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Alors que la plupart des gestionnaires d’actifs espèrent tirer une autre année de gains, ceux qui travaillent dans le nouveau marché des fonds communs alternatifs pourraient s’accommoder de quelques turbulences.

Les «alternatifs liquides», des fonds d’investissement qui utilisent des stratégies alternatives comme la vente à découvert, l’effet de levier et les produits dérivés, sont devenus accessibles aux investisseurs de détail au début de 2019. Bien que les stratégies des divers fonds diffèrent, les marchés vigoureux de l’an dernier ont été exigeants pour les approches de gestion active qui visent la non-corrélation au marché plus large.

L’indice Alternative Mutual Fund de la Banque Scotia a affiché des rendements légèrement inférieurs à 5 % de janvier 2019 à la fin novembre 2019. En comparaison, l’indice composé S&P/TSX a obtenu des rendements de presque 19 %, et le S&P 500, de plus de 25 % pour les 11 premiers mois de 2019.

«Les marchés ont été sur une lancée tant au Canada qu’aux États-Unis, et chaque fois que vous avez un produit qui fait des opérations de couverture, ce serait très difficile de suivre la parade», déclare Daniel Dorenbush, directeur principal et chef des services de courtage privilégié, Canada, à la Banque Scotia.

Or, les produits déploient leurs stratégies, en générant des rendements tout en offrant une protection en cas de baisse, dit-il. En mai, quand le S&P/TSX composé a chuté de 3,28 %, et le S&P 500, de 6,58 %, en raison de la montée des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, l’indice des alternatifs liquides de la Banque Scotia s’est mieux comporté, avec une baisse de 1,21 %.

Selon David Picton, président et gestionnaire de portefeuille chez Picton Mahoney Asset Management, un retournement de marché faisant que de s’exposer au bêta du marché ne fonctionnerait plus pourrait être le meilleur stimulant pour les nouveaux fonds. «Ceux qui atteignent leur objectif de se différencier sont ceux qui [vont] commencer à gagner une part de marché», observe-t-il.

Selon un livre blanc publié par la Banque Scotia l’automne dernier, le marché des alternatifs liquides pourrait atteindre 20 G$ en cinq ans ; d’autres l’évaluent alors à 100 G$.

Au 30 novembre 2019, les nouveaux fonds affichaient des actifs déclarés légèrement inférieurs à 7 G$, dit Daniel Dorenbush. Cela reflète une combinaison de nouveaux actifs et de transferts de produits alternatifs préexistants dans les nouveaux fonds, ce qui a dynamisé les alternatifs liquides dans leur première année.

Selon Fundata Canada, les actifs sont répartis entre presque 100 fonds et 32 manufacturiers, allant d’importants gestionnaires d’actifs (des sociétés établies à Toronto, comme la Banque de Montréal, la Banque canadienne impériale de commerce [CIBC] et Placements AGF) à de petites entreprises du secteur des alternatifs.

Les alternatifs liquides attirent des actifs qui auraient auparavant été envoyés dans les fonds de couverture offerts par notices d’offres, ainsi que des investisseurs pour qui le secteur des alternatifs est nouveau, dit Daniel Dorenbush.

Cependant, l’inquiétude subsiste. Tandis que les manufacturiers de fonds peuvent classer les nouveaux produits comme étant de risque faible à modéré dans leurs documents réglementaires, certains courtiers les considèrent comme plus risqués.

«Cela découle du style de gestion complexe suivi par bon nombre de ces gestionnaires, ce qui pousse les services de conformité à classer par défaut la cote de risque à risque élevé», énonce un rapport de Richardson GMP, publié en novembre.

«En effet, poursuit le rapport, cette explication a du sens en raison de la marge de manoeuvre des alternatifs liquides par rapport aux fonds communs traditionnels», bien que cela signifie que les fonds ayant pour mandat de réduire la volatilité pourraient se retrouver classés comme étant à risque élevé. Les cotes de risque plomberont la croissance à court terme, selon le rapport.

Il y a également les frais. En plus du ratio des frais de gestion, beaucoup de fonds communs alternatifs ont des frais de performance lorsque le fonds surpasse une valeur historique (high water mark). Ou encore, ils facturent des frais de performance pour tout rendement supérieur à un taux de rendement minimal (hurdle rate), explique un rapport de Marchés des capitaux CIBC, publié en septembre.

Selon Claire Van Wyk-Allan, directrice pour le Canada de l’Alternative Investment Management Association (AIMA), la commission moyenne de performance pour les fonds communs alternatifs est d’environ 8 %.

Les antécédents limités ou non existants des alternatifs liquides sont aussi un obstacle à leur présence sur la liste de produits des courtiers. Selon David Picton, la plupart des courtiers veulent voir trois ans de performance. Cela donne un avantage aux manufacturiers de fonds de couverture dont les fonds alternatifs liquides imitent des stratégies qui existaient sous une autre forme avant l’introduction des nouveaux produits.

«Plus votre produit est étroitement lié à ce que vous aviez eu dans le passé, plus il est raisonnable que les gens aient confiance du fait que vous savez ce que vous faites», explique David Picton.

Le rapport de Richardson GMP reconnaît que les produits les «moins inquiétants» sur le marché viennent des gestionnaires dont la stratégie antérieure correspond aux règles des nouveaux alternatifs liquides. «Toutefois, abordez avec prudence ces solutions offertes par [notice d’offre] qui ont dû être radicalement modifiées pour répondre aux nouveaux critères, ou d’autres qui sont des produits nouveaux lancés pour surfer sur le momentum initial», ajoute le rapport.

Le nombre de nouveaux produits, qui offrent un éventail de stratégies, ajoute aussi à la confusion, signale David Picton. «Nous avons une pléthore de ces produits qui sont émis en promettant toutes sortes d’objectifs différents et ils sont tous mis dans une catégorie d’actifs appelés « alternatifs »«, dit-il.

Daniel Dorenbush soutient que des progrès ont été réalisés en matière de formation du conseiller et du courtier. Une autre source potentielle de croissance pour les alternatifs liquides est leur intégration dans des produits gérés comme des fonds de fonds, selon le rapport de la CIBC.

Cependant, le facteur crucial pourrait encore être les conditions du marché. «Le secteur a un vaste territoire pour croître, dit Belle Kaura, présidente de l’AIMA. Alors que les investisseurs se préparent à un ralentissement, il y a là une occasion extraordinaire.»