Il y a une dizaine d’années, les banques et le secteur de l’assurance de personnes semblaient être faits l’un pour l’autre. Tous les espoirs étaient permis. La bancassurance et la vente de produits d’assurance en succursales bancaires se profilaient à l’horizon.

«La question ne semble pas être de savoir si le Canada autorisera la bancassurance, mais plutôt quand il passera aux actes», indiquait Finance et Investissement dans son «Spécial bancassurance» du 1er septembre 2005. Trois ans plus tard, l’optimisme était à son comble : «Banques et assurance vie : un mariage payant», titrait Finance et Investissement dans son numéro d’août 2008.

Aujourd’hui, bon nombre émettent des réserves sur le modèle de la bancassurance. Et rares sont ceux qui croient à un mariage payant entre banques et assureurs.

L’heure serait-elle plutôt au divorce ? «Les actionnaires des banques présentes en assurance de personnes pourraient juger que la rentabilité est insuffisante par rapport à d’autres allocations possibles de capital. Ils pourraient demander d’allouer ce capital à des domaines plus rentables que l’assurance de personnes», évoque Robert Landry, qui a été vice-président exécutif, assurances de personnes, d’AXA Assurances pendant plus de 10 ans.

Stagnation peu surprenante

Selon l’Autorité des marchés financiers, les parts de marché des banques en assurance de personnes au Québec – en fonction des primes directes souscrites – ont peu évolué au fil des ans. Et, surtout, elles restent très basses.

En 2007, au Québec, les parts de marché combinées de RBC et de la Banque Nationale étaient de 3,6 % (http://tiny.cc/xdoo9x). En 2014, dernière année où les données sont disponibles, les parts de marché québécoises combinées de RBC, de la Banque Nationale et de BMO (qui a acquis AIG en 2009) étaient de 3,4 % (http://tiny.cc/cmoo9x).

Cette stagnation ne surprend pas René Hamel, ancien président-directeur général de SSQ Groupe financier : «Le risque, ce n’est pas le métier des banquiers. Les banques cherchent la rentabilité prévisible. Le risque, c’est plutôt le métier des assureurs».

Nouvellement retraité après une carrière de près de 30 ans chez SSQ, René Hamel ajoute que la crise de 2007-2008 a eu un effet déterminant sur la volonté des banques de développer leur présence en assurance de personnes. «À cause de la crise et des nouvelles règles, les banques se sont recentrées sur leur métier. Les gens d’assurance qui avaient été intégrés dans les hautes directions des banques ont presque tous disparu.»

La situation s’inscrit dans une tendance historique, comme l’explique Steven Ross, responsable des activités liées au secteur Assurance de personnes et services financiers de La Capitale groupe financier depuis janvier 2011.

Il rappelle que les mutuelles sont à l’origine de l’industrie de l’assurance de personnes. «Les sociétés à capital-actions n’auraient pas pu lever de capitaux aux débuts de l’industrie de l’assurance», dit Steven Ross, en évoquant les pertes initiales de l’assurance de personnes au milieu du 19e siècle.

Plus de 150 ans plus tard, l’histoire se répète jusqu’à un certain point. «Tout ce qui est à long terme et qui exige beaucoup de capital n’entre pas dans la vision des banques.»

C’est pourquoi «l’assurance vie et les protections du vivant ne cadrent pas dans le modèle d’entreprise des banques», affirme Steven Ross.

Quelques stratégies payantes

Attention : les banques qui sont déjà présentes en assurance de personnes peuvent tout de même tirer leur épingle du jeu. À certaines conditions.

Selon Steven Ross, les banques peuvent trouver avantage à occuper des segments de marché en assurance de personnes grâce à la réassurance ou à la rétrocession. Dans le dernier cas, le portefeuille de produits est cédé à une tierce partie.

En fin de compte, la marge bénéficiaire de l’assureur est moindre. «Toutefois, cette stratégie permet de contrôler la vente et de maintenir la relation avec la clientèle. La marque est conservée, et le risque est transféré à une tierce partie», explique Steven Ross.

Associé et responsable de l’industrie des services financiers pour le Québec chez EY (auparavant connue sous le nom d’Ernst & Young), Michel Bergeron pense lui aussi que les banquiers peuvent trouver leur compte en assurance de personnes… toujours à certaines conditions !

«Le capital n’est pas infini et les banques peuvent décider de l’allouer différemment. En principe, ça peut se produire en assurance de personnes. Toutefois, dans ce domaine, certains segments peuvent être très complémentaires à des produits et des stratégies existants», précise-t-il.

Michel Bergeron donne l’exemple de l’assurance crédit. «Voilà le produit complémentaire par excellence. La banque accorde un prêt hypothécaire auquel se greffe une assurance crédit.»

L’expert d’EY fait aussi valoir la clientèle cible – et fort convoitée – des clients fortunés : «Ces clients peuvent avoir besoin de certains produits d’assurance vie comme produits de placement ou pour réduire leurs fardeaux fiscaux.»

En définitive, selon Michel Bergeron, les banques ne continueront à s’occuper d’assurance de personnes qu’à la condition expresse de comprendre ses exigences propres.

«Les conseils d’administration de banques présentes en assurance de personnes doivent gérer ce secteur de façon différente du reste. Il faut la patience et la compréhension du long terme», constate Michel Bergeron.