Le dirigeant est aujourd’hui optimiste par rapport aux perspectives de croissance de Montrusco Bolton ; son actif sous gestion atteint 6,5 G$, dont 200 M$ viennent de clients américains. Sylvain Boulé a toutefois dû surmonter plusieurs épreuves pour parvenir à ce résultat.

Reportons-nous en 2009. Dans la foulée de la crise financière de l’automne 2008, l’incertitude règne chez Montrusco Bolton. Autant les employés que les clients se demandent si l’entreprise sera en mesure de poursuivre ses activités, relate-t-il.

Sylvain Boulé réunit alors son équipe. «Il faut tout remettre en question», dit-il.

Pour Sylvain Boulé, cette période a été révélatrice. «L’année 2008 a constitué le véritable test. Tout s’écroulait. La corrélation entre les catégories d’actif ne tenait plus. Les clients ont à peu près remis en question tout ce qui se passait et nos actifs ont chuté de 6 G$ à moins de 4 G$.»

Objectif : création de rendement

La remise en question de 2009 amène son lot de changements dans les pratiques d’affaires. Montrusco Bolton recentre alors ses activités sur ce qu’elle fait de mieux : générer des rendements.

Ce choix stratégique mène Montrusco Bolton à se désinvestir de la gestion privée. Le 25 octobre 2010, la firme cède ses activités à la Banque Nationale Gestion privée 1859.

«Lorsqu’on parle de patrimoine familial et de planification successorale, on n’est pas tellement compétitifs face aux banques dont l’approche est plus holistique, explique Sylvain Boulé. En contrepartie, les actifs qu’on gère pour le compte de la Financière Banque Nationale ont triplé depuis ce temps.»

Le gestionnaire mise aussi sur des produits distinctifs. Deux d’entre eux, basés sur le «momentum du prix des actions», sont des fonds quantitatifs bâtis sur un modèle mathématique. Leur actif combiné atteint 310 M$.

Montrusco Bolton a atteint son objectif de générer des rendements. Au 31 mars 2014, ses fonds d’actions canadiennes et américaines affichaient une valeur ajoutée de 0,5 à 6,1 points de pourcentage sur 10 ans par rapport à leurs indices de référence respectifs.

Du karaté à la finance

C’est par hasard que la finance arrive dans la vie de Sylvain Boulé. Entrepreneur en série, ce natif des Cantons-de-l’Est fonde un centre de conditionnement physique et exploite jusqu’à huit écoles de karaté avant d’entreprendre son MBA à l’Université Concordia. Une fois diplômé, il gère notamment le programme d’Entrepreneurship au Cégep de Granby.

Lorsqu’il débute dans le secteur de la finance, Sylvain Boulé n’a pratiquement pas suivi de cours dans ce domaine et aucun en gestion de portefeuille. Il travaille néanmoins cinq ans chez Merrill Lynch comme analyste avant de se joindre à Montrusco & associés en 1992 à titre de gestionnaire de portefeuille.

«Je n’étais pas un bon gestionnaire de portefeuille. J’ai découvert que gérer une entreprise, gérer un portefeuille et être analyste, ce sont trois choses totalement différentes», relate Sylvain Boulé.

Dès 1992 et jusqu’à ce que Montrusco & associés devienne publique en 1998, Sylvain Boulé s’implique dans le développement des affaires et contribue à la croissance de la firme.

«Il n’y avait qu’un seul bureau quand je me suis joint à Montrusco. Lorsque ce fut terminé, il y en avait partout au Canada, que ce soit à Vancouver, à Calgary, à Toronto ou à Halifax», dit-il.

Sylvain Boulé se montre critique par rapport à la transformation de la société en entreprise publique.

«Je n’étais vraiment pas en faveur de cette idée, raconte-t-il. À moins que votre plan de développement soit basé sur une stratégie d’acquisitions, je trouve [qu’un tel changement de statut] ne se prête pas à une entreprise comme la nôtre, qui table davantage sur une croissance interne.»

Vents de face

En 1999, Montrusco & associés et Bolton Tremblay s’unissent, ce qui porte l’actif sous gestion combiné à 9,6 G$. «La fusion a été un échec total à tous points de vue, analyse Sylvain Boulé. Nos clients n’ont pas mis de temps à le comprendre.»

En mai 2000, une divergence au sein de la direction de la société de gestion de fonds portant sur la stratégie de croissance mène au départ de Jean-Luc Landry, alors président et chef de la direction. Sylvain Boulé lui succède.

Le défi auquel il s’attaque est immense. L’action de Montrusco Bolton perd 9 % dès l’annonce du départ de Jean-Luc Landry. Le paiement du dividende prévu au cours du trimestre est d’ailleurs annulé, rapportait Radio-Canada en août 2000.

Le départ de Jean-Luc Landry est suivi au printemps 2001 par celui d’André Marsan, l’un des fondateurs de Montrusco & associés.

«Tout était remis en question, il n’y avait plus de rendement et on ne pouvait plus agir comme on le faisait par les années passées», explique Sylvain Boulé, appelé à commenter les départs de Jean-Luc Landry et d’André Marsan.

«Quand il faut qu’on apprenne à terminer le marathon avec le vent dans le visage, la réalité est bien différente», illustre-t-il.

«À l’époque (1999), Montrusco Bolton avait 151 employés, alors qu’elle en compte 38 aujourd’hui et est davantage rentable, précise le président. Depuis qu’on a racheté [et privatisé] la société, on a affiché des profits chaque trimestre, même durant la crise, et c’est encore le cas aujourd’hui», ajoute Sylvain Boulé.

Partenaires porteurs

En 2005, Affiliated Managers Group (AMG), de Boston, prend une part majoritaire de Montrusco Bolton. Elle la conserve jusqu’en 2008, lorsque le Fonds de solidarité FTQ achète 25 % de la société de gestion pour 30 M$. Au terme de la transaction, AMG possède 43 % des actions, alors que la part de la direction de Montrusco Bolton s’élève à 32 %. Le contrôle de la société revient à Montréal.

Sylvain Boulé n’a que de bons mots à l’endroit d’AMG. «Ce sont des professionnels. Ils nous aident beaucoup à toutes sortes de sujets, notamment sur le plan de la conformité.»

Si la firme de gestion de portefeuille a engagé son premier responsable de la conformité dès 1999, l’arrivée d’AMG a été significative à ce chapitre.

Chaque trimestre, Montrusco Bolton remplit un questionnaire de 150 questions au profit d’AMG. «Les clients ne voient pas tous ces contrôles dont nous faisons l’objet, mais j’imagine que c’est très sécurisant pour eux», mentionne Sylvain Boulé.

En ce qui concerne la prise de participation du Fonds de solidarité FTQ dans Montrusco Bolton, le principal avantage de cette transaction est la création du SécuriFonds, selon Sylvain Boulé.

«Le Fonds réussit bien à aller chercher des actifs. Toutefois, il n’avait pas d’outil de rétention et ces actifs sortaient beaucoup au moment de la retraite. Un produit équilibré a donc été créé, que l’on gère en partenariat avec SSQ Groupe financier. Après 18 mois, on y trouve déjà un actif évalué à 60 M$.»

Pas d’acquisition en vue

Aucune acquisition ne figure au plan d’affaires de Montrusco Bolton, affirme Sylvain Boulé. Il ne cache toutefois pas son intérêt envers les États-Unis et le reste du Canada.

En 2012, une dizaine de clients américains à la recherche d’un produit canadien distinctif ont confié des actifs à la société de gestion montréalaise. Montrusco Bolton décide alors d’investir ce marché et conclut une entente de partenariat avec une firme américaine.

«Nous sommes contents. Il s’agit d’une avenue de croissance que nous n’avions pas explorée. La firme Tessera Technologies vend notre produit d’actions mondiales et elle obtient d’excellents résultats», selon Sylvain Boulé. L’actif sous gestion issu des États-Unis s’élève à 200 M$.

En territoire canadien, Montrusco Bolton s’est récemment assuré les services de Robert Leblanc, un actuaire de formation. «En quatre mois, Robert a rencontré 130 caisses de retraites, de Victoria jusqu’à Saint-Jean, Terre-Neuve, souligne Sylvain Boulé. On a le vent dans les voiles et ça va bien.»

Le rôle de l’actionnaire minoritaire

Montrusco Bolton se distingue par sa pratique à titre d’investisseur responsable. «Nous avons un rôle énorme à jouer comme investisseur minoritaire. C’est un processus coûteux, mais qui vaut la peine pour nos clients et jusqu’ici, je n’en ai rencontré aucun qui n’aimait pas ça. C’est évident, puisque nous défendons leurs droits», précise Sylvain Boulé.

Les interventions de Montrusco Bolton auprès d’Air Transat constituent un bel exemple de la philosophie de gestion de portefeuille socialement responsable mise de l’avant par la société. En 2011 par exemple, la rémunération de Jean-Marc Eustache, le président et chef de la direction d’Air Transat, a été ramenée à 1 860 000 $ après que le représentant de Montrusco Bolton eut demandé que la rémunération des hauts dirigeants soit soumise au vote des actionnaires.

«Est-ce que cette pratique améliore nécessairement les rendements ? interroge Sylvain Boulé. Je peux vous dire que dans 90 % des cas, l’action s’en est mieux portée.»

Montrusco Bolton compte au nombre des 25 gestionnaires canadiens membres de l’organisme Principles for Responsible Investment (sur 792 membres au total dans le monde).