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Des billions de dollars en fonds suspects circulent dans le système bancaire mondiale grâce à cinq grandes banques, révèle une fuite de documents secrets du gouvernement américain auxquels Radio Canada a eu accès.

Selon les FinCEN files – soit plus de 2500 documents de rapports d’activité suspecte que les banques ont envoyés aux autorités américaines entre 1999 et 2017, qui ont été partagées avec le Consortium international des journalistes d’enquête (ICIJ) – plus de 2000 milliards de dollars (G$) de transactions suspectes ont été réalisés au cours de ce laps de temps de 17 ans.

Cette fuite, qui arrive quelques années seulement après les Panama Papers, montre que cinq grandes banques américaines, soit JPMorgan, HSBC, Standard Chartered, Deutsche Bank et la Bank of New York récolteraient une part de leurs profits par l’entremise de clients « douteux ». Ces banques seraient partie prenante à la transition de capitaux issus de criminels présumés, alors même qu’elles ont été condamnées il y a peu par les autorités américaines pour leur laxisme quant aux affaires de blanchiment d’argent.

Rappelons qu’après les différents scandales financiers des dernières années, les autorités américaines ont exigé que les grandes banques réforment leurs pratiques en plus de leur imposer des amendes.

Certaines sanctions pénales ont pu être évitées grâce à la signature d’accords de réparation. C’est le cas par exemple d’un accord signé en 2012 par HSBC après avoir été suspecté d’avoir blanchi près de 900 M$ pour des trafiquants de drogue, dont le cartel mexicain Sinaloa dirigé à l’époque par Joaquín « El Chapo » Guzmán. Dans la foulée de cette histoire, HSBC a payé 1,9 G$ en amendes et le gouvernement américain a accepté d’annuler les poursuites pénales après des démarches de cinq ans, à condition que la banque s’engage à lutter contre le flux de fonds illicite.

HSBC s’est défendue face aux accusations de l’ICIJ. Par voie de communiqué, elle affirme que ces dernières sont anciennes et sont antérieures à cet accord conclu sur le sujet en 2012. La banque dit avoir revu, depuis, ses manières de lutter contre la criminalité financière.

Selon les documents du FinCEN Files, toutefois, HSBC aurait continué à transférer des fonds pour des clients douteux, notamment pour des blanchisseurs d’argent russes présumés.

La Deutsche Bank assure, quant à elle, que les accusations de l’ICIJ sont des informations connues des régulateurs. La banque dit consacrer « d’importantes ressources au renforcement de ses contrôles », selon ce que révèle le journal français, Le Figaro.

Contrôle déficient ou corruption?

Les démentis des banques montrent que ces dernières ignorent avec qui elles font affaire même lorsque les sommes concernent plusieurs millions de dollars. Selon l’enquête de l’ICIJ, dans une bonne moitié des cas, les banques ne disposaient pas d’informations suffisantes sur les entités liées à ces opérations jugées douteuses. Dans nombre de cas, les demandes d’informations sont restées sans réponse. L’ICIJ remet donc en doute l’efficacité des programmes de lutte contre le blanchiment d’argent mises en place par les institutions.

« Ces documents, compilés par les banques, partagés avec le gouvernement, mais gardés hors de la vue du public, exposent le gouffre béant des garanties bancaires, et la facilité avec laquelle les criminels les ont exploitées », commente le média américain Buzzfeed News en préambule de son enquête sur le sujet.

Selon l’émission Enquête de Radio Canada, les systèmes de détection de fonds illicites présents dans les grandes banques reposent sur de petits employés. Les documents de la fuite montrent que ces derniers utilisent des outils tels que Google pour déterminer d’où proviennent ces gros transferts.

« En ne stoppant pas les transactions liées à la corruption, les institutions financières ont abandonné leur rôle de première ligne contre le blanchiment d’argent », déclare Paul Pelletier, ancien haut fonctionnaire du département américain de la Justice et procureur chargé des crimes financiers, à Radio Canada.

Les documents mis en lumière concernent des clients d’institutions financières de plus de 170 pays. Le Canada fait d’ailleurs partie du lot : puisque la fuite compte notamment près de 2500 opérations douteuses liées à des sociétés ou institutions bancaires du pays.

« Je ne suis pas surpris que les criminels internationaux considèrent le Canada comme un endroit facile pour faire du blanchiment d’argent. Mais ce que je trouve vraiment choquant et inacceptable, c’est la complicité des banques », commente Charlie Angus, un député du NPD qui s’intéresse depuis longtemps à la criminalité financière, à Radio-Canada.