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Les acteurs de l’industrie financière se sont gratté la tête ces dernières semaines. Bon nombre d’entre eux préparent une réponse à l’énoncé de position de l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI) sur les façons d’uniformiser les règles du jeu en matière de rémunération des conseillers.

Le document vise à créer un cadre réglementaire qui permettrait aux conseillers dans le secteur de l’épargne collective et des valeurs mobilières de se constituer en société par actions ou de verser une part de leur commission à une société qui leur appartient. L’OCRI répond ainsi à un problème découlant du regroupement des activités de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM) et de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM).

« À l’heure actuelle, les personnes autorisées régies par les Règles visant les courtiers en épargne collective de l’OCRI sont autorisées à recourir à une approche prévoyant le versement de la rémunération qu’elles ont gagnée par l’intermédiaire d’un courtier membre parrainant à une partie autre qu’elles-mêmes. Les personnes autorisées qui sont régies par les Règles visant les courtiers en placement et règles partiellement consolidées n’ont pas cette possibilité », lit-on dans le document.

Au Québec, le partage de commission est permis pour les représentants en épargne collective sous certaines conditions. La Loi sur les valeurs mobilières (LVM) du Québec permet à un représentant en épargne collective de partager ses commissions avec un cabinet inscrit en vertu de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

Or, Revenu Québec (RQ) et bon nombre d’acteurs de l’industrie interprètent différemment ces lois. Ces dernières années, et encore récemment, certains conseillers qui avaient effectué ce partage ont reçu des avis de cotisation de Revenu Québec, qui conteste leur interprétation.

« Pour être reconnu sur le plan fiscal, le partage des commissions gagnées par un représentant avec une autre personne, dont un cabinet, doit correspondre à une rémunération gagnée par cette autre personne pour des services qu’elle a réellement rendus au représentant », précisait une récente lettre d’interprétation de RQ.

En bref, un flou demeure concernant la manière dont le partage peut être fait.

Depuis 2009, divers acteurs de l’industrie ont milité auprès du ministère des Finances du Québec afin qu’il permette de manière explicite l’incorporation des représentants ou une façon pour un représentant de partager ses commissions avec une société qui lui appartient.

L’énoncé de position vise à proposer une solution réglementaire à cet enjeu, mais n’apportera aucune garantie qu’elle satisfasse les autorités fiscales, a prévenu Claudyne Bienvenu, vice-présidente pour le Québec et l’Atlantique de l’OCRI, en entrevue avec Finance et Investissement. Les autorités fiscales pourraient d’ailleurs changer leur interprétation des anciennes règles de l’ACFM actuellement gérée par l’OCRI et adopter une perspective différente, a-t-elle indiqué.

« On croit qu’avec le modèle 2 (approche fondée sur la constitution en société des personnes autorisées) vous allez obtenir des autorités fiscales et des ACVM une autorisation à faire la redirection de commission. On pense que c’est la meilleure des choses à ce stade-ci, avec la modification des LVM », a indiqué Claudyne Bienvenu.

Selon diverses sources de l’industrie financière, des discussions ont eu cours en février afin de déterminer quel mode de rémunération devait être favorisé auprès de l’OCRI, sans arriver à une solution unanime. À la mi-février, le Conseil des fonds d’investissement du Québec jugeait la question assez complexe et était encore en réflexion.

Options sur la table

L’OCRI a analysé trois modes de rémunération pour les représentants, a exposé la position préliminaire du personnel de l’OCRI sur celle que le régulateur privilégie et sollicite l’avis du public sur les mérites des options au plus tard le 25 mars 2024.

  1. Approche consolidée fondée sur le versement de commissions à des tiers

Selon ce mode de rémunération, le courtier pourrait rémunérer des conseillers autorisés en versant des paiements à une société détenue par un ou plusieurs d’entre eux lorsque d’autres activités sont exercées au sein de la société. La société détenue par le représentant ne serait pas tenue d’être autorisée par l’OCRI ou inscrite dans les territoires compétents tant que ses activités sont limitées aux activités ne nécessitant pas l’inscription, d’après le document de l’OCRI.

L’un des avantages de cette approche actuelle fondée est qu’il suffirait de modifier les règles de l’OCRI pour que cette option puisse être utilisée par l’ensemble des personnes autorisées.

« Le problème est que l’approche actuelle n’est pas suffisamment transparente quant aux propriétaires véritables et aux activités menées au sein des sociétés auxquelles sont actuellement versées des commissions, et que l’OCRI n’a pas la compétence voulue pour déterminer si une personne autorisée qui utilise cette approche s’assure que la société qui reçoit les commissions limite ses activités à celles qui ne nécessitent pas l’inscription », lit-on dans l’énoncé de position.

Le régulateur pourrait toutefois atténuer ce risque en adoptant un cadre approprié de vérification des propriétaires et des activités de la société. Celui-ci imposerait des limites à la propriété des sociétés et aux activités pouvant être menées au sein de la société. Il exigerait que le courtier membre parrainant vérifie le respect de ces limites avant d’approuver le versement de commissions à la société.

Cette approche ne nécessiterait aucune modification de la législation en valeurs mobilières.

