Homme d’affaire brésilien qui a fait fortune dans les mines et le pétrole, il était encore en 2012 la septième fortune mondiale. Aujourd’hui, ses entreprises sont en faillites, ses biens et ses liquidités ont été confisqués par la justice, il est assigné à résidence pour une peine d’emprisonnement de plus de cent ans et doit répondre cette année à une plainte d’actionnaires pour fuite de capitaux.
L’histoire de Eike Batista débute comme celle d’un conte de fée moderne. Fils du ministre des Mines et Énergie et ancien dirigeant de Vale Doce, l’une des plus grandes entreprises minières, Eike Batista est né avec une cuillère en or massif dans la bouche. À la faveur d’une mutation de son père, il passe son adolescence en Allemagne, pays natal de sa mère. Il y reste faire des études d’ingénierie métallurgique et selon la petite histoire, il commence sa carrière en vendant des polices d’assurances en porte-à-porte à Aix-la-Chapelle pour payer ses études. Jusqu’au jour où la lecture d’un article de journal – qui explique que les sols d’Amazonie regorgent d’or encore non exploités – bouleverse sa vie. Le jeune ingénieur saute dans un avion pour retrouver son pays natal et initier sa carrière d’entrepreneur.
Il raconte qu’il a réussi à se faire prêter 500 000 dollars américains auprès de joailliers pour aller acheter de l’or au milieu de la jungle. C’était la fin des années 1980, la dictature brésilienne vivait ses derniers jours et le pays était en proie à la fièvre de l’or.
Parti en Amazonie avec un sac à dos de vieux habits, il revient avec son sac plein d’or. En une année, il gagne son premier million, il n’a alors que 23 ans. Il crée ensuite une société de commerce d’or, Autram Aurem. Un an et demi plus tard, la société gagne 6 millions de dollars américains. De là, il va bâtir un immense empire.
Sur les fondations d’Autram Aurem, il développe le groupe EBX, un consortium d’entreprises d’exploitations de minerais, de gaz et de pétrole dont sa compagnie pétrolière OGX, le vaisseau amiral. Il opère à l’internationale et possède des mines sur les cinq continents. À l’âge de 29 ans il devient le PDG de TVX Gold, une société cotée à la bourse canadienne. Le jeune entrepreneur fait pousser les entreprises comme d’autres les champignons, les bénéfices des premières servent à financer les investissements des suivantes.
Le roi du capitalisme à la Brésilienne
Cette histoire est bien connue de tous les brésiliens pour qui Eike Batista est une légende vivante. Tel le Rockefeller de son époque, il représente le rêve du “self-made man” latin. Le président brésilien le couronne « roi du capitalisme brésilien ». Son mariage avec la reine du carnaval carioca et célèbre top-model, Lima de Oliveira, le propulse au rang d’icône pop. Il s’affiche alors dans la presse people au bras de sa femme-trophée dans un gigantesque salon où trône deux voitures de luxe en guise de bibelots géants.
Son succès s’accentue dans les années 2000, à la faveur du boom économique du Brésil. En plus des ressources qui ont fait sa fortune, il se lance dans tous les domaines qui pouvaient rapporter de l’argent à l’époque: immobilier, nouvelles technologies, hôtelleries ou encore restauration. En 2008, sa compagnie pétrolière OGX réussit la meilleure entrée en bourse de Sao Paulo.
C’est l’époque à laquelle le Brésil passe d’un pays en voie de développement au rang de 6e puissance mondiale et où Eike Batista atteint la 7e place du classement des plus grandes fortunes du monde du magazine Forbes. En 2012, son capital est alors estimé à 30 G$ américains. Il est alors l’homme le plus puissant d’Amérique du Sud. L’année d’après, dans ces mêmes colonnes, le magazine relate son incroyable perte.
De la liste Forbes à celle d’Interpol
En 2013, les entreprises de Eike Batista commencent à avoir des difficultés financières. Les puits de pétrole sont loin de générer le rendement espéré, les projets prennent du retard et très vite les bénéfices attendus se transforment en pertes économiques. OGX fait faillite, entraînant le reste de ses entreprises. Le mythe s’effondre, l’homme est ruiné. Lors d’une interview télévisée devenue célèbre, il déclare être descendu dans la classe moyenne. Les économistes brésiliens comparent son empire à un château de cartes où les levées de fonds de l’une servait à combler les déficits de l’autre.
En réalité, nombres de ses mines et puits de pétrole étaient surévalués et son principal talent était de vendre un rêve de fortune à ses actionnaires. En octobre 2013, OGX fait évader 45 M$ au détriment de ses actionnaires. En 2015, la justice brésilienne lance un mandat d’arrêt international, via Interpol, alors que Eike Batista est au États-Unis. La justice lui confisque ses biens et ses liquidités afin de rembourser ses créanciers.
En 2017, le Brésil est en crise politique et l’opération Lava Jato enquête sur un vaste réseau de corruption au sein des plus hautes sphères du pouvoir brésilien. Eike Batista tombe alors pour blanchiment d’argent et corruption. En juillet 2018, un juge l’a reconnu coupable d’avoir versé 16,5 M$ de pots-de-vin à Sergio Cabral, ex-gouverneur de Rio de Janeiro. Il passe trois mois en prison avant de poursuivre sa peine à domicile, il est condamné à 123 ans de prison, cumulés entre différentes affaires.
En mai 2019, l’ancien milliardaire est condamné par les autorités boursières à payer deux amendes d’un montant total de 123 M$ pour délit d’initié. Aujourd’hui, ses actionnaires se sont réunis pour le traduire en justice afin de récupérer l’argent que Eike Batista a évadé avant la faillite d’OGX. La justice américaine est en partie saisie de l’enquête car la fuite des capitaux vers les Bahamas aurait transité par des banques américaines.
Dans cette même affaire, ce mardi 18 février, Morgan Stanley a trouvé un accord avec la CVM, l’autorité du marché des valeurs mobilières au Brésil. La banque américaine s’engage à verser 3 M$ afin d’arrêter une enquête visant à démontrer que Morgan Stanley aurait manipulé les actions d’OGX aux sessions du 30 octobre et 2 septembre 2013, ce qui aurait rapporté de gros bénéfices à la banque.
Bien plus qu’une histoire d’homme, celle d’Eike Batista illustre celle d’un pays qui subit des revers de médaille. Après avoir fait rêver les brésiliens, l’ex-milliardaire est devenu une honte nationale, comme le souligne le juge Marcelo Bretas avant de l’envoyer en prison : « Vos crimes ont causés de profondes cicatrices dans la confiance des investisseurs et des entrepreneurs, qui dans un passé récent ont vu le Brésil comme une bonne option d’investissement. »