Une statuette en bronze de la déesse de la justice devant une pile de livre.
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Emerge Canada Inc. a liquidé ses 11 fonds négociés en Bourse (FNB) qui faisaient l’objet d’une interdiction d’opérations depuis avril, mais le gestionnaire de fonds n’a toujours pas remboursé les millions qu’il doit à cinq de ces fonds.

Emerge a annoncé mercredi aux détenteurs de parts que les six FNB Emerge ARK et les cinq FNB Emerge EMPWR avaient été « entièrement liquidés au 31 octobre », le produit de la vente étant détenu par RBC Investor Services Trust, assujetti à un taux d’intérêt de 4 %.

Les porteurs de parts ont reçu le produit de leur investissement moins les dettes et les dépenses du fonds, mais sans recevoir l’argent dû par Emerge Canada Inc. Pour cinq des six FNB Emerge ARK.

Les FNB n’étaient plus négociables depuis que la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) avait rendu une ordonnance d’interdiction d’opérations sur les 11 FNB d’Emerge Canada Inc. le 6 avril. Une situation liée au fait qu’Emerge a dépassé la date limite de dépôt de ses états financiers annuels audités. C’était la première fois qu’une interdiction d’opérations était imposée à une famille de FNB au Canada.

Le 11 mai, la CVMO a suspendu l’enregistrement d’Emerge Canada pour insuffisance de capital, en raison d’une créance de 5,5 millions de dollars (M$) due à cinq de ses FNB Emerge ARK.

Au 20 décembre, Emerge a déclaré aux porteurs de parts que les créances en souffrance totalisaient 4,69 M$, soit environ 800 000 dollars de moins qu’estimé.

Le fonds phare Emerge ARK Global Disruptive Innovation ETF (EARK) et le Emerge ARK Genomics & Biotech ETF (EAGB) sont les plus endettés des FNB visés. Les créances impayées pour chaque fonds représentant environ 5,6% de la valeur nette d’inventaire (VNI) de chaque FNB, comme l’a déclaré Emerge le 15 décembre.

Les créances représentent entre 0,55 % et 1,50 % de la valeur nette d’inventaire pour les trois autres FNB qui doivent de l’argent.

Dans un avis aux porteurs de parts, Emerge a déclaré que si elle peut rembourser la créance d’ici le 29 décembre, les paiements seront versés aux porteurs de parts par l’intermédiaire de leurs courtiers, sans déduction de frais. Les cinq FNB seront alors résiliés.

Si la créance n’est pas remboursée d’ici le 29 décembre, les porteurs de parts deviendront des créanciers non garantis d’Emerge Canada et les FNB seront résiliés.

Dan Hallett, vice-président de la recherche et directeur de HighView Asset Management Ltd., de Oakville (Ontario), a déclaré qu’il ne se souvenait pas d’un autre cas où les détenteurs de parts étaient devenus créanciers d’un promoteur de FNB au cours des 30 dernières années.

Dan Hallett a déclaré qu’il espérait voir le remboursement de la créance, mais il a suggéré aux détenteurs de parts de « ne pas y compter tant que le paiement final n’aura pas été reçu, compte tenu de la durée de l’immobilisation de la créance ».

Si la créance n’est pas remboursée, « ce n’est pas un pourcentage énorme » de la valeur liquidative, a-t-il déclaré, reconnaissant que cela n’est pas une grande consolation pour les détenteurs de parts. « C’est suffisamment important pour que cela fasse mal, mais ce n’est pas la leçon la plus coûteuse » puisque les investisseurs auront reçu néanmoins le produit de la vente.

« Les informations communiquées par Emerge aux détenteurs de parts sont totalement inadéquates », a pour sa part déclaré Garth Myers, associé chez Kalloghlian Myers LLP à Toronto, qui a déposé une proposition de recours collectif à l’encontre d’Emerge. « Il ne contient pas de détails sur les coûts engendrés par leur mauvaise conduite pour les détenteurs de parts, en particulier en ce qui concerne la liquidation de ces actifs ».

Garth Myers a déclaré que son cabinet avait l’intention de poursuivre avec son action collective même si Emerge remboursait intégralement ses créances d’ici le 29 décembre, car « nous ne connaissons toujours pas l’étendue des dommages causés », a-t-il déclaré. « Les créances ne sont qu’une partie de l’affaire ».

L’action collective n’a pas été certifiée.

Emerge Canada Inc. n’a pas répondu immédiatement à une demande de commentaire.

La société torontoise AUM Law a été désignée le 1er novembre pour surveiller la liquidation des FNB. À la suite de la liquidation ordonnée des 11 FNB, l’inscription d’Emerge Canada Inc. sera entièrement suspendue par la CVMO.

Occasions perdues

« Si l’on récapitule l’expérience des investisseurs, la communication a été mauvaise, et la transparence a fait défaut », a déclaré Yves Rebetez, partenaire de Credo Consulting Inc. d’Oakville, en Ontario. « Et puis, l’exécution de tout cette situation et le résultat final me laissent pantois ».

La date de liquidation du 31 octobre signifie que les FNB Emerge ARK n’ont pas profité de l’envolée spectaculaire des technologies le mois dernier. L’ARK Innovation ETF de Cathie Wood, sur lequel EARK est basé, a enregistré un rendement de 31,1% pour le mois de novembre, après trois mois consécutifs de pertes. Il s’agit du meilleur mois de de ce FNB depuis sa création.

De plus, « en novembre, le BMO ARK Innovation Fund a été le fonds d’actions le plus performant au Canada, y compris les fonds communs de placement et les FNB », a signalée Danielle LeClair, directrice de la recherche sur les gestionnaires chez Morningstar Canada. « Cette année, ce sont les fonds de crypto-monnaie qui ont obtenu les meilleurs résultats, mais en novembre, [le fonds BMO] a même battu ces stratégies ».

