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La hausse des taux amorcée par les banques centrales risque de faire souffrir le secteur des actions versant des dividendes. Les titres de meilleure qualité seront peut-être toutefois épargnés. C’est pourquoi la sélection judicieuse des titres importe plus que jamais.

«Les sociétés qui ne paient pas de dividendes ont plus de moyens à leur disposition pour investir et croître», reconnaît Christian Felx, directeur des stratégies systématiques et gestionnaire du Fonds Desjardins iBrix actions canadiennes à dividendes élevés, chez Desjardins Gestion de patrimoine.

La proposition est valable en théorie. Dans les faits, «les dividendes instaurent une discipline dans les équipes de direction, ajoute-t-il. Car certaines directions, qui ne payent pas de dividendes, dilapident leur capital en bâtissant des empires et en faisant des investissements non rentables. Les dividendes aident à aligner les intérêts entre directions et investisseurs. Et les entreprises qui payent des dividendes surperforment à long terme.»

C’est pourquoi on retrouve beaucoup de titres de plus grande qualité dans les actions à dividendes. Or, même dans ce segment, on trouve des titres qui sont inférieurs, d’autres supérieurs. Et tout dépend du contexte des taux d’intérêt.

L’environnement s’assombrit

Lorsque les taux baissent, tous les titres à dividendes sont privilégiés et, bien sûr, ceux qui payent les plus hauts dividendes gagnent la faveur. C’est ce qu’on a vu au cours des dix dernières années dans la foulée des mesures d’assouplissement monétaire (Quantitative Easing), explique Brian Tidd, vice-président et gestionnaire principal du Fonds Catégorie de dividendes canadienne Plus Trimark, chez Invesco Canada.

Depuis les mesures d’assouplissement quantitatif, dit Brian Tidd, «la période a été très favorable aux titres à dividendes. Les investisseurs en ont acheté beaucoup et les titres qui payaient de hauts dividendes ont été poussés à la hausse. Le marché faisait l’hypothèse que les taux d’intérêt et l’inflation demeureraient bas à jamais.»

Cependant, voici que les taux remontent, poursuit Brian Tidd, en réponse à une économie qui a gagné en vigueur, surtout aux États-Unis, à un niveau d’emploi élevé, à des dépenses d’infrastructure qui croissent, et à des prix de produits de base en hausse. «Tout ceci pose les bases d’un regain d’inflation aux États-Unis, dit-il, ce qui entraînera une normalisation des taux d’intérêt. Il est très possible que le rendement des bons du Trésor de dix ans dépasse 3 % cette année, et cela rend tout le monde nerveux.» Une nervosité dont on a vu un signe dans la chute des cours boursiers au début de février.

Ce ne sont pas tous les titres qui tiendront bien dans les conditions moins propices qui s’annoncent. Le moment vient maintenant de trier le bon grain de l’ivraie. La clé est dans la sélection de titres qui ne sont pas axés uniquement sur le dividende. «Dans le monde où nous entrons, vous ne voulez pas seulement des entreprises qui payent des dividendes élevés, mais qui ont surtout la capacité de les faire croître», fait ressortir Mark Jackson, gestionnaire du Fonds de revenu d’actions canadiennes Investors, chez Groupe Investors.

En effet, s’il est vrai que des entreprises qui ne paient pas de dividendes peuvent manquer de discipline et mal gérer leur croissance, comme l’a fait ressortir Christian Felx plus haut, l’inverse est aussi vrai : des entreprises qui paient de trop hauts dividendes handicapent leur croissance future et leur capacité de soutenir ces dividendes à long terme.

Viser plus que le dividende

«Je cherche donc maintenant des sociétés qui ont les moyens de faire croître leurs bénéfices pour propulser leur croissance, racheter leurs titres et hausser leurs dividendes, fait ressortir Mark Jackson. Les rendements que j’obtiens sont une combinaison de ces facteurs. J’ai vu les changements venir dans le marché il y a environ 18 mois et j’ai réorganisé mon portefeuille en conséquence.»

Quant à Brian Tidd, «j’ai évité dès le départ ces titres [qui ne font que payer de hauts dividendes], souligne-t-il. Maintenant, je pense qu’ils vont se faire punir par le marché.» Or, les titres qui présentent les quatre caractéristiques (bénéfices élevés, croissance continue, rachat d’actions et dividendes substantiels) résisteront mieux dans le marché qui s’annonce.

Plusieurs fonds de dividendes, juge Mark Jackson, «sont encore focalisés uniquement sur les dividendes et possèdent encore bien des fiducies de placement immobilier (FPI) et des fiducies de revenus». Car les FPI, par exemple, de même que les services publics et les sociétés de télécommunications sont plus sensibles à la croissance des taux d’intérêt et ont moins de facilité à faire croître leurs revenus. «Une FPI qui augmente ses bénéfices annuels de 2 % ou 3 % peut difficilement accroître son dividende plus vite que ça. Mais une firme de technologie ou une banque, qui fait monter ses bénéfices annuels de 8 % ou 9 %, peut hausser ses dividendes d’autant.»

C’est ainsi que nos gestionnaires ont intégré dans leurs portefeuilles des titres dont les dividendes sont parfois bas, mais dont les capacités de croissance sont solides. C’est le cas du titre de Canadien Pacifique, dont le rendement en dividende est de seulement 1 %, et qui se trouve dans le portefeuille de Mark Jackson. Par contre, fait-il ressortir, la croissance des bénéfices de la société s’élève à 15 % pour la dernière année et devrait poursuivre sur cette lancée au cours des deux prochaines années. «De plus, dit-il, leurs dépenses croissent moins vite que leurs revenus, sans compter qu’ils ont mis en place un programme de réduction de coûts.»

C’est aussi le cas du titre de New Flyer, dont le rendement en dividende est de 2,4 %. «Il est relativement bas, reconnaît Christian Felx, mais la profitabilité de l’entreprise est bonne, et son dividende est très stable.»

Évidemment, nos gestionnaires ne font pas des acrobaties pour éviter les titres à dividende élevé, mais seulement si des bases saines le justifient. C’est ainsi que Brian Tidd abrite dans son portefeuille le titre de Pizza Pizza Royalty Corp, qui fournit un remarquable rendement en dividende de 6 %. Il est vrai, reconnaît le gestionnaire, que les bénéfices ont souffert dans la dernière année, mais «ils devraient rebondir cette année, et une bonne partie de la performance viendra de l’appréciation du titre, car nous croyons que les analystes l’ont injustement puni. Cette entreprise va se redresser et, en attendant, nous collectons un très attrayant 6 %.»