Le trou noir de l'ASLD
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Ainsi, tel un coup de tonnerre au firmament de l’assurance de personnes, l’assureur américain John Hancock Life Insurance vient de cesser de vendre des polices autonomes d’assurance de soins de longue durée (ASLD).

John Hancock continuera toutefois de vendre l’ASLD sous forme d’avenant ou à l’intérieur de produits hybrides combinant plus d’une protection.

Dans un mémo interne, cette filiale de la Financière Manuvie a invoqué la situation macro-économique (persistance des bas taux d’intérêt), la faible demande des consommateurs ainsi que les exigences en capital requises par les autorités de réglementation et de surveillance.

Troisième plus important fournisseur d’ASLD, John Hancock détenait 14 % de ce marché aux États-Unis.

Plus tôt en 2016, un mouvement sismique s’était fait sentir aux États-Unis à la suite de la restructuration financière de Genworth Financial. Numéro un de l’ASLD avec plus de 30 % de part de marché, Genworth avait indiqué que ses obligations financières en ASLD étaient devenues un boulet.

Cet assureur n’a réussi à surmonter cette situation difficile qu’en étant racheté, en octobre 2016, par le China Oceanwide Holdings Group.

À l’évidence, les assureurs n’en peuvent plus d’assumer les coûts de l’ASLD… et les consommateurs n’en veulent plus, comme le montrent les données de l’American Association for Long-Term Care Insurance. En 2015, 105 000 polices d’ASLD ont trouvé preneur comparativement à 754 000 en 2002.

L’effet de la médecine

Qu’elles sont les raisons d’une telle glissade ?

«Au cours des dernières années, l’âge où l’on tombe gravement malade est resté sensiblement le même. Par contre, la mortalité a reculé grâce aux progrès en matière de médicaments et de soins médicaux. Et cela, les actuaires ne pouvaient pas le prévoir», dit Robert Landry, ancien vice-président exécutif chez AXA Canada et maintenant consultant.

Selon lui, les assureurs doivent s’adapter au fait que les assurés vivent plus longtemps avec un état de santé amoindri, ce qui force le versement plus hâtif que prévu des prestations d’assurance.

«Et ce n’est pas fini, car dans 10, 15 ou 20 ans, l’évolution de la médecine et des techniques de diagnostic déclenchera probablement le versement plus rapide encore des prestations en soins de longue durée. Voilà pourquoi le risque à long terme de l’ASLD est très important pour n’importe quel assureur», explique Robert Landry.

Bond des primes

Les assureurs américains ont réagi à cette situation en augmentant les primes d’ASLD de façon spectaculaire au cours des dernières années. La presse américaine regorge d’exemples de hausses de plus de 50 %, telle une augmentation de 85 % imposée aux adhérents du régime California Public Employees’ Retirement System.

Or, selon les chiffres de la National Association of Insurance Commissioners (NAIC), les primes annuelles moyennes d’ASLD atteignent 4 349 $ US dans le cas d’un individu de 50 ans bénéficiant d’une police garantissant le versement de 200 $ US par jour pendant quatre ans, avec protection contre l’inflation. À l’âge de 60 ans, ces primes s’élèvent à 5 331 $ US et à 70 ans, à 9 206 $ US (http://tinyurl.com/zj6p7cg). Des hausses de 50 % peuvent donc faire très mal !

Outre les hausses de primes, les assureurs américains ont également voulu minimiser les risques en combinant l’ASLD à d’autres produits d’assurance, pour créer ainsi des «combos» ou produits hybrides. Aux États-Unis, ces produits comportent souvent une forte composante d’assurance vie universelle.

Une étude récente de la NAIC souligne que ces produits sont en croissance continue. De 2009 à 2013, la croissance des primes des produits hybrides a été de 93 % (http://tinyurl.com/jby2epv).

Qu’en est-il au Canada ?

Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, verra-t-on au Canada la fin de l’ASLD en tant que polices distinctes ?

Pour l’instant, ces polices distinctes existent toujours. Mais s’il faut en croire Robert Landry, les consommateurs ne devraient pas hésiter à s’en procurer pendant qu’il est encore possible de le faire.

«Souscrivez une ASLD tout de suite de façon à la conserver la vie durant. Les clients actuels les conserveront à vie, même si les assureurs canadiens décidaient de les éliminer», assure-t-il.

Solution de la transformation

Claudine Cloutier connaît bien l’ASLD, qu’elle distribue depuis une douzaine d’années.

«Au début de ma carrière, c’était le produit auquel je croyais le plus. On y a mis beaucoup d’énergie. Mais les ventes n’ont pas été au rendez-vous», dit la vice-présidente, ventes, et responsable principale des prestations du vivant chez Groupe Cloutier.

«Au Québec, on en vend peu pour diverses raisons, à commencer par la conviction que l’État sera toujours de la partie», souligne-t-elle.

«Il y a également le problème de la tarification, surtout pour les femmes pour qui les primes sont beaucoup plus coûteuses. Il y a aussi le problème de la sélection des risques, puisqu’à partir de 55 ans, il devient plus difficile d’être assurable pour ce type de protection. De plus, les primes ne sont pas garanties», ajoute-t-elle.

Cela dit, Claudine Cloutier croit fermement au potentiel des produits d’assurance invalidité pouvant être transformés en ASLD.

«Certains assureurs tels que RBC, Manuvie et la Croix Bleue offrent la possibilité d’une transformation, au moins partielle, des polices d’assurance invalidité en ASLD», dit-elle.

Dans ce contexte, l’ASLD devient «l’assurance invalidité des retraités».

«Le conseiller en sécurité financière a tout intérêt à proposer à son client une assurance invalidité qui sera éventuellement transformable en ASLD. Il offre du même coup deux solutions, qui répondront aux besoins ponctuels du client.»

Et, insiste-t-elle, «il ne faut pas attendre trop longtemps après l’âge de 55 ans !»