Gare aux récidivistes
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Mark Egan, professeur de finance à l’Université du Minnesota et coauteur de l’étude, indique en entrevue qu’il ne s’attendait pas à de tels résultats : «Personne n’a vraiment étudié le sujet jusqu’ici. Nous n’avions pas d’attentes et nous voulions essentiellement voir ce que les données allaient nous révéler.»

Fautif un jour…

À l’aide, entre autres, de déclarations soumises par ses membres à la Financial Industry Regulatory Authority (FINRA), un organisme d’autoréglementation américain, les auteurs ont bâti une base de données sur quelque 1,2 million de conseillers qui ont pratiqué entre 2005 et 2015.

Ils concluent que les cas d’inconduite chez les conseillers américains sont plus répandus qu’on pourrait le croire : le dossier d’un peu plus de 7 % des conseillers est entaché d’une forme ou une autre d’inconduite.

Ces mentions d’inconduite comprennent tant les fautes déontologiques que les résultats de poursuites civiles ou pénales. Elles regroupent même les cas de faillite, mais les auteurs ont décidé de ne pas en tenir compte dans leur recherche.

Selon l’étude, les conseillers fautifs sont souvent les mêmes. Le tiers des conseillers pris en faute l’ont été plus d’une fois. «Les conseillers qui ont des antécédents d’inconduite risquent cinq fois plus de récidiver qu’un autre conseiller», souligne Mark Egan.

Les chercheurs ont remarqué que les inconduites sont aussi répandues parmi les conseillers en services financiers que parmi les médecins, mais qu’elles sont le fait d’un moins grand nombre d’individus.

De plus, certaines firmes se «spécialisent» dans l’embauche des conseillers pris en faute. En effet, bien que la moitié des conseillers responsables d’une inconduite perdent leur emploi, 44 % de ceux-ci réussissent à se faire réembaucher dans l’industrie financière en moins d’un an.

Plus de transparence

Selon l’étude, les sociétés qui récupèrent les contrevenants risquent davantage d’être établies dans des régions où la population est moins éduquée, plus âgée et moins sophistiquée sur le plan financier.

«Une réponse naturelle au problème consisterait à augmenter l’éducation financière des clients et à faire en sorte que l’information soit plus transparente», suggère Mark Egan.

C’est ce que pense aussi Raymonde Crête, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval et spécialiste de la réglementation du secteur financier au Canada. Selon elle, il est opportun de se demander si l’information est suffisamment accessible aux consommateurs. Autrement dit, si un conseiller pris en faute montre des risques de récidive, il est crucial que les clients en soient au courant.

«Ce que l’étude conclut, c’est que l’industrie n’élimine pas les récidivistes», résume-t-elle.

Raymonde Crête a des raisons de croire que la récidive est probablement plus répandue aux États-Unis qu’au Canada, compte tenu de l’importance de l’industrie. Néanmoins, elle juge qu’il est plus facile d’obtenir de l’information sur les conseillers aux États-Unis.

Peu de données au Québec

D’ailleurs, Finance et Investissement a pu constater combien il était difficile d’obtenir des données sur la situation en la matière au Québec.

Selon la Chambre de la sécurité financière (CSF), depuis cinq ans, 205 représentants ont reçu une sanction d’amende ou de radiation temporaire. Sur ce nombre, 90 représentants sont toujours des membres actifs de la CSF.

La Chambre évalue que «moins de 1 %» de ses 32 000 membres actifs ont un historique disciplinaire, mais ces chiffres ne remontent qu’à l’année 2000, à la création de la Chambre.

De son côté, l’Autorité des marchés financiers (AMF) s’est dite incapable de fournir des chiffres sur le nombre de cabinets pris en faute au cours de la dernière année. L’organisme suggère que la seule façon de calculer ce nombre «serait de prendre [ses] communiqués de presse de la dernière année et de vérifier ce qui touche les cabinets».

Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, la CSF et l’AMF n’obligent pas les conseillers à déclarer des infractions ou même des jugements défavorables de nature pénale ou civile, souligne Raymonde Crête. De plus, l’outil de recherche de la FINRA (Broker Check), qui contient les données utilisées par les auteurs, n’a pas d’équivalent au Canada, dit-elle.

Une situation à corriger

Par ailleurs, non seulement l’information est éparpillée parmi les différents organismes de réglementation, mais elle est aussi parfois incomplète, selon Raymonde Crête. «On aurait besoin d’un site où serait concentrée toute l’information sur les conseillers», considère-t-elle, tout en suggérant que l’AMF fournisse ce service.

La situation actuelle est insatisfaisante, selon la professeure. Le site des Autorités canadiennes en valeurs mobilières prétend par exemple offrir de l’information sur des sanctions imposées par différents organismes canadiens, mais ne semble pas recouper l’information disponible ailleurs. C’est ce qu’a remarqué Raymonde Crête, en effectuant une simple recherche sur une ex-conseillère reconnue coupable de fraude.

Sur le site Internet de l’AMF, on peut savoir uniquement si un conseiller est inscrit ; on ne peut pas savoir s’il a commis des fautes disciplinaires. Du côté de la CSF, le consommateur est dirigé vers un site de recherche juridique.

Pour l’épargnant qui ne connaît pas toutes les nuances de la réglementation au Québec et au Canada, «c’est une vraie course à obstacles», conclut Raymonde Crête.