Ce diagnostic du vieillissement des réseaux indépendants est «rigoureusement exact», affirme Robert Landry, consultant et ancien vice-président exécutif chez AXA Canada. «Quand j’étais chez AXA, on s’en parlait. On était tous conscients de cette situation», dit-il.
Robert Landry estime que les assureurs qui ont un réseau de vente exclusif disposent d’un avantage important par rapport à la relève : ils ont beaucoup plus de ressources que les réseaux indépendants pour réussir l’intégration des nouveaux venus.
«De façon générale, les réseaux captifs ont davantage de personnel d’encadrement et de soutien en mesure de superviser des conseillers débutants. Ils ont aussi la capacité financière d’offrir des rémunérations de première année suffisamment intéressantes pour les nouveaux venus», dit-il. Ces rémunérations, partiellement sous forme de salaires, varient de «réseau en réseau», précise Robert Landry.
Yan Charbonneau, qui constate également le vieillissement des effectifs des indépendants, remarque que les réseaux carrière se lancent à fond dans leurs efforts de recrutement.
«On peut observer, pour donner un exemple, que les réseaux captifs sont prêts à recruter 30 jeunes conseillers en sécurité financière, dans l’idée que cinq d’entre eux finiront par rester en poste. Comme tous les conseillers, les recrues ont des objectifs de vente, et ce n’est pas tout le monde qui peut les atteindre», affirme le président et chef de la direction de AFL Groupe Financier et AFL Assurances générales.
«Il faut rebrasser les cartes»
Cependant, que peuvent faire les agents généraux, en première ligne d’un champ de bataille qui définira leur avenir ?
En effet, comme le dit Frédéric Perman, si les réseaux indépendants ne renouvellent pas leurs effectifs, les clients rejoindront fatalement les conseillers plus jeunes des réseaux captifs, ce qui pourrait bien remettre en question l’avenir des agents généraux.
Au départ, il faut bien dire qu’en matière de relève des conseillers, l’agent général n’a pas le même poids qu’un réseau carrière.
«Le book du conseiller d’un réseau carrière appartient au réseau carrière, alors que le book d’un conseiller indépendant appartient au conseiller. Personne ne peut forcer un conseiller indépendant à préparer sa relève», rappelle Yan Charbonneau. Ainsi, en dépit de leurs programmes de financement de transfert de clientèles, les agents généraux ne peuvent pas agir avec autant de vigueur que les réseaux carrière.
Frédéric Perman pense toutefois qu’il est temps de rebrasser les cartes.
«Les façons de faire des indépendants ne sont plus adaptées aux réalités actuelles des consommateurs. Les réseaux carrière ont pris beaucoup d’avance sur les indépendants. Par exemple, moins de 5 % des conseillers indépendants ont numérisé leurs dossiers, alors que c’est déjà le cas pour la majorité des conseillers captifs», dit-il.
Frédéric Perman rappelle que les réseaux carrière ont pris le virage électronique au début des années 2000. Partant de là, les conseillers ont développé une bonne vision de leur clientèle. Ils peuvent la segmenter. En outre, c’est aussi au début des années 2000 que les réseaux carrière ont développé les ventes croisées. «Et ça, le consommateur s’y attend. Il faut travailler sur l’ensemble des besoins du client.»
Le vice-président au développement des affaires chez Financière S_entiel déplore le retard persistant des conseillers indépendants.
«Le marché a beaucoup changé, mais les conseillers indépendants n’ont pas suivi. Trop de conseillers en sécurité financière sont spécialisés dans un seul secteur d’activité, comme l’assurance vie, l’assurance invalidité ou l’assurance collective. Et trop de conseillers en sécurité financière ne font que vendre des produits, au point où certains d’entre eux ont 1 000 ou 1 500 clients alors que le nombre optimal est de 350», dit Frédéric Perman.
La conséquence ? «Bien des blocs de conseillers en sécurité financière spécialisés dans un domaine, qui comptent 1 000 ou 1 500 clients, ne sont tout simplement plus vendables», affirme le dirigeant.
Frédéric Perman estime que les agents généraux doivent travailler à changer les mentalités. Ils doivent aussi, ajoute-t-il, se considérer comme des «consultants d’affaires».
«Nous sommes les promoteurs de la numérisation, de la segmentation, des ventes croisées et du développement des marchés d’entreprise. Mais être attrayant pour les conseillers provenant du réseau carrière et qui seront les leaders de demain, voilà le défi !» dit-il.
Volages, les meilleurs vendeurs ?
En matière de recrutement, les réseaux indépendants ont un avantage indirect, celui de bénéficier, sans trop d’effort, du travail des réseaux carrière. Bien souvent, les meilleurs conseillers, les plus productifs des réseaux captifs, démissionnent afin de goûter à l’autonomie.
«Ils veulent être libres de choisir entre les produits de divers assureurs, et souvent, obtenir un partage de commissions qui leur soit plus favorable», remarque Robert Landry.
Selon Yan Charbonneau, ce passage aux réseaux indépendants doit toutefois se produire assez rapidement. «Il doit se faire après quatre ou cinq ans, pas plus. Parce qu’à un moment donné, les avantages de retraite qu’offrent les réseaux carrière deviennent trop importants pour être ignorés», dit-il.
La venue de représentants très performants dans les réseaux indépendants a toutefois ses inconvénients.
«Les conseillers qui ont des ventes très élevées peuvent être très exigeants par rapport à la rémunération, à la proactivité de l’agent général en ce qui concerne la progression de leurs soumissions auprès des assureurs, les émissions de polices, ou encore par rapport à une réclamation qui tarde à être réglée», illustre Robert Landry.
Et pour les agents généraux qui leur ouvrent les portes, «c’est l’envers de la médaille», explique l’ancien dirigeant d’AXA Canada.