Dessin d'homme d'affaire avec un haut parleur
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L’élargissement proposé par le gouvernement fédéral des règles de déclaration pour les fiducies est source d’incertitude et de risque de conformité pour les contribuables qui utilisent des fiducies dans le cadre d’opérations immobilières, de planification successorale et d’autres transactions financières courantes.

Les changements sont en cours depuis des années, mais la législation proposée est toujours à l’état de projet. Toutefois, les règles sont censées entrer en vigueur le 31 décembre.

« Il y a eu beaucoup de consultations et de confusion autour des règles », souligne Rebecca Hett, vice-présidente, fiscalité, retraite et planification successorale chez CI Gestion mondiale d’actifs à Calgary.

Le gouvernement a d’abord proposé des règles plus strictes sur la déclaration pour les fiducies dans le budget fédéral de 2018 dans le cadre de son effort plus large pour lutter contre la planification fiscale agressive, l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent. Les règles devaient entrer en vigueur le 31 décembre 2021, mais la mesure n’a jamais été adoptée.

Le 4 février 2022, le ministère des Finances a publié un projet de loi visant à mettre en œuvre les nouvelles propositions, en incluant cette fois les simples-fiducies (bare trusts) dans leur champ d’application. Les simples-fiducies sont des arrangements dans lesquels la seule obligation du fiduciaire est de transférer des biens à un bénéficiaire sur demande. Ces fiducies sont couramment utilisées pour faciliter des transferts de propriété efficaces, pour atténuer ou éviter les taxes provinciales sur les transferts fonciers ou les frais d’homologation, et pour assurer la protection de la vie privée. En général, les simples-fiducies ne sont pas utilisées pour la planification de l’impôt sur le revenu.

Le ministère des Finances a publié un avant-projet de loi révisé au début du mois d’août sans y apporter de changements importants. La période de consultation s’est terminée le 30 septembre. Si elles sont adoptées, les règles s’appliqueront aux fiducies dont l’exercice se termine le 31 décembre 2022 ou après.

Katherine Ratcliffe, associée de Lindsey MacCarthy à Calgary, trouve « décevant et frustrant » que le gouvernement n’ait pas répondu aux préoccupations des fiscalistes dans l’avant-projet de loi révisé, en particulier l’inclusion des simples-fiducies. « Cela donne l’impression que le processus de consultation n’est pas du tout sincère », affirme-t-elle dans un courriel adressé à Investment Executive.

Si le projet de loi est adopté cet automne, les fiscalistes et les contribuables subiront « un stress énorme » en s’efforçant d’identifier et de préparer les déclarations d’impôt pour tous les arrangements de fiducie simple existants avant la date limite de dépôt du 31 mars 2023, ajoute-t-elle.

« Obtenir tous les noms [des bénéficiaires], s’assurer d’avoir tout le monde, va représenter un coût supplémentaire sans aucun avantage [pour les clients] », déplore Keith MacIntyre, associé en fiscalité chez Grant Thornton à Halifax.

« Si [l’Agence du revenu du Canada (ARC)] disposait de formulaires standard et que nous étions en mesure de les intégrer aujourd’hui, nous pourrions effectuer des recherches dans notre base de données » pour aider à identifier les clients touchés par les nouvelles règles proposées, précise-t-il.

En réponse à des questions envoyées par courriel sur la façon dont l’ARC se préparait au nouveau régime de déclaration des fiducies, l’agence assure qu’elle « administrerait les nouvelles exigences en matière de déclaration et de production une fois qu’une loi connexe aura reçu la sanction royale, et qu’elle continuerait d’administrer les règles existantes pour les fiducies en vertu de la législation en vigueur ».

Lorsqu’on lui a demandé si l’ARC prévoyait un autre report de l’administration des règles, l’agence a répondu qu’elle « ne ferait pas de commentaires sur cette législation tant qu’elle est à l’état d’ébauche ».

Certains clients ne se rendent peut-être pas compte qu’ils pourraient être visés par les nouvelles règles. Par exemple, un compte bancaire ouvert par un parent au profit d’un enfant mineur, ou un compte dans lequel un enfant adulte est ajouté en tant que co-propriétaire avec un parent, pourrait être considéré comme un simple arrangement de fiducie, et donc une déclaration de fiducie et les rapports associés devraient être produits.

« Il me semble certainement que ces types d’arrangements sont couverts par les définitions de la simple-fiducie dans la législation proposée », analyse Rebecca Hett.

