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Les taux d’intérêt ont fondu l’année dernière au Canada. La courbe de rendement des obligations gouvernementales de 2 et de 10 ans s’est inversée. En conséquence, repérer les bonnes occasions d’investissement tout en réduisant les risques au minimum constituera un bon défi en 2020.

La performance des grands indices obligataires en Amérique du Nord a été pour le moins impressionnante en 2019. L’indice universel FTSE TMX au Canada et le Bloomberg Barclays US Aggregate Bond Index ont offert des rendements annuels de près de 8,2 % et de 8,8 % respectivement (fin novembre). Rappelons que ces deux indices sont constitués d’obligations de bonne qualité, soit BBB et mieux. Au Canada, le secteur long terme de la courbe de taux d’intérêt de 10 à 30 ans a largement contribué à ces bons résultats en 2019.

En effet, la baisse des taux d’intérêt durant la dernière année a renchéri tout ce secteur de la courbe obligataire. Rappelons que lorsque les taux baissent, le prix des obligations augmente.

«Avec un taux de rendement nominal de 1,6 % actuellement sur les obligations gouvernementales de 30 ans, on ne couvre même pas l’inflation, qui avoisine les 2 %», a souligné Pierre-Philippe Ste-Marie, chef des placements, revenu fixe d’Optimum Gestion de Placements, dans une entrevue réalisée à la fin novembre. Rappelons que le taux directeur de la Banque du Canada s’établit à 1,75 %.

Dans un contexte où la courbe de taux d’intérêt est très plate et même inversée, on n’a pas un avantage important à détenir des obligations ayant de longues échéances. Il y a même un risque réel d’expérimenter une période durant laquelle le marché des actions baisse sans que le marché obligataire arrive à compenser ces pertes. Cela pourrait se traduire par des taux qui remontent dans certains secteurs de la courbe, comme le 10 et le 30 ans, qui sont chers de l’avis d’Optimum.

Il est tentant de penser qu’une récession est à nos portes, compte tenu de l’état d’avancement du cycle économique. Toutefois, «la longue durée du cycle économique ne devrait pas être une raison pour anticiper sa fin», indique Alfred Lee, gestionnaire de portefeuille et spécialiste du revenu fixe chez BMO Gestion d’actifs.

«L’économie nord-américaine se porte bien, même s’il y a des signes qu’on a atteint le pic. Les menaces sont davantage de nature politique, avec le Brexit, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine et, finalement, les élections américaines», ajoute-t-il.

«Étant donné que les banques centrales ont abandonné leurs programmes de normalisation [hausse] des taux en janvier 2019, le cycle économique pourrait se prolonger», dit Pierre-Philippe Ste-Marie.

Mais personne n’a de boule de cristal. «On peut s’attendre à beaucoup de volatilité vu l’incertitude politique qui prévaut», croit Alfred Lee. Même si les taux sont très bas, les investisseurs doivent conserver une part de leurs avoirs en obligations afin de se prémunir contre cette volatilité et de protéger la portion en actions de leur portefeuille, conseille-t-il.

«Afin de réduire au minimum le risque de durée, on souhaite miser sur des stratégies qui vont préserver le capital tout en générant du revenu. On veut aussi avoir une duration plus courte du portefeuille, soit environ quatre ans», remarque Pierre-Philippe Ste-Marie.

Notons que les gestionnaires de portefeuilles obligataires ont généralement le mandat de battre l’indice obligataire universel FTSE TMX Canada. Or, cet indice a présentement une duration de près de huit ans. Il est composé essentiellement de titres d’emprunt gouvernementaux, municipaux et de sociétés.

La duration est la moyenne pondérée de la durée des différentes obligations détenues en portefeuille ou dans un indice. Exprimée en années, elle est une mesure de sensibilité aux taux d’intérêt. Ainsi, plus la durée d’une obligation est longue, plus cette dernière sera sensible à un mouvement des taux d’intérêt. Si les taux devaient subitement monter d’un point de pourcentage, le rendement d’une obligation ayant une durée de huit ans subirait une perte équivalente de 8 %.

Or, beaucoup d’investisseurs au détail détiennent des fonds négociés en Bourse (FNB) qui reproduisent l’indice universel FTSE TMX. Pensons au ZAG de BMO et au XBB d’iShares.

«Pour un investisseur à long terme, ces titres offrent une bonne diversification, puisqu’on détiendra à peu de frais des obligations à court terme, à long terme, des obligations gouvernementales, mais également des titres de sociétés de qualité», rappelle Alfred Lee.

D’un point de vue tactique, ce dernier suggère toutefois de miser sur la portion plus courte de la courbe, en évitant le secteur supérieur à 10 ans. Ne sachant pas ce que feront l’économie et les taux d’intérêt, mieux vaut investir dans un panier d’obligations de bonne qualité bien diversifié dans tous les secteurs économiques, croit-il.

