Mocaphoto, gracieuseté du Mouvement Desjardins

Depuis le début de 2019, le maraudage est important dans l’industrie du courtage de plein exercice. Quelques conseillers en placement (CP) de Valeurs mobilières Desjardins (VMD), déçus des politiques internes et de l’incertitude quant à l’avenir de leur courtier, sont recrutés par des concurrents. De la fin de février 2019 à la fin de février 2020, le nombre de CP chez VMD passe de 237 à 219. Marjorie Minet attribue la baisse des derniers mois à la retraite de conseillers.

En juin 2019, le mouvement coopératif révèle avoir été victime d’une fuite de données touchant tous ses membres. Cette crise ébranle l’institution financière. Celle-ci effectue malgré tout une restructuration par étapes dans son secteur de la gestion de patrimoine et de l’assurance. L’une d’elles a notamment emporté Gregory Chrispin, qui assumait jusqu’à la fin de septembre le rôle de premier vice-président, Gestion de patrimoine et Assurance de personnes. Luc Papineau, vice-président et directeur général de VMD, a aussi quitté ce courtier.

«C’était plus planifié qu’on n’a pu le percevoir. Desjardins avait besoin de faire naître la grande équipe en gestion de patrimoine», indique Marjorie Minet à propos du départ de Luc Papineau.

Marjorie Minet lui succède à la tête de VMD, devenant ainsi, à 44 ans, la deuxième femme à diriger ce courtier de plein exercice. De plus, elle chapeaute Service Signature Desjardins (SSD) et dirige Gestion privée Desjardins et Courtage en ligne Desjardins.

Marjorie Minet est alors connue de l’interne, car elle a géré l’équipe d’administration des affaires pour les secteurs du courtage en valeurs mobilières et de la gestion privée, d’avril 2018 à octobre dernier. Durant ses premières semaines, elle rencontre ses troupes sur leur terrain. Elle est en mode écoute.

«Je voulais comprendre la réalité de chaque région, savoir ce que chacun avait vécu», relate Marjorie Minet.

Elle montre de l’empathie envers les différentes équipes, répond à leurs questions et leur transmet sa vision, d’après Suzanne Tremblay, vice-présidente, ventes régionales chez Invesco Canada, qui l’a observée : «Chaque fois, elle était d’un calme incroyable. Elle présentait à chacun où elle voulait aller. On voyait que les gens adhéraient à sa vision.»

Suzanne Tremblay décrit Marjorie Minet comme une personne organisée, forte en relations humaines et qui accepte de se laisser influencer. Marjorie Minet est aussi capable de cartographier les processus d’une organisation dans le but d’en articuler une vision, selon Suzanne Tremblay. «Elle a une écoute sincère, dit-elle. J’apprécie beaucoup sa force stratégique.»

La vision de Marjorie Minet consiste à bâtir une offre multidisciplinaire pour aider les clients à atteindre leurs objectifs financiers. Cette offre vise à mettre en valeur les différents experts en assurance, en placement, en fiscalité, en gestion du passif, notamment. Par exemple, on cherche à accroître les revenus de VMD provenant de l’assurance de personnes, lesquels se chiffrent à environ 2,5 %, selon Marjorie Minet. Cette proportion est l’équivalent de la part moