Cette stratégie non traditionnelle vise essentiellement à décourager les institutions financières à conserver leurs excédents de liquidité. Le taux négatif a pour effet de faire payer des intérêts aux institutions qui font des dépôts dans ces banques centrales.

Dans une analyse sur le sujet, Crédit agricole indique que celles-ci désirent inciter les institutions financières «à rééquilibrer leurs portefeuilles pour promouvoir la reprise des crédits au secteur privé et l’acquisition d’actifs obligataires plus risqués».

Son de cloche similaire de la part de Hendrix Vachon, économiste senior chez Mouvement Desjardins, qui explique dans une analyse que «[…] les banques centrales incitent les institutions financières à utiliser leur surplus de fonds à d’autres fins, notamment en accordant plus de prêts» aux entreprises et aux ménages.

Le concept de taux d’intérêt négatif était pour ainsi dire inconcevable dans le secteur financier jusqu’au tournant de la décennie. Non seulement les banques centrales ne descendaient pas leur taux sous la barre du 0 %, mais elles ne l’envisageaient pas.

C’est en juillet 2009 que la Banque centrale de Suède ouvre la voie ; elle introduit un taux négatif de – 0,25 % sur les facilités de dépôt. En 2012, c’est au tour de la Banque centrale du Danemark d’imposer un taux négatif de – 0,20 % sur les certificats de dépôt.

Dès lors, le chemin est tracé. La BCE suit en juin 2014 en mettant en place un taux de dépôt de – 0,10 % qu’elle pousse à – 0,20 % dès septembre. En décembre dernier, la Suisse abaisse également son taux à – 0,25 %, qu’elle porte à – 0,75 % en début d’année.

«Hautement hasardeux»

Si les analystes diffèrent dans l’interprétation des impacts de la nouvelle stratégie, tous s’entendent sur une chose : les banques centrales explorent une terre inconnue du monde financier.

Dans son analyse, le Crédit agricole estime qu’il est «hautement hasardeux» de tirer des leçons des expériences actuelles, car les réalités diffèrent beaucoup d’un marché à l’autre : «Dans les cas particuliers de la Suède et du Danemark, il s’agit de petites économies ; dans le cas de la Suisse, il s’agit de poursuivre un objectif de change très spécifique».

Si les banques centrales désirent stimuler la croissance économique – en poussant les institutions financières à prêter davantage – force est de constater que le taux d’intérêt négatif n’a pas que du positif. Les craintes sont nombreuses.

La stratégie peut se révéler contre-productive, estime Jean-Pierre Petit, économiste et président de la société conseil Les Cahiers Verts de l’Économie. Dans une analyse publiée dans le quotidien Le Monde, il indique qu’un taux négatif exerce une «pression sur les marges» des institutions bancaires.

Les taux négatifs poseraient également problème auprès des investisseurs institutionnels, des compagnies d’assurance et des fonds de pension. «Les flux de revenus sur les actifs détenus […] diminuent, tandis que les engagements au passif sont rigides (rendements garantis, retraites)», écrit Jean-Pierre Petit.

Hendrix Vachon estime que le «pire scénario» serait un exode massif vers les billets bancaires : «Cela se traduirait par une perte de pouvoir des banques centrales qui pourraient plus difficilement influencer l’activité économique par le canal du crédit».

Risque de dépression

Au final, de tels scénarios pourraient avoir un impact négatif sur la consommation. «Sans épargne qui alimente le système financier, il deviendrait difficile pour une entreprise d’investir et pour un ménage d’acquérir une maison. Finalement, l’effondrement du système financier conduirait très probablement l’économie en dépression», écrit l’économiste de Desjardins.

Déjà, un effet domino est noté. Des institutions financières européennes ont suivi les traces de leurs banques centrales. En Belgique, par exemple, la Banque KBC a imposé des taux négatifs sur les montants élevés que de grandes sociétés déposent afin de combler le manque à gagner.

Si certains repassent la facture aux entreprises, il semble impossible pour le moment dans plusieurs pays – dont le Canada – de se tourner vers une telle pratique pour les particuliers. Des lois imposent un taux d’intérêt plancher qu’une institution ne peut franchir.

Est-ce que cela signifie que les particuliers sont à l’abri du phénomène ? Non, car nombre d’institutions financières pourraient bien relever les frais d’administration. Dès lors, les petits épargnants devront payer une partie de la facture.