Quatre pilonnes toujours plus haut sur lequel se trouve un couple de personnes âgées.
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La bombe à retardement démographique a déjà explosé, juge Jack Mintz, célèbre conseiller en gestion et universitaire. Nous en percevons les retombées par l’actuel marché de l’emploi très serré et une inflation soutenue susceptible de perdurer.

Nous sommes entrés dans une ère de pyramide d’âge inversée. Le Japon, pays où la démographie est déjà la plus déséquilibrée au monde, nous donne un avant-goût de ce qui est à venir. Selon le Bureau de la statistique japonais, en 1950, les groupes d’âge plus jeunes constituaient encore une large fondation à l’économie et soutenaient les groupes plus âgés de 65+ ans, qui formaient une pointe représentant 5% de la population générale.

En 2007, la pyramide ressemblait à un rectangle vertical où tous les groupes d’âge occupaient une place à peu près équivalente de la base jusqu’au sommet, mais où les groupes plus âgés pesaient déjà plus lourd au sommet. Les 65+ accaparaient une proportion de 21,5% de la population totale, les 15- ans ne retenant que 13,5% de l’ensemble. En 2050, la pyramide sera définitivement inversée, les 65+ regroupant 39,5% de la population, les 15-, seulement 8,6%. Sur ce laps de 100 ans, la population active (entre 15 et 65 ans), de 60% aura connu un bond à 65% en 2007, pour ensuite s’étioler à 51,8% en 2050.

Au Canada, calcule Jack Mintz, comme dans l’ensemble des pays développés, les 65+ représenteront, à la fin de 2023, 30% de la population entre 15 et 64 ans, cette proportion montant à 38% en 2035. Selon une récente étude de la Banque Nationale, le Canada comptera 2,8 travailleurs entre 15 et 64 ans pour chaque retraité.

Le rapport de dépendance démographique n’ira pas en s’améliorant après 2035. Au Québec, par exemple, et selon l’Institut de la Statistique, on comptera 52 personnes de 65+ pour chaque 100 personnes de 20-64 ans, soit un ratio d’environ 1,9 travailleurs pour chaque retraité. C’est le niveau que le Japon aura atteint dès 2032. En 1970, chaque retraité pouvait compter sur le travail d’environ 7 travailleurs.

Selon le plus récent rapport démographique des Nations-Unies, la population mondiale, qui s’élevait à 8 milliards en 2022, atteindra 10,5 milliards en 2100, la croissance provenant uniquement des pays en développement. Ceux qui craignent les affres de la surpopulation peuvent se rassurer. À cause d’un taux de fertilité mondial qui passera sous la barre du taux de renouvellement de 2,1 naissances par femme, il y a 50% de chances que la population commence à décliner avant même 2100. Il n’est pas évident qu’une implosion démographique sera une bonne chose.

Jack Mintz énumère certaines conséquences du déficit démographique. Au premier chef, les conditions dans le marché du travail vont demeurer serrées pour des années à venir, et cela va nourrir l’inflation. Les taux de dépendance en chute, qui minent déjà les économies avancées, vont gagner les pays en développement à leur tour, ce qui va écraser les salaires dans ces pays et creuser encore plus le fossé entre pays riches et pauvres.

Les retraités dans les pays développés vont vendre leurs actifs pour financer leur retraite, ce qui va écraser l’épargne nationale, une situation aggravée par les déficits gouvernementaux. À terme, les besoins en investissement annoncés pour la transition énergétique, la défense et l’investissement industriel, vont épuiser cette épargne et pousser à la hausse sur les taux d’intérêt, un mouvement déjà amorcé, comme l’inflation.

« À moins que la productivité ne s’améliore de façon spectaculaire, écrit Jack Mintz, la croissance économique va passer à moins de 1,5% dans plusieurs grands pays, soit la moitié du taux qui prévalait au lendemain de la 2e guerre mondiale. » Le Canada ne peut certainement pas compter sur un tel sauvetage par une hausse de la productivité, s’il faut en croire un récent rapport de l’Institut C.D. Howe.

Selon l’Institut, le PIB canadien par membre de la population active s’élève à 104 875 $, contre 148 746 $ aux États-Unis (41,8 % de moins), 142 749 $ en France (36,1 % de moins) et 140 690 $ au Royaume-Uni (34,1 % de moins). Seuls le Japon et la Nouvelle-Zélande font moins bien que le Canada avec respectivement 97 224 $ et 72 015 $. Par ailleurs, alors que l’indice d’investissement en produits de propriété intellectuelle et en machinerie industrielle, deux mesures cruciales de la productivité, gravitait autour de 100 en 2010, il se languissait en 2022 à 90 et à 85 respectivement.

L’autre planche de salut pour le Canada tient à l’immigration, mais son effet sur le déficit démographique n’est pas évident. L’étude de la Banque Nationale salue le sursaut d’immigration de plus d’un million de nouveaux arrivants que le gouvernement fédéral a récemment annoncé. Mais l’effet net sera de déplacer le ratio de dépendance de 2,7 à 2,8 travailleurs par retraité à l’horizon 2030.

On peut espérer que le Canada atteigne ses cibles d’immigration pour les trois prochaines années, mais il apparaît que les pays riches pourront de moins en moins combler leurs déficits démographiques par ce moyen. La raison étant que les flux d’immigrants rapetissent : alors que quatre millions d’immigrants ont débarqué en Europe et en Amérique du Nord en 2007, rappelle Jack Mintz, leur nombre a chuté à 2,3 millions aujourd’hui.