Les règles de divulgation renforcées auront des répercussions importantes sur l’utilisation des fiducies à des fins de confidentialité, ce qu’un particulier peut vouloir pour des raisons légitimes non fiscales, estime Keith MacIntyre. Un constituant peut ne pas vouloir qu’un membre de sa famille sache qu’il a été nommé bénéficiaire d’une fiducie, par exemple. Toutefois, pour se conformer aux nouvelles règles, les fiduciaires devront obtenir des informations auprès des personnes concernées, les informant ainsi qu’elles sont effectivement bénéficiaires. « La protection de la vie privée est maintenant devenue une question très importante ».

Les nouvelles règles, si elles sont adoptées, sont susceptibles de modifier la façon dont les fiducies sont rédigées.

Actuellement, par exemple, les conseillers recommandent souvent à leurs clients de créer une fiducie familiale discrétionnaire à des fins de planification fiscale et successorale, en désignant une grande variété de bénéficiaires. Les fiduciaires disposent ainsi d’une grande souplesse pour déterminer quand et à qui les distributions peuvent être effectuées.

Si les propositions sont adoptées, « il y aura une tendance à être beaucoup plus intentionnel avec qui est nommé comme bénéficiaire », commente Katherine Ratcliffe dans une entrevue.

Les nouvelles règles de déclaration permettront également à l’ARC de faire preuve de plus de transparence, notamment en améliorant sa capacité à confirmer quelles sociétés ont omis de déclarer des sociétés associées dans le cadre du partage approprié de la déduction pour petites entreprises de 500 000 $.

Selon la Loi de l’impôt sur le revenu, chaque bénéficiaire d’une fiducie discrétionnaire est réputé posséder toutes les actions d’une société appartenant à cette fiducie aux fins des règles sur les sociétés associées. Si l’un de ces bénéficiaires possède une société, il peut voir sa capacité à accéder à la déduction pour petite entreprise réduite ou éliminée si la fiducie possède également des actions d’une société dont le capital imposable ou le revenu de placement passif dépasse les seuils.

Les règles de divulgation améliorées ne représentent pas un changement législatif, mais dans la mesure où les bénéficiaires n’étaient peut-être pas au courant de la question, ils « ne peuvent plus faire l’autruche, note Kenneth Keung, directeur des conseils fiscaux canadiens chez Moodys Private Client Law à Calgary. En ce sens, lorsqu’ils établissent des fiducies, les gens devront faire plus attention à qui ils ont inscrit comme bénéficiaire. »

L’ARC dispose déjà d’informations sur tout revenu ou gain réalisé sur des biens détenus dans des fiducies, et les bénéficiaires devront toujours déclarer ces montants dans leurs déclarations de revenus personnelles. Toutefois, les règles de déclaration élargies permettraient au gouvernement d’obtenir des renseignements plus détaillés sur les fiducies et les bénéficiaires.

« Il y a effectivement des personnes mal intentionnées qui font des choses agressives, probablement avec des simples-fiducies aussi, pour cacher intentionnellement des arrangements », estime Kenneth Keung.

Toutefois, Keith MacIntyre suggère que les contribuables respectueux des règles sont injustement et inutilement invités à payer le prix pour ceux qui, de toute façon, ne seront peut-être pas dissuadés par une déclaration renforcée.

« C’est une charge énorme pour le contribuable », précise-t-il.

Les règles proposées pour les fiducies en détail

Les règles proposées obligent les fiducies dont l’année d’imposition se termine le 31 décembre 2022 ou après à produire annuellement une déclaration d’impôt sur le revenu des fiducies et à identifier tous les bénéficiaires, fiduciaires, constituants ou protecteurs de la fiducie, y compris leur adresse, leur date de naissance et leur numéro d’identification de contribuable. En vertu de la législation actuelle, seules les fiducies ayant des impôts à payer pour l’année ou celles qui disposent de biens d’équipement doivent généralement produire une déclaration annuelle de fiducie.

Certaines fiducies sont exclues du champ d’application des règles proposées. Il s’agit notamment des fiducies de fonds communs de placement et des régimes enregistrés, des fiducies qui existent depuis moins de trois mois et de celles dont la valeur de l’actif est inférieure à 50 000 $ – à condition que cet actif ne soit constitué que d’espèces et de titres négociés sur une bourse désignée (et d’autres actifs déterminés).

Outre les pénalités existantes pour défaut de production d’une déclaration de fiducie, les règles de déclaration proposées introduisent une nouvelle pénalité pour défaut délibéré de production ou négligence grave : 2 500 $ ou 5 % de la valeur des biens, le montant le plus élevé étant retenu.