Les rendements sur la base de la valeur liquidative des six fonds Emerge ARK entre le 6 avril, le jour de l’ordonnance d’interdiction d’opérations, et le 31 octobre vont de -19,80% pour EAGB à 2,36% pour le FNB de technologie autonome et de robotique. Le fonds EARK a enregistré un rendement de -6,67 %.

Yves Rebetez se demande pourquoi les investisseurs doivent attendre jusqu’à la fin décembre pour recevoir le produit net de la vente si les fonds ont été entièrement liquidés au 31 octobre. Il ajoute qu’avec le passage des marchés canadiens et américains au règlement le jour suivant en 2024, le délai semble encore moins raisonnable.

« Ce n’est pas [encore] T+1, mais cela ne devrait pas être T+50 », a-t-il déclaré. En conservant le produit, le gestionnaire « prive l’investisseur de la possibilité d’anticiper le marché…. Vous n’avez pas la possibilité de redéployer les fonds, et vous avez raté l’investissement que vous vouliez au départ, qui a depuis explosé ».

Leçons tirées

Yves Rebetez espère que l’affaire Emerge suscitera une réflexion auprès du secteur et des instances réglementaires.

« Quel est le délai raisonnable pour éviter que les investisseurs se retrouvent de nouveau dans ce genre de situation ? Comment combler l’écart entre la divulgation initiale [des problèmes d’Emerge] et l’accès aux fonds des investisseurs pour que cela ne prenne pas autant de temps ? » Les régulateurs doivent réexaminer ce type de situation et trouver comment ils peuvent empêcher que cela n’atteigne un stade comme celui qui a été atteint, afin de protéger les investisseurs avant que cela ne devienne un problème.

Yves Rebetez et Dan Hallett ont également attiré l’attention sur les règles comptables qui ont permis à Emerge d’accumuler une créance aussi importante.

« Qu’est-ce que cela dit du modèle de gouvernance des fonds communs de placement et des fonds négociés en Bourse pour que [la créance] ait pu persister et croître à ce point ? » a déclaré Dan Hallett. (Une créance a été déclarée pour la première fois par Emerge dans ses états financiers de 2019).

« On en revient aux principes comptables acceptables et à l’importance relative », estime Yves Rebetez. « Si la [créance] est de 100 000 dollars et que les actifs s’élèvent à 100 millions de dollars, ce n’est pas grave. Mais lorsqu’elle atteint un million de dollars, puis 5 millions de dollars, Houston, nous avons un problème, n’est-ce pas ? Ce que cela signifie pour moi, c’est que la surveillance n’est pas assurée ou qu’elle est insuffisante, et que lorsque des mesures sont prises, il est déjà trop tard ».

Selon Dan Hallett, la principale leçon à tirer pour le secteur est l’importance de la diligence raisonnable à l’égard des sociétés de fonds, tant pour les conseillers en services financiers que pour les investisseurs individuels.

Les informations sur les créances « figuraient directement dans les états financiers ; il n’y avait rien de caché », a rappelé Dan Hallett. « C’était un chiffre important qui augmentait à chaque fois. »

Dan Hallett, qui a passé la majeure partie de sa carrière à défendre les intérêts des investisseurs, estime que les investisseurs individuels doivent également procéder à ce type d’analyse, même s’il reconnaît que nombre d’entre eux choisissent des titres sur la base de rumeurs et d’anecdotes.

« Vous devez avoir un bon processus de diligence raisonnable avec une liste de contrôle pour chaque produit, car vous ne savez pas où vous allez trouver un problème s’il y en a un », a-t-il déclaré. « Si vous faites la validation par vous-même, il vous incombe de savoir ce que vous achetez ».

Chronologie : FNB Emerge

– 3 novembre 2022 : BDO LLP démissionne de son poste d’auditeur des fonds Emerge.

– 31 mars : Date limite à laquelle Emerge était censée déposer ses états financiers annuels vérifiés.

– 6 avril : Ordonnance d’interdiction d’opérations sur les 11 FNB gérés par Emerge Canada Inc.

– 14 avril : Advisor.ca rapporte que l’ensemble des six FNB ARK d’Emerge Canada doit plus de 2,5 millions de dollars en créances à Emerge.

– 11 mai : Emerge Canada est suspendue pour insuffisance de capital.

– 14 juillet : date de liquidation des versions américaines des cinq FNB EMPWR

– Août : Dans des documents déposés auprès du greffier du comté d’Erie, une femme embauchée en février 2022 en tant qu’assistante de direction chez Emerge Capital Management Inc., société basée à Buffalo (New York), allègue qu’elle n’a pas reçu de salaire entre le 16 décembre 2022 et le 6 mars 2023.

– 15 septembre : Cinq FNB EMPWR américains demandent à la Securities and Exchange Commission (Commission des valeurs mobilières des États-Unis) de se désenregistrer.

– Octobre : Trois employés d’Emerge Canada Inc. déposent un avis de motion contre Lisa Lake Langley et Emerge Capital Management Inc. pour avoir omis de rembourser près de 200 000 $US qu’ils avaient prêtés à l’entreprise plus tôt dans l’année.

– 19 octobre : Emerge Canada annonce qu’elle liquide ses 11 FNB.

– 31 octobre : Date de liquidation des 11 FNB d’Emerge Canada

– 20 décembre : Les parts proportionnelles sont payées aux détenteurs de parts « au plus tard » à cette date ; les FNB sans créances sont liquidés.

– 29 décembre : date de résiliation des cinq FNB Emerge ARK ayant des créances impayées, que ces créances soient payées ou non.