afin d’assurer une cohérence et que la valeur réelle soit reflétée ; [sinon] les investisseurs et les conseillers [pourraient] hésiter à acheter auprès d’un fournisseur plus petit avec des volumes moindres », affirme-t-il.

JP Vecsi suggère que le secteur des FNB aille plus loin et crée un fonds de compensation pour les pertes subies par les investisseurs en cas de fermeture inattendue d’un gestionnaire de FNB.

« Je pense qu’une initiative à l’échelle du secteur serait utile, plutôt que de tout faire peser sur les épaules des nouveaux venus. Cela servirait le bien du secteur et du grand public. »

Karl Cheong est favorable à l’utilisation de mesures incitatives dédiées aux entrepreneurs désireux de lancer de nouvelles entreprises dans le secteur des services financiers. Il croit néanmoins que toute personne souhaitant développer une société de FNB doit disposer d’un capital suffisant pour satisfaire aux exigences réglementaires et maintenir les fonds prévus pendant plusieurs années.

« Lorsque vous effectuez des tests de résistance, si vous pariez sur des fonds thématiques qui ont tendance à être très cycliques, vous devez connaître à l’avance le capital nécessaire pour soutenir une telle initiative, commente Karl Cheong. Vous ne voulez pas vous retrouver à court de capitaux dès que les performances commencent à faiblir et que les investisseurs fuient vos fonds. »

En outre, « les entrepreneurs qui se lancent dans le secteur des FNB doivent avant tout s’assurer que les capitaux des investisseurs ne sont pas menacés, ou qu’ils ne risquent pas de se retrouver dans une situation où ils ne seront plus accessibles. C’est particulièrement important dans le secteur des FNB où nous sommes réputés pour notre liquidité », dit-il. « Nous ne sommes pas le marché de la dette privée. »

Selon Karl Cheong, les dirigeants d’une société de FNB ont non seulement une obligation fiduciaire à l’égard de leurs détenteurs de parts et de leurs investisseurs, mais aussi le devoir d’agir de manière responsable afin de ne pas nuire à la confiance envers le secteur des FNB, qui existe depuis 34 ans au Canada.

« Pour l’investisseur final, notre principal attrait, c’est sa confiance et sa volonté d’acheter nos produits », conclut-il.