  1. Approche fondée sur la constitution en société des personnes autorisées

Selon ce mode de rémunération, le courtier pourrait rémunérer des conseillers autorisés en versant des paiements à une société détenue par un ou plusieurs d’entre eux, laquelle devrait être autorisée par l’OCRI à exercer ces activités.

« En vertu de cet arrangement, la société personnelle serait autorisée par l’OCRI à exercer des activités au nom du courtier parrainant en tant que personne autorisée constituée en société (une nouvelle catégorie de personne autorisée autre qu’une personne physique), et l’OCRI aurait la même compétence à l’égard de cette personne autorisée constituée en société (c.-à-d. la société personnelle) que celle qu’il a à l’égard des personnes physiques qui se classent dans les autres catégories de personnes autorisées », lit-on dans l’énoncé de position.

Le potentiel de cette approche sera pleinement exploité si la législation en valeurs mobilières est modifiée dans un ou plusieurs territoires compétents, y précise-t-on.

Cette approche est celle privilégiée par l’OCRI. Ce régulateur y voit comme avantage qu’il suffirait de modifier les règles de l’OCRI pour que l’approche soit adoptée pour l’ensemble des personnes autorisées qui n’exercent que des activités ne nécessitant pas l’inscription au sein de la société.

« Comme la société relèverait désormais de l’OCRI sur le plan réglementaire dans le cadre de cette approche, il nous serait plus facile de surveiller les activités menées au sein de la société et les propriétaires de celle-ci », lit-on dans l’énoncé de position.

L’approche amène l’inconvénient que le mécanisme utilisé par l’OCRI pour obtenir des pouvoirs de réglementation envers la société imposera des exigences supplémentaires aux personnes autorisées concernées, au courtier membre parrainant et au personnel du Service de l’inscription de l’OCRI. De plus, il faudrait apporter des modifications à la législation en valeurs mobilières pour permettre aux personnes autorisées d’exercer des activités nécessitant l’inscription au sein de la société dans le cadre de cette approche.

Contrairement à l’approche fondée sur le versement de commissions à des tiers, cette deuxième approche « renforce la protection des investisseurs, en conférant à l’OCRI une compétence claire à l’égard des mesures et des activités entreprises par la société », fait valoir l’OCRI.

  1. Approche fondée sur des sociétés inscrites

Selon ce mode de rémunération, le courtier pourrait rémunérer des conseillers autorisés en versant des paiements à une société détenue par un ou plusieurs d’entre eux, laquelle devrait être inscrite auprès des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) compétentes pour exercer ces activités.

D’après l’OCRI, cette approche serait avantageuse, car il lui serait plus facile de surveiller les activités menées au sein de la société et les propriétaires de celle-ci. Cela renforcerait davantage la protection des investisseurs si les clients obtenaient des droits en vertu de la législation en valeurs mobilières. Ce serait également le cas si des dispositions législatives étaient adoptées pour limiter la propriété de la société et les activités menées au sein de celle-ci, et que la surveillance de ces limites était effectuée par le courtier membre et l’OCRI/les ACVM.

Cette approche aurait comme inconvénient d’obliger l’inscription conférant des pouvoirs de réglementation à l’égard de la société, ce qui imposera des exigences supplémentaires aux personnes autorisées concernées, au courtier membre parrainant et au personnel de l’OCRI et des ACVM chargés de l’inscription.

Parmi les exigences supplémentaires, le courtier parrainant serait chargé : de vérifier la structure de propriété de la société ; d’obtenir des informations sur les propriétaires qui ne sont pas des personnes autorisées ; d’examiner l’analyse coûts-avantages présentée à l’appui de l’acceptation de tout propriétaire qui n’est pas une personne autorisée.

De plus, ce courtier se devrait d’approuver la structure de propriété et les activités qui seront menées au sein de la société conformément aux exigences de l’OCRI et de veiller à ce que tout renseignement préjudiciable concernant les propriétaires lui soit communiqué, ainsi qu’à l’OCRI (et, le cas échéant, aux ACVM), de manière continue et rapide.

Il faudrait prévoir des modifications/dispenses dans la législation en valeurs mobilières pour permettre aux personnes autorisées d’exercer des activités nécessitant l’inscription au sein de la société.

D’autres approches sur la table ?

Difficile pour le moment de savoir quelle approche sera favorisée par une majorité d’acteurs de l’industrie financière. Il reste qu’une autre approche susceptible de clore les divergences d’interprétation avec Revenu Québec pourrait être proposée à l’OCRI.

Par exemple, en février, Gilles Garon, représentant en épargne collective et président du Conseil des Partenaires du Réseau SFL, a souligné que l’option du statuquo était une quatrième approche.

Selon lui, Eric Girard, le ministre des Finances du Québec, pourrait veiller à ce qu’on respecte l’esprit de l’article 160.1.1 de la Loi sur les valeurs mobilières laquelle permet à un courtier en épargne collective de partager la commission qu’il reçoit notamment avec un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome régie par la Loi sur la distribution de produits et services financiers. Une mesure législative pourrait corriger l’écart d’interprétation entre RQ et l’industrie financière.

« À titre de ministre responsable de RQ, nous vous demandons d’intervenir auprès de son PDG afin de suspendre immédiatement et indéfiniment toutes les interventions d’enquête de même que la révocation de tous les avis de cotisation émis », lit-on dans une lettre envoyée au ministre Eric Girard.