Par ailleurs, de nombreux investisseurs ont fait la chasse au rendement au cours des dernières années en achetant des obligations à haut rendement sans égard au risque de crédit. Ces placements pourraient être sous pression compte tenu de leur excellente performance, selon les experts consultés.

Il est ici question d’obligations ayant une cote de crédit inférieure à BBB- (S&P). Ces titres seront plus à risque, spécialement en fin de cycle économique ou dans le cas d’une correction boursière ou même d’une récession.

Il faut donc tenir compte du risque de crédit des titres ainsi que de leur liquidité, soit la possibilité de récupérer rapidement sa mise, notamment si on doit revendre les titres avant leur échéance. Or, les écarts de crédit se sont resserrés depuis trois ans. On se doit d’être sélectif et de regarder du côté des obligations de première qualité (investment grade).

«On souhaite détenir des obligations dans le terme de cinq ans ou moins et on surpondère des secteurs défensifs de l’économie, comme les télécommunications», explique Hugues Sauvé, vice-président, placements d’Optimum Gestion de Placements.

L’industrie des télécommunications est considérée comme un oligopole au Canada. Dans le terme de cinq ans, ces titres paient environ 110-115 points de base au-dessus d’une obligation gouvernementale d’un terme équivalent, ce qui est attrayant, d’après lui.

Alfred Lee aime bien les obligations de sociétés américaines de première qualité. «Cela nous permet d’être mieux diversifiés, d’accéder à des secteurs économiques inaccessibles au Canada et à de grandes sociétés comme Disney, Microsoft, Coca-Cola, McDonald…» Il suggère le FNB ZMU de BMO (ratio de frais de gestion [RFG] de 0,28 %) couvert en dollars canadiens. Dans le revenu fixe, on souhaite couvrir le risque de devises, car la volatilité des devises est souvent supérieure aux rendements obligataires.

Qu’en est-il des prêts bancaires de premier rang ? «Cette catégorie d’actifs a très bien performé l’année dernière et est maintenant plus coûteuse, selon nos analyses, dit Dora Gamaoun, directrice revenu fixe, placements alternatifs d’Optimum Gestion de Placements. On pourrait se retrouver dans une situation où on n’est pas suffisamment rémunéré pour le risque subi.» Les clauses de protection de capital sont également moins intéressantes, selon elle.

Une autre catégorie d’actifs mérite une attention particulière : les actions privilégiées. Celles à taux révisable sont peu chères, affirment les experts consultés. Le crédit d’impôt pour dividendes les rend également attrayantes dans les comptes non enregistrés. Ce marché est aussi caractérisé par une liquidité moindre, puisqu’il en est un essentiellement de détail.

Le marché des actions privilégiées au Canada est environ huit fois moins important que celui des obligations de sociétés.

Les titres à taux révisable tous les cinq ans ont été malmenés l’année dernière. Contrairement aux actions privilégiées avec un coupon fixe (perpétuelles), ces titres ont mal réagi à la baisse rapide des taux d’intérêt en 2019. Leur sensibilité aux taux d’intérêt est contraire aux obligations.

«Si les taux devaient monter l’an prochain, ces titres devraient réagir positivement. En détenir 5 % du portefeuille serait approprié», indique Alfred Lee. Ce dernier propose le FNB d’actions privilégiées canadiennes ZPR de BMO (RFG de 0,50 %).

«Même si les taux continuent de baisser en 2020, cette catégorie d’actifs devrait assez bien se comporter, car on n’entrevoit pas de taux négatifs au Canada, comme c’est le cas en Allemagne, par exemple», souligne Hugues Sauvé. Il y a beaucoup de place au Canada pour faire de la stimulation fiscale, selon lui.

La sélection de ces titres demeure complexe compte tenu des nombreuses clauses qui sont rattachées à chacune des émissions. Cela nécessite donc une expertise en analyse de crédit.

«Une bonne façon de profiter de cette catégorie d’actifs sera d’acheter un panier diversifié d’actions privilégiées, notamment en se procurant un fonds géré activement», suggère Hugues Sauvé. Optimum offre ce genre de solution d’investissement à sa clientèle de gestion privée. On peut aussi acheter un FNB d’actions privilégiées comme le DXP de Fonds Dynamique (RFG de 0,65 %) et le HPR d’Horizons (RFG de 0,55 %).

Alfred Lee propose également d’ajouter 5 % d’actions privilégiées à taux fixe américaines. Ces perpétuelles devraient bien se comporter dans un environnement où les taux sont maîtrisés, même si ces derniers montent un peu. «Avec un taux de coupon fixe se situant entre 5 % et 8 %, elles sont intéressantes, puisque la plupart sont de qualité investment grade», précise-t-il. On pourrait choisir le ZUP de BMO (RFG de 0,48 %).

En 2020, il sera difficile de générer de l’alpha (excédent de performance par rapport aux indices) à moins de rechercher une plus grande diversification géographique et sectorielle, croit Alfred Lee. Il faudra aussi prêter attention aux frais de gestion, rappelle-t-il.