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Revenu Québec (RQ) refuse de suspendre l’émission de nouvelles cotisations fiscales en lien avec le partage de commissions entre un représentant épargne collective (REC) et son cabinet en assurance de personnes. Et ce, même si l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI) planche sur un projet de modification des règles favorisant la constitution en société par les REC et attend d’obtenir des informations de l’Agence du revenu du Canada (ARC) pour le finaliser.

En septembre, Gilles Garon, président du Conseil des partenaires du réseau SFL (CPRSFL), demandait à RQ un moratoire sur l’émission de ces cotisations le temps que le cadre législatif et réglementaire entourant le partage de commissions en épargne collective soit clarifié.

Depuis sa création, l’OCRI s’affaire à concevoir un cadre réglementaire qui permettrait d’uniformiser les façons de rémunérer les REC et les conseillers en placement. L’OCRI vise l’adoption d’une approche permettant à la rémunération des conseillers constitués en société par actions, confirmait l’organisme à la fin octobre.

Malgré cette intention de l’OCRI, RQ a envoyé ces dernières années des avis de cotisation à nombre de REC relativement à un partage de commission. Ces derniers tentaient de se prévaloir de l’article 160.1.1 de Loi sur les valeurs mobilières (LVM) qui permet explicitement aux REC de partager leurs commissions avec le cabinet ou la société autonome auquel ils sont affiliés. Or, l’autorité fiscale québécoise voit les choses autrement et a envoyé des factures fiscales à des REC.

Pour l’un d’eux, RQ a refusé de lui permettre de déduire à titre de dépense d’entreprise un montant correspondant à la portion de ce revenu qu’il estimait revenir à son cabinet. Dans un autre cas, un REC a fait verser ses revenus de commission en provenance de son courtier dans le compte bancaire de sa société par actions (cabinet), laquelle lui a versé un salaire. RQ a non seulement attribué au REC personnellement ces revenus, mais les a additionnés au salaire en provenance de son cabinet. Le contribuable s’est ainsi retrouvé à être imposé deux fois sur les mêmes commissions.

« La situation est aberrante. On se retrouve avec des conseillers qui se font imposer deux ou trois fois sur les mêmes revenus et ont un taux d’imposition de plus de 80 % », déplore Gilles Garon. Il s’inquiète pour la santé mentale et la santé financière de certains REC en conflit avec RQ, soulignant que certains risquent peut-être de déclarer faillite étant donné le poids de cette facture fiscale parfois supérieure à 400 000 $. « C’est un drame pour eux. Aller en opposition, ça coûte de l’argent », dit-il.

« Les REC en Ontario et au Nouveau-Brunswick ne sont pas pris avec ce merdier-là », laisse tomber Gilles Garon.

Certains contribuables ont déposé des demandes introductives d’instance devant la Cour du Québec, en lien avec ce dossier. « Afin d’éviter la multiplication inutile de telles procédures, et étant donné que le jugement à être rendu pourrait avoir des répercussions majeures sur le traitement des autres dossiers, le principe de précaution commande, lui aussi, de suspendre temporairement les démarches en cours », écrivait Gilles Garon à RQ, en septembre.

À la mi-octobre, Éric Maranda, président-directeur général par intérim de RQ, l’informait que son organisme rejette ce moratoire et réitérait la position de son organisme dans une lettre d’interprétation à ce sujet de décembre 2024.

Lire : Partage de commission : flous entourant un avis de RQ

Selon celle-ci, RQ n’interprète pas la LVM, mais s’intéresse à la personne qui doit recevoir la rémunération en fonction des rapports juridiques convenus entre le REC et le courtier en épargne collective. Selon l’analyse du cas présenté dans cet avis et l’entente entre ces deux parties, c’est le REC, et non sa société, qui avait droit à la rémunération pour les services rendus comme REC et devait donc s’imposer sur celle-ci.

« Si l’entente concernant la rémunération pour les services en épargne collective avait été conclue entre Courtier et Société, que cette rémunération avait été versée en contrepartie de services offerts par Société à Courtier et que Société était inscrite auprès de l’AMF à titre de courtier en épargne collective, le revenu découlant de cette entente aurait pu lui être attribué », pouvait-on lire dans la lettre d’interprétation.

L’OCRI attend les réponses de l’ARC

Dans sa mise au point du projet de modification réglementaire, l’OCRI propose plusieurs éléments qui se rapprochent de ces dernières conditions. En effet, l’organisme suggère que seuls les représentants traitant avec les clients au nom du courtier parrainant pourraient créer des sociétés personnelles, lesquelles devraient être autorisées par l’OCRI.

Une entente écrite devrait être conclue entre le courtier, la société du conseiller et les conseillers qui agissent en son nom. Le courtier parrainant devrait surveiller les activités exercées en son nom par le conseiller et sa société. Seules les personnes autorisées, les conseillers qui fournissent d’autres services financiers aux clients par l’entremise de la même société et les membres de leur famille immédiate pourraient être actionnaires de la société du conseiller.

« Je vois d’un œil optimiste que l’OCRI réaffirme aujourd’hui ses orientations visant l’incorporation des REC », indique Gilles Garon.

« La déclaration publique de l’OCRI est appréciée. Tout cela est positif. C’est un plan plus long qu’on aurait souhaité, mais c’est un plan crédible avec un engagement clair et on s’attend à des développements qu’on espère le plus vite possible », a indiqué Maxime Gauthier, Président, Chef de la conformité chez Mérici Services financiers. Celui qui siège au conseil régional du Québec de l’OCRI rappelle toutefois que le « combat n’est pas encore gagné ».

Le personnel de l’OCRI attend la réponse de l’ARC à un certain nombre de questions concernant les aspects fiscaux du projet avant de le finaliser. « L’échéancier exact de ces prochaines étapes est toujours inconnu, mais nous tiendrons les courtiers au courant de notre progression », écrivait l’OCRI à la fin d’octobre.

Le CPRSFL a d’ailleurs sollicité François-Philippe Champagne, ministre du Revenu National afin que l’ARC traite ces questions en priorité. « Sans un règlement rapide, notre profession, qui a pourtant rendu de fiers services aux épargnants québécois, risque de faire face à un exode irréversible de ses professionnels », peut-on lire dans la lettre du CPRSFL adressée au ministre fédéral.

Cet organisme, qui vise toujours un moratoire sur les avis de cotisation, espère que le ministre des Finances du Québec force RQ à instaurer ce moratoire. Le ministère refuse de le faire pour le moment.

Jérémie Comtois, conseiller en affaires publiques chez MAPÉ Stratégie, souligne la bonne collaboration avec le cabinet du ministère des Finances du Québec : « Même s’ils s’assoient sur cette interprétation de RQ, ils ont laissé une ouverture à faire des modifications une fois que l’OCRI aura rendue » sa décision sur le projet de modification, notant la qualité de la communication continue avec Québec.