Petit personnage qui lit un livre, cinq points d'interrogation autour de lui
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Peu d’investisseurs remettent en question les bienfaits de la diversification des portefeuilles d’actions à l’extérieur du Canada. Le marché des fonds négociés en Bourse (FNB) offre maintenant la possibilité d’investir dans des paniers indiciels d’actions américaines et internationales à des tarifs presque dérisoires.

Une autre innovation importante est l’apparition des fonds indiciels jumeaux d’actions étrangères, soit deux fonds identiques, sauf que l’un inclut une couverture contre les fluctuations des devises et l’autre pas. Ces paires de fonds indiciels sont apparues avant 2000 dans le marché des fonds communs et vers 2013 dans le marché des FNB. Seulement parmi les trois plus grands fournisseurs canadiens (RBC iShares, BMO et Vanguard), 34 paires de FNB jumeaux sont offertes. Ce n’est donc pas le choix qui manque.

Le présent article s’intéresse particulièrement à la performance des FNB et des fonds communs jumeaux reproduisant l’indice S&P 500. Ce choix comporte plusieurs avantages.

Tout d’abord, il en existe plusieurs (nous en avons retenu cinq), ce qui aide à valider les observations.

Ces fonds sont exposés à une seule devise (le dollar américain), ce qui permet de mieux isoler les différents facteurs influençant l’efficacité de la couverture.

Par ailleurs, ces fonds détiennent tous le même portefeuille d’actions, ce qui facilite les comparaisons.

Finalement, nous avons déjà réalisé une étude (publiée en 2010) sur la performance des fonds de l’indice S&P 500 avec couverture de devises, qui concluait que cette couverture comportait des coûts implicites très élevés, de l’ordre de 1,50 % par année en moyenne pour la période 2006-2009. Nous pourrons donc confirmer ou infirmer ce résultat sur la base de nouvelles données.

Raisons de couvrir

La Bourse américaine et le billet vert ont tous les deux performé brillamment sur les marchés internationaux depuis que ce dernier a atteint la parité avec le dollar canadien (CA) à la fin de 2010. Aussi bien dire une éternité, même pour les investisseurs à long terme. Or, il n’existe aucune garantie que cette performance se poursuivra. Lors de la période 2000-2010, l’inverse a prévalu, alors que le dollar américain (US) s’est lourdement déprécié par rapport au huard. Voir le graphique ci-dessous.

Voici trois raisons qui devraient vous inciter à envisager de couvrir le risque de devise en tout ou en partie.

1. Les actions américaines constituent une portion importante du portefeuille. Si la proportion de vos actions américaines est minime, l’effet du dollar US sur votre portefeuille sera négligeable. Mais si, à l’inverse, votre répartition stratégique de l’actif exige une pondération importante en actions américaines, la devise aura un impact important sur le rendement. Tout le monde aime les devises lorsqu’elles s’apprécient, mais les déteste lorsque l’inverse se produit. Parlez-en aux investisseurs canadiens qui détenaient un fonds du S&P 500 en 2003, alors que le rendement de près de 29 % en dollars US a chuté à moins de 6 % à cause de la dégringolade du billet vert par rapport au dollar CA.

2. Vous investissez pour payer des dépenses qui seront effectuées en dollars CA. Si, comme moi, vous aimez l’hiver, vous envisagez peut-être de prendre votre retraite au Canada. Si votre portefeuille a pour mission de financer des dépenses en dollars CA, alors vous serez moins tolérant au risque de devises.

3. Votre tolérance à perdre de l’argent à cause des devises est limitée. Il arrive parfois que le dollar CA s’apprécie pendant de nombreuses années.

Si vous croyez que l’exposition au dollar US est peu risquée, lisez bien ceci : entre 2001 et 2007, le billet vert a perdu 41 % de sa valeur face au huard. Et pendant ce temps, la Bourse canadienne surpassait largement la Bourse américaine.

À ce moment, l’investisseur risque de perdre patience avec ses actions américaines à cause de cette contre-performance. On connaît la suite : les actions américaines et le dollar US ont depuis tous les deux connu une période en or. Bref, si une couverture – ne serait-ce que partielle – du risque de change peut vous aider à persévérer avec vos actions américaines, vous devriez l’envisager sérieusement.

Raisons de ne pas couvrir

S’il existe de bonnes raisons pour couvrir, l’inverse est tout aussi vrai. En voici quelques-unes.

1. Le dollar US a souvent un effet parachute lors des crises graves. Lors des crises importantes, le dollar US est parfois adopté comme valeur refuge, ce qui signifie que les pertes sur vos actions américaines sont en partie amorties par l’appréciation de la devise. Par exemple, lors de l’année 2008, l’indice S&P 500 a fourni un rendement de 37 % en devise locale, mais le recul a été nettement moins important (- 23 %) une fois converti en dollars CA.

Pendant la même période, la Bourse canadienne a reculé de 33 %. Le même phénomène s’est produit lors de la crise de février et mars derniers. Comme investisseur, vous ne pouvez pas éviter les crises boursières, mais vous pouvez structurer le portefeuille pour en temporiser l’impact. L’exposition au dollar US a de bonnes chances de vous donner un coup de pouce à cette fin.

2. Vous aurez besoin de dollars US à l’avenir. Si vous prévoyez acheter une copropriété ou une maison de campagne aux États-Unis, ou encore si vous prévoyez y voyager fréquemment à la retraite, le dollar US devient carrément moins risqué par rapport à votre situation personnelle.

3. La couverture du risque de devise est dispendieuse. Les fonds jumeaux sont une véritable délivrance pour l’investisseur qui souhaite se couvrir contre le risque de devises. Sans ces produits, vous seriez obligé de gérer vous-même un portefeuille de contrats à terme sur devises pour réaliser la couverture. En adoptant un FNB ou un fonds commun couvert contre les fluctuations du dollar US, vous déléguez cette tâche au gestionnaire du fonds.

Toutefois, mes recherches m’ont appris que la couverture de devises ne peut pas faire un travail parfait. Dès que la valeur des actions en portefeuille fluctue, le montant des contrats à terme sur devises devient soit trop élevé, soit insuffisant. Cette imperfection de la couverture, appelée «effet résiduel de devises» ou «ERD», aurait tendance à s’annuler dans le temps si le dollar US et l’indice S&P 500 fluctuaient indépendamment l’un de l’autre. Mais en réalité, leur corrélation s’est avérée constamment négative depuis l’adoption du régime de change à taux flottant en 1971.

Nous avons procédé à une analyse de l’efficacité des opérations de couverture à l’aide des données sur les fonds jumeaux. En effet, puisque la couverture de la devise est tout ce qui distingue ces fonds les uns des autres, nous pouvons calculer avec précision l’effet des frais de transaction et l’effet résiduel de devises sur la performance en ajustant leur différentiel de rendement en fonction des rendements des contrats à terme d’un mois sur le dollar CA (taux de change à terme par rapport au dollar US).

Selon l’analyse des performances comparatives des fonds jumeaux, l’effet résiduel de devises et les frais de transaction ont coûté annuellement 99 points de base (pb) aux investisseurs des fonds du S&P 500 avec couverture de devises depuis 2000. Cet écart s’est amenuisé depuis, peut-être à cause d’un plus grand soin apporté à la gestion de la couverture, mais même depuis 2013, l’ERD a coûté aux investisseurs en moyenne 67 pb. Ce résultat est assez stable parmi les cinq fonds étudiés avec une fourchette variant de – 60 pb à – 74 pb.

Couvrir ou ne pas couvrir ?

En définitive, les investisseurs doivent comprendre que couvrir le risque de devise d’un fonds d’actions américaines comporte un coût important, en grande partie causé par la corrélation négative persistante entre les rendements du billet vert d’une part, et de la Bourse américaine d’autre part.

Bien que ce coût soit moins élevé que ce qui était estimé par nos recherches passées, un coût évalué minimalement à 0,67 % est considérable par rapport aux rendements espérés des catégories d’actifs. Nous suggérons d’utiliser les FNB d’actions américaines avec couverture de devises seulement si les trois conditions nécessaires (pondération élevée en actions US, profil d’utilisation des fonds comportant peu de dollars US, tolérance limitée au risque de devises) sont réunies.

Raymond Kerzérho*

* directeur de la recherche de PWL Capital