Les taux et la Bourse: ce seuil à ne pas franchir
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La grande transition énergétique dont nous entretiennent les gouvernements suscitera une demande démesurée de plusieurs métaux critiques que l’industrie minière sera probablement incapable de satisfaire. Cela provoquera une hausse des prix des matières premières dont les investisseurs pourront profiter au premier chef, mais qui risque aussi de faire souffrir l’économie générale.

C’est le point de vue commun qui ressort des échanges entre Finance et Investissement et trois gestionnaires de portefeuille de notre palmarès. « De gigantesques déficits se profilent d’ici les sept prochaines années ; de quelque façon qu’on retourne le problème, nous allons être à court face à la demande », affirme Robert Cohen, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Fonds Dynamique du fonds Catégorie de ressources stratégique Dynamique.

« Nous avons les approvisionnements nécessaires jusqu’en 2024, après ça nous aurons des déficits dans tous les métaux:cuivre, aluminium, lithium, cobalt, etc. », renchérit Curtis Gillis, gestionnaire de portefeuille du fonds Catégorie de société ressources mondiales CI, de CI Gestion mondiale d’actifs. Déjà, les contraintes sont considérables : « Les stocks de cuivre sont à un niveau historique minime de 200 000 tonnes, alors qu’il y a 10 ans, elles étaient à 900 000 tonnes », relate Robert Cohen.

Trop de demande, contraintes de l’offre

Les obstacles sont considérables et se concentrent à deux extrêmes : d’une part, une demande et des attentes démesurées ; d’autre part, des contraintes quasi insurmontables sur le plan de l’offre.

Trois grandes tendances de fond susciteront un besoin de métaux sans précédent, explique Benoit Gervais, vice-président senior et chef d’équipe pour les investissements aux ressources naturelles à la Canada Vie. En premier lieu, il y a le mouvement de la relocalisation (onshoring). « On cherche à avoir un fournisseur plus proche de polysilicone pour des cellules photovoltaïques, mais si ce fournisseur a une main-d’oeuvre d’esclaves, on ne règle aucun problème », affirme le gestionnaire.

Autre mouvement, le déplacement vers les infrastructures vertes, ce qui implique, par exemple, de construire un train de banlieue plutôt qu’une autre voie sur l’autoroute, un pipeline pour de l’hydrogène plutôt que pour du pétrole, refaire et étendre le réseau électrique.

Enfin, tendance de premier plan, il y a la transition énergétique qui se traduit par un déplacement massif de la capacité de production énergétique vers des sources renouvelables : éolien, solaire, hydrogène, nucléaire. À cela s’ajoutent la substitution du parc automobile existant par des véhicules électriques et leurs besoins en batteries. Et c’est sans oublier les stocks de batteries gigantesques qui seront requis pour emmagasiner les énergies renouvelables.

Extraction : une flambée de 400 %

Un rapport de la Banque mondiale de 2017 projetait que les besoins en métaux pour alimenter cette demande sans précédent exigeraient une augmentation moyenne de 400 % de 17 métaux « stratégiques ». En d’autres termes, pour atteindre l’objectif climatique de limiter le réchauffement planétaire à 2° C, il faudra extraire quatre fois plus de ces métaux qu’on ne le fait actuellement.

Les impératifs en métaux varient selon les applications: pour fabriquer les panneaux solaires requis, il faudra 300 % plus d’aluminium, de cuivre, d’indium, de nickel, d’argent et de zinc. Pour produire les quantités astronomiques de batteries de stockage d’électricité, il faudra 1 200 % plus d’aluminium, de cobalt, de plomb, de lithium et de manganèse.

Or, ces capacités minières ne sont tout simplement pas en place. Il n’est même pas certain que, dans tous les cas, les réserves nécessaires de métaux existent. Surtout, « nous vivons dans des sociétés qui sont devenues extrêmement réfractaires à toute exploitation minière », souligne Benoit Gervais.

Le délai d’obtention d’un permis d’exploitation minière est devenu déraisonnable, faisait ressortir dans une récente étude Angelo Katsoras, analyste géopolitique à la Banque Nationale du Canada (« Le défi monumental des objectifs climatiques », juin 2021) : « Sur 35 grands projets qui ont été développés ces 10 dernières années, l’Agence internationale de l’énergie a calculé qu’il faut en moyenne 16 ans pour les faire évoluer du stade de la découverte à celui de la production. Pendant ce temps, aux États-Unis, il faut compter entre 7 et 10 ans pour obtenir un permis d’exploitation minière du gouvernement. Ce long processus d’approbation soulève des questions quant aux capacités du secteur minier de répondre à un bond potentiel de la demande mondiale. »

À la condition, bien sûr, qu’on puisse obtenir un permis, pour commencer, ce qui est loin d’être toujours évident. L’administration Biden, aux États-Unis, vient d’imposer un moratoire de 20 ans sur toute émission de permis d’exploitation minière dans l’État du Minnesota, un des États les plus riches en cuivre, cobalt, nickel et platine. L’interdiction tient à des impératifs environnementaux de protection des eaux.

Concentration chinoise

La géopolitique constitue une autre contrainte majeure à l’approvisionnement en métaux. Tout d’abord, la Chine concentre certains métaux stratégiques de façon inconfortable. Par exemple, selon la Banque mondiale, elle détient 55 % de la production mondiale d’aluminium, un pourcentage qui monte à 61 % quand on y adjoint la Russie. Les deux pays contrôlent 65 % de la production de fer et d’acier et 38 % de la production de cadmium. Par ailleurs, signale Benoit Gervais, l’aluminium chinois émet 15 tonnes de gaz à effet de serre par tonne produite, comparativement à 5 tonnes pour la même quantité d’aluminium canadien. « Les planificateurs n’ont pas encore intégré cet aspect de l’approvisionnement dans leurs calculs », signale-t-il.

Plusieurs sources d’approvisionnement sont dans des pays instables. Par exemple, 36 % de la production de cuivre est concentrée au Chili et au Pérou, deux pays dont le contexte politique est de plus en plus turbulent, signale Angelo Katsoras. De plus, la République démocratique du Congo abrite la plus riche mine de cuivre du monde.

Portefeuilles en santé

L’approvisionnement en minerais semble donc hypothéqué dans un avenir prévisible. Par contre, les prix, de leur côté, font le bonheur des gestionnaires de portefeuille. « La grande surprise, c’est que les métaux ont établi des niveaux planchers beaucoup plus hauts que ce que les analystes prévoyaient, dit Curtis Gillis. On s’attendait à ce que les prix retombent à leur niveau pré-COVID, par exemple le cuivre à 2,50 $la tonne, mais le plancher est maintenant à 3,50 $. »

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À cause du prix excessif de l’exploitation des ressources, l’industrie minière « est en attente », affirme Benoit Gervais, tout comme l’industrie pétrolière. Les investissements sont à des creux historiques et les grands projets d’extraction se sont raréfiés. « Il y a un manque de grandes découvertes minérales partout dans le monde, déplore Robert Cohen. Nous sommes loin des grandes hausses d’approvisionnement qu’on a connues dans les années 1990. » En conséquence, les entreprises minières nettoient leur bilan, pratiquent une discipline budgétaire serrée, payent d’importants dividendes et rachètent leurs actions.

Pour l’heure, les actions minières ne sont pas mues par la croissance de l’exploration et de l’exploitation, mais par la simple montée des prix infusée par les contraintes d’approvisionnement. Comme en témoignent les rendements de la dernière année, les fonds d’investissement en profitent largement. Et ce n’est pas près de finir : « Je suis très haussier pour la prochaine décennie », lance Robert Cohen.