Dans une entrevue accordée à Finance et Investissement, Claude Montmarquette, professeur d’économie à l’Université de Montréal et président du groupe de recherche CIRANO, a tenu à préciser que la recommandation touchant une rente longévité ne représente que 5 % du rapport du comité présidé par Alban D’Amours.

Ce comité, juge l’expert, a fait un «excellent travail» sur 95 % des autres points de son étude, notamment au chapitre de la pérennité des régimes complémentaires de retraite à prestations déterminées.

Toutefois, en proposant la rente longévité, le groupe de travail est allé au-delà de son mandat, juge-t-il.

Le rapport D’Amours propose que la rente longévité verse une prestation équivalant à 0,5 % du salaire moyen d’un travailleur durant sa carrière pour chaque année de cotisation. Par exemple, un travailleur qui y cotiserait pendant 40 ans recevrait une prestation égale à 20 % de son salaire moyen durant sa carrière.

Le coût du régime s’établirait à 3,3 % du salaire d’un travailleur, réparti à parts égales entre l’employé et l’employeur.

L’économiste craint qu’une telle mesure rate la cible, car la rente longévité prendra 40 ans pour atteindre sa cible en matière de remplacement du revenu des retraités.

Or, d’ici dix ans, 500 000 travailleurs québécois passeront le cap des 65 ans et ne profiteraient que peu des éventuelles prestations d’une rente longévité.

Claude Montmarquette estime que 20 % des individus de 65 à 75 ans connaissent des difficultés financières. Il s’agit principalement des travailleurs qui ont un revenu inférieur au salaire médian et qui ne bénéficient pas d’un soutien de l’État.

Pour qu’ils aient tendance à épargner plus, il faut que le renforcement de l’économie permette une amélioration de leurs revenus, soutient le professeur.

Iniquités

Il reproche aussi au projet de rente longévité d’introduire une iniquité intergénérationnelle. En effet, les travailleurs qui commenceraient à cotiser plus tard obtiendraient un rendement de leur épargne supérieur à celui des plus jeunes, selon lui.

Une autre iniquité, socioéconomique celle-là, découlerait du fait que les personnes plus fortunées vivent généralement plus vieilles que les moins nanties, et recevraient donc plus longtemps leur rente longévité.

Ces données démographiques sont toujours vraies, soutient Claude Montmarquette, même si on constate un certain rattrapage à ce chapitre grâce aux efforts d’éducation.

Ces deux aspects négatifs du régime proposé peuvent être palliés en partie par des aménagements. «Cependant, le noeud du problème, dit le chercheur, c’est qu’avec une croissance du produit intérieur brut (PIB) québécois inférieure à 1 % pour 2013, selon plusieurs prévisionnistes, il est très difficile d’encourager les travailleurs à l’épargne.»

La priorité, selon lui, est donc de ramener la progression économique à sa moyenne historique, qu’il établit à environ 2,1 % sur une période de 20 à 30 ans.

De plus, déplore Claude Montmarquette, forcer les entreprises à cotiser au fonds de la rente longévité risque de réduire leur compétitivité, ce qui pourrait freiner la croissance du PIB.

Moins d’originalité

Le professeur prône donc une approche qui mise moins sur l’originalité et plus sur les fondements de l’économie.

Y compris le fait «qu’on devrait travailler plus longtemps. Cependant, pour déplacer l’âge effectif de la prise de retraite, il faut que l’économie offre des emplois aux travailleurs expérimentés, et donc, qu’elle soit en croissance».

«Le monde du travail n’est plus ce qu’il était il y a 20 ans et travailler un an de plus peut régler pas mal de problèmes», soutient l’économiste.

RVER

Claude Montmarquette aime bien les possibilités offertes par les RVER qui pourraient apparaître au Québec au début de 2014, selon le souhait du gouvernement du Québec.

Même si ces régimes doivent offrir aux employés une option de retrait, le chercheur est confiant, sur la base d’études en finance comportementale, que de nombreux travailleurs adhéreront aux RVER.

Pour Claude Montmarquette, le fait qu’aucun autre pays n’ait envisagé la rente supplémentaire à 75 ans doit inciter les décideurs québécois à se poser des questions sur le sujet. D’ailleurs, il en a discuté avec plusieurs autres chercheurs «et aucun n’y croit», dit-il.

Soutien de l’IQPF

Pourtant, chez les praticiens de la planification financière, on entend un tout autre son de cloche.

Dans un mémoire soumis à la commission parlementaire qui s’est penchée sur la question l’été dernier, l’Institut québécois de planification financière (IQPF) a dit soutenir «sans réserve le principe de la rente longévité».

L’Institut a analysé divers scénarios pour contrer l’iniquité intergénérationnelle dénoncée par le professeur Montmarquette.

Il s’agirait de moduler soit le taux de cotisation, soit la prestation promise, en fonction de l’âge d’entrée dans le régime, afin de réduire l’écart de rendement entre les participants les plus jeunes et les plus âgés.

Le planificateur financier Martin Dupras, président du cabinet ConFor financiers, est le professionnel qui a rédigé le mémoire de l’IQPF. En entrevue, il explique que si la rente longévité est mise en place, elle sera efficace surtout pour ceux qui ont encore une vingtaine d’années de travail devant eux.

Si, en commençant à cotiser à 50 ans, un travailleur prévoit se retirer dix ans plus tard, il n’améliorera son revenu annuel à 75 ans que de 5 % du salaire sur lequel il aura cotisé.

Par contre, dans le cas d’un travailleur de 30 ans, l’imposition de cette discipline financière aurait un impact important sur son revenu de retraite, selon Martin Dupras. Surtout qu’à cet âge, rares sont ceux qui pensent à planifier leur retraite.

Le principal risque qui menace les futurs retraités est celui de survivre à leur capital de retraite, même si, bien sûr, ils peuvent se réjouir à l’idée de vivre au-delà de 95 ans.

L’impact direct de la rente longévité est «de prendre en charge une bonne partie de ce risque», affirme Martin Dupras.

Peu de gens espèrent travailler jusqu’à 75 ans. Ils devront donc continuer à prévoir d’autres sources de revenus et accumuler de l’épargne pour pouvoir décider de l’âge auquel ils prendront leur retraite et de leur niveau de vie après la retraite.

En fait, pour le spécialiste, il ne s’agit ni d’un report forcé de l’âge de la retraite, ni d’une prise en charge par l’État des futurs retraités.

«Nous sommes conscients du fait que la mesure proposée impose une taxe de plus sur la masse salariale des entreprises et qu’elle comporte des irritants affectifs.»

Toutefois, Martin Dupras affirme que «si en 1966, ces préoccupations avaient primé, nous n’aurions pas le Régime de rentes du Québec et beaucoup de retraités se retrouveraient sans rien».