
Comme la plupart des experts l’avaient prévu, la Banque du Canada (BdC) a choisi de maintenir son taux directeur à 2,75 %.
Cette décision arrive au lendemain d’un nouveau revirement dans la guerre tarifaire opposant le Canada et les États-Unis. En effet, le président américain Donald Trump a signé mardi un décret doublant les droits de douane sur l’acier et l’aluminium, les faisant passer à 50 %. Ces nouvelles surtaxes sont entrées en vigueur dès les premières heures de la journée.
Dans son communiqué de presse, la banque centrale évoque directement ces turbulences commerciales. « Depuis la publication du Rapport sur la politique monétaire d’avril, l’administration américaine a continué d’augmenter et de baisser différents droits de douane », illustrant l’incertitude persistante entourant cette guerre commerciale.
« L’issue [des négociations entamées avec bon nombre de pays] est très incertaine, les taux tarifaires se situent bien au-dessus des niveaux du début de 2025, et des menaces de nouvelles mesures commerciales continuent de planer. L’incertitude reste élevée. »
Malgré ces turbulences, l’économie mondiale s’est montrée très résiliente au cours des derniers mois. Chez nos voisins du Sud, la demande intérieure est encore relativement vigoureuse, toutefois la progression des importations a freiné la croissance du produit intérieur brut (PIB) au premier trimestre. En Europe, l’économie a été portée par la vigueur des exportations, tandis qu’une hausse des dépenses en matière de défense est à prévoir. En Chine, l’activité économique a ralenti, les effets des précédentes mesures de relance budgétaire s’atténuant progressivement.
Maintenant, au Canada, la croissance du PIB a été légèrement supérieure aux attentes de la BdC, s’établissant à 2,2 % au premier trimestre. « Le devancement des exportations vers les États-Unis et l’accumulation de stocks ont stimulé l’activité, tandis que la demande intérieure finale est restée à peu près stable », observe la BdC.
La croissance de la consommation a quant à elle ralenti, mais en gardant toutefois un certain rythme. L’activité sur le marché du logement et les dépenses publiques ont diminué. Le marché du travail s’est affaibli et le taux de chômage a atteint 6,9 %.
« Pas de surprise : la Banque du Canada a maintenu son taux directeur à 2,75 %. Macklem a livré exactement ce que le marché attendait. Avec un PIB un peu meilleur qu’anticipé au T1, une inflation qui continue de se replier — 1,7 % global, 2,6 % core — et un marché de l’emploi qui ralentit doucement mais sûrement, la Banque se dit qu’elle pouvait se permettre de rester sur les lignes », résume Pierre-Benoît Gauthier, Vice-Président, Stratégie de Placement chez IG Gestion de patrimoine.
La BdC s’attend donc à ce que l’économie soit beaucoup plus faible au deuxième trimestre « en raison du renversement de la forte hausse des exportations et des stocks et du fait que la demande intérieure finale demeure faible ».
L’inflation de son côté s’est établie à 1,7 % en avril, un recul attribuable essentiellement au retrait de la taxe fédérale sur le carbone pour les consommateurs. Abstraction faite des taxes, l’inflation a progressé de 2,3 % en avril, soit un peu plus que les prévisions de la BdC. Les principaux indicateurs de l’inflation sous-jacente, y compris ceux privilégiés par la Banque, montrent une tendance à la hausse.
« La suppression de la taxe carbone le mois dernier a aidé à faire baisser l’inflation, mais au fond, ce n’est pas ça qui dicte la politique monétaire. Ce que la Banque voit surtout, c’est une économie qui n’a pas besoin d’un coup de pouce supplémentaire… pour l’instant. Et honnêtement, à 2,75 %, on est déjà pas mal proches de ce qu’on pense être le taux terminal de ce cycle : quelque part entre 2,25 % et 2,5 %. Il n’y a donc pas d’urgence à couper encore. Une baisse de plus ne changerait pas grand-chose, si ce n’est un signal négatif sur la direction de l’économie canadienne », observe Pierre-Benoît Gauthier.
En conclusion, l’incertitude règne encore notamment en raison des droits de douane, l’économie canadienne s’est affaiblie, mais pas de façon trop marquée et les données récentes sur l’inflation sont un peu plus hautes que prévu.
Ces facteurs ont donc poussé la BdC à maintenir ses taux aux niveaux actuels, soit :
- le taux cible du financement à un jour est à 2,75 %
- le taux officiel d’escompte s’établit à 3 %,
- et le taux de rémunération des dépôts, à 2,70 %.
« Le message du Conseil était classique : on avance à pas mesurés. Pas question de se précipiter sous pression. Ceux qui espéraient une autre baisse rapide devront s’armer de patience. […] Une baisse précipitée, dans le contexte actuel, ce serait mettre un pansement sur une blessure qui n’est pas encore arrivée. Pas utile, et potentiellement contre-productif. Et du côté des marchés ? Rien à signaler. Le dollar canadien bouge à peine, les rendements obligataires restent stables. C’est une pause assumée, qui ne déstabilise personne », résume Pierre-Benoît Gauthier.
Il avoue toutefois que sa réaction initiale à la pause était la déception. « Mais au final si on prend les choses d’un point de vue philosophique : il faut se le dire : ça fait 15 ans qu’on vit dans un monde de taux réels à zéro. C’était bien agréable, et pour les gens dans la quarantaine comme moi ça peut sembler être le mode par défaut puisque c’est ainsi que nous avons toujours vécu. Mais l’argent gratuit, ça ne peut pas être une politique permanente. Garder les taux réels à 0,75–1 %, ce n’est pas une tragédie. C’est un retour à quelque chose de plus sain. On est peut-être enfin en train de passer à autre chose : moins d’obsession pour faire grimper les prix des actifs, plus d’attention sur un contrôle réel des prix. Les propriétaires d’actifs ont eu leur moment, et même plus. Il est peut-être temps que la stabilité des prix — la vraie — soit la priorité », ajoute-t-il cependant.