Comment expliquer la chute de 28,9 % du prix de l’or en 12 mois ? Et surtout, à quoi peut-on s’attendre au cours des prochains trimestres ?

Finance et Investissement a interviewé trois experts qui évoquent notamment une reprise économique allant à l’encontre d’une croissance du prix de l’or, et l’importance de la valeur du dollar américain dans la fixation de son prix.

Explications

Martin Lefebvre, vice président, stratégie de placement et répartition de l’actif, à la Banque Nationale, rappelle que l’or «est un actif qui ne donne pas de rendement en soi».

«Il est plutôt perçu comme un rempart contre des événements-chocs, que ce soit une déflation ou une inflation, une guerre ou une forte récession», explique-t-il.

Ainsi, pour Martin Lefebvre, la remontée des taux d’intérêt des obligations et les bons rendements boursiers des derniers trimestres rendent l’or moins intéressant pour les investisseurs.

De plus, «la plus forte dépréciation de l’or a concordé avec des rapports d’analystes qui étaient très négatifs à l’égard de son prix, ce qui a amplifié le mouvement à la baisse», ajoute-t-il.

Mathieu D’Anjou, économiste principal chez Desjardins, évoque quant à lui l’annonce, en mai 2013, de la réduction prochaine des injections de liquidités par la Réserve fédérale américaine (Fed).

Cette annonce aurait aussi contribué «à la diminution de la demande d’or, puisqu’une partie de ces liquidités était utilisée pour en acheter. La décision de réduire les injections a été prise en décembre, mais les marchés avaient déjà commencé à réagir, et cela a amplifié le recul de l’or».

Demande indienne

Traditionnellement, les Indiens sont d’importants consommateurs d’or.

Lors des mariages, l’or constitue souvent l’apport de la femme au nouveau ménage. De plus, il est considéré comme un outil d’épargne sûr.

Toutefois, la demande d’or était tellement élevée en Inde que son importation a fini par peser trop lourdement sur la balance commerciale et sur la roupie, dont la valeur ne cessait de baisser.

Cela a amené le gouvernement indien à hausser les barrières tarifaires sur l’importation d’or à l’été 2013. Il les a établies à 10 % pour l’or pur et à 8 % sur l’or nécessitant encore un raffinage.

Cela a-t-il joué dans la baisse du prix de l’or ? John Goldsmith, vice-président et chef adjoint des actions chez Placements Montrusco Bolton, ne le croit pas.

Contrairement à la plupart des autres ressources naturelles dont la demande provient surtout d’industries ou de consommateurs, «la demande d’or provient à 50 % des investisseurs, notamment les banques centrales, les fonds négociés en Bourse (FNB) et les fonds de couverture (hedge funds)», explique-t-il.

«La demande indienne représente une des plus grosses, sinon la plus grosse partie de la demande mondiale réelle», précise l’expert.

Toutefois, puisque cette demande réelle ne représente que 50 % de la demande totale, l’impact de l’Inde n’explique pas l’ampleur de la chute du prix de l’or, selon John Goldsmith.

Par ailleurs, malgré le cas de l’Inde, «on sent qu’il y a quand même encore une bonne demande d’or, en particulier en Asie et dans les pays émergents», dit Mathieu D’Anjou.

«La demande des consommateurs a été très bonne en 2013, entre autres en Chine, et on peut être confiant qu’elle se maintiendra en 2014.»

Effet du dollar américain

L’évolution du dollar américain compterait aussi beaucoup dans la chute du prix de l’or.

La variation de valeur du dollar américain est inverse à celle de l’or. C’est-à-dire que «chaque fois que le dollar américain s’affaiblit, le prix de l’or monte, et inversement», dit John Goldsmith.

«Si de 2001 à 2011, le prix de l’or a enregistré des gains, c’est notamment parce que le dollar américain a faibli par rapport aux principales devises, en particulier l’euro et le yen», dit-il.

De la même manière, il explique qu’actuellement, «plus de 75 % de la chute du prix de l’or depuis 2011 est dû au fait que le dollar américain est devenu beaucoup plus fort par rapport à d’autres devises».

On mesure la valeur du dollar américain avec le U.S. Dollar Index (DXY), un indice de la valeur du dollar américain par rapport à un panier de devises. Dans cet indice, «l’euro et le yen représentent respectivement 58 % et 16 % du panier», précise John Goldsmith.

Hausse improbable en 2014

Chez Desjardins, on estime que l’or s’établira à 1 100 $ US l’once à la fin de 2014.

«Le contexte défavorable pour l’or devrait persister en raison d’une poursuite de la diminution des injections de liquidités aux États-Unis, de l’augmentation probable des taux obligataires et d’un contexte économique globalement favorable», explique Mathieu D’Anjou.

Pour sa part, Martin Lefebvre évoque l’éventualité d’une hausse éphémère.

«À très court terme, puisqu’on sort d’une année exceptionnelle en Bourse, des investisseurs pourraient être amenés à se positionner sur des segments de marché qui ont moins bien performé. Cela pourrait faire rebondir le prix de l’or temporairement», explique l’expert de la Banque Nationale.

Cependant, le dollar américain restera fort, ce qui aura à plus long terme un effet à la baisse sur le prix de l’or, souligne Martin Lefebvre.

«Les Américains seront probablement les premiers à procéder à un resserrement monétaire. On nous annonce que ce ne sera pas au cours des prochains trimestres, et que les taux d’intérêt resteront faibles encore longtemps», dit-il.

«Toutefois, la réduction des achats de la Réserve fédérale est le premier pas vers la volonté d’en faire moins», ajoute-t-il.

John Goldsmith croit lui aussi que le dollar américain restera fort, compte tenu de la volonté du Japon et de l’Europe de conserver une devise relativement faible.

«Le Japon dévalue explicitement sa monnaie. Et du côté européen, Mario Draghi [président de la Banque centrale européenne] a affirmé qu’il allait tout faire pour que l’euro reste concurrentiel», indique John Goldsmith.