À cette occasion, tant les représentants de la Banque Nationale, du Mouvement Desjardins que de la Caisse de dépôt et placement du Québec ont convenu que les pressions exercées par les régulateurs les ont amenés notamment à favoriser une collaboration entre les différents acteurs plutôt que de travailler en vase clos.

Ces institutions ont donc renforcé leurs pratiques en matière de gouvernance de données. Ce terme renvoie à «un cadre organisationnel servant à mettre en place des stratégies, des objectifs et des politiques sur les données d’entreprise», selon la firme-conseil SAS.

Pour éviter les dérapages

Les autorités de réglementation veulent désormais être davantage informées, et de plus en plus rapidement, sur les données utilisées par les entreprises financières. Surtout sur celles qui ont servi à prendre des décisions en matière de détermination des niveaux de risque des placements et sur les actifs de leurs portefeuilles d’investissement.

En fait, la gouvernance des données est devenue un enjeu clé depuis la déconfiture d’Enron, d’Adelphia Communications et d’autres grandes sociétés aux États-Unis au début des années 2000.

La Sarbanes-Oxley Act, entrée en vigueur en 2002, visait à rectifier le tir en établissant un cadre pour assurer notamment une plus grande fiabilité des renseignements utilisés dans les entreprises pour la prise de décisions stratégiques. Cette loi rend même les dirigeants personnellement responsables de la fiabilité des informations qui servent à prendre ces décisions.

Par ailleurs, en réaction à la débâcle de grandes banques américaines causée par le papier commercial et les prêts hypothécaires à haut risque, en 2008, le Comité de Bâle a établi une série de nouvelles mesures, la réforme Bâle III. Cette réforme vise entre autres à mieux gérer les risques sur les prêts et à renforcer la communication des banques.

De la théorie à la pratique

Les nouvelles exigences exercent une certaine pression sur les institutions financières, car «les données doivent être recueillies et organisées afin de répondre rapidement aux demandes des régulateurs», a souligné Gouro Sall Diagne, directrice principale de la surveillance des institutions de dépôt à l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Sauf que les exigences réglementaires se heurtent souvent à l’héritage technologique des institutions.

C’est le cas pour la deuxième phase du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2). Lorsque les régulateurs ont décidé que dès 2016, les relevés de compte transmis aux clients devraient inclure les rendements calculés à partir de la date de la mise de fonds initiale, ils ne savaient pas à quel point une telle exigence était irréaliste.

Ces exigences ont été revues, et les régulateurs demanderont plutôt dès 2016 que le rendement de chaque compte soit établi pour l’année courante, sur 3 ans, 5 ans et 10 ans.

Personnellement, je doute que toutes les firmes possèdent les données requises pour produire les rendements sur 10 ans pour tous leurs clients.

Les services des technologies de l’information des sociétés de fonds ont éliminé systématiquement, pour la plupart, les comptes à zéro. Ces comptes renferment souvent la mise de fonds initiale du client.

Prenons l’exemple suivant : en 2001, un client a investi 100 $ dans un fonds X. À la fin de l’année, vous l’avez liquidé pour 200 $ et vous avez réinvesti le tout dans le fonds Y. À la fin de 2002, le dépôt du client dans le fonds Y valait 300 $.

Comme on élimine les comptes à zéro, la mise de fonds initiale est de 200 $ et le rendement s’établit à 50 %. En réalité, la mise de fonds initiale était de 100 $ et le rendement annuel depuis 2001 est nettement supérieur à 50 %. L’état de compte sera donc erroné sur toute la ligne.

Pour une stratégie globale

À l’époque, les services d’informatique géraient les données en vase clos, et avaient éliminé les comptes à zéro pour gagner de l’espace d’entreposage sur les réseaux. Cette décision se défendait bien d’un point de vue uniquement informatique, mais non d’un point de vue de stratégie globale d’entreprise.

«En matière de données, on ne peut plus fonctionner en vase clos. Toutes les parties qui ont un intérêt dans les données d’entreprise doivent s’engager dans le processus de la gouvernance des données», a d’ailleurs souligné lors du colloque Emmanuel Kiyanda, directeur principal, paramètres de marché, de la Banque Nationale.

Cette gouvernance doit énoncer les règles qui assureront une bonne utilisation des données et des décisions prises sur la base de celles-ci. À défaut de telles balises, une institution financière risque d’errer.

Par exemple, les clients souhaitent habituellement connaître le rendement moyen de tous leurs investissements, sans égard aux différents objectifs de leurs comptes. Les ordinateurs peuvent calculer un tel rendement selon la méthode du taux pondéré en fonction des flux de trésorerie en dollars, mais cela peut mener à des aberrations.

Prenons le cas de Jacques, qui gère le portefeuille de retraite d’un client et obtient un rendement moyen de 5,6 %. Son collègue Paul gère celui d’un client au profil «agressif», et obtient un rendement de 18,5 %. Paul n’est pas pour autant un meilleur gestionnaire que Jacques.

Une bonne gouvernance statuerait sur les conclusions qu’on peut ou qu’on ne peut pas tirer du calcul du rendement annuel moyen pondéré, et même décider si ce renseignement a sa raison d’être.

D’ailleurs, les régulateurs ne demande pas ce type de rendement dans le cadre du MRCC 2 ; leurs exigences portent plutôt sur le rendement de chaque compte d’un client.

laroseg@maisondigilor.ca