Risqué, l'abandon de la règle de «la plus haute bonne foi»
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S’inspirant des façons de faire en France et en Angleterre, Option consommateurs demande que les clients répondent uniquement à des questionnaires fermés et qu’ils soient tenus de ne pas faire de fausses déclarations.

Quelles seraient les conséquences de cette requête ?

Présidente de la section québécoise de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), Lyne Duhaime ne voit pas la pertinence d’éliminer l’obligation de la plus haute bonne foi en raison d’un «manque de connaissances» présumé des consommateurs.

«Je ne pense pas que les assureurs auraient intérêt à mystifier les consommateurs. Les assureurs qui dénieraient injustement les réclamations d’assurés auraient à faire face à ce que j’appelle le tribunal du peuple, à savoir les réseaux sociaux. Aucun assureur n’a avantage à affaiblir son capital de réputation !» dit celle qui est aussi avocate.

Et dans les faits, ajoute-t-elle, rien n’indique qu’il y a davantage de contestations de réclamations d’assurance au Canada qu’en France et en Angleterre, les deux pays modèles de l’étude.

«Cette étude ne donne pas de statistiques concernant les réclamations d’assurance. Mais j’ai l’impression que les ordres de grandeur au Québec et au Canada se comparent à ce qu’on pourrait retrouver en France et en Angleterre», ajoute Lyne Duhaime.

À titre d’associée et de coordonnatrice du secteur de la distribution de produits et services financiers du cabinet Lavery, l’avocate Evelyne Verrier s’intéresse de près à l’évolution du droit en assurance de personnes.

«Selon l’état actuel du droit au Québec, les consommateurs doivent répondre aux questions posées et déclarer spontanément toute information pertinente lors du processus de souscription. Toutefois, cette exigence est atténuée par le fait que les déclarations doivent être celles d’un assuré normalement prévoyant, atténuation régulièrement appliquée par nos tribunaux», indique Evelyne Verrier.

L’avocate ajoute que les récentes évolutions de la jurisprudence ont imposé des obligations aux assureurs. «Lorsque les réponses d’un consommateur sont ambiguës, équivoques ou imprécises, il revient alors à l’assureur de faire des recherches supplémentaires pour éclaircir les choses», dit-elle.

Autrement dit, précise Evelyne Verrier, les tribunaux québécois ont «atténué» la portée de la règle de «la plus haute bonne foi» en matière de souscription de produits d’assurance. Il reste qu’elle existe et qu’elle structure les processus de souscription et de tarification des assureurs.

Robert Landry a été vice-président exécutif chez AXA Canada plus de 15 ans. Il en a vu des propositions d’assurance où les consommateurs ne donnaient pas toute l’information qu’ils auraient dû communiquer !

«L’assurance de personnes, c’est un peu comme l’impôt. Certaines personnes cachent des choses volontairement, comme en répondant au pied de la lettre à des questions qui invitent à des réponses plus larges. Par exemple, si l’assureur demande si on est amateur de cannabis, la réponse devrait inclure l’usage de cocaïne si tel est le cas. Étant donné les oublis et imprécisions, les assureurs doivent fouiller, fouiller, fouiller… et parfois enquêter», dit Robert Landry, qui est maintenant consultant.

Qu’arriverait-il si la règle de «la plus haute bonne foi» était abolie ?

«On augmenterait le risque de souscription. Les assureurs s’adapteraient soit en haussant les prix pour tout le monde, soit en resserrant les conditions d’admissibilité à des types connus de clientèles en faisant certains recoupements, ce qui exclurait des gens. Dans un cas comme dans l’autre, les consommateurs en subiraient les contrecoups», dit Robert Landry.

Vers l’ubérisation de l’assurance ?

Supposons maintenant que les assureurs doivent effectuer leur sélection uniquement grâce à des questionnaires fermés.

«Les assureurs seraient alors obligés de produire des questionnaires très élaborés. Et comme la génération du millénaire ne se prêterait pas au jeu des 1 000 questions, cela ouvrirait grand la porte aux nouveaux acteurs en assurance», estime Robert Landry.

Dans ces conditions, le consultant évoque la percée possible de deux nouveaux modèles de distribution. Le premier, de type pair à pair (peer-to-peer), commence à faire des siennes aux États-Unis en assurance de dommages. L’étude d’Option consommateurs le définit comme résultant d’une «communauté» de personnes désireuses de s’assurer elles-mêmes et de créer leurs propres mécanismes d’indemnisation. Le second modèle est celui des grandes firmes de données, comme Google.

«Appliquée à la lettre, la proposition visant à éliminer la règle de la plus haute bonne foi en matière de souscription aurait comme effet de provoquer l’ubérisation de l’assurance de personnes. C’est un pensez-y bien», estime Robert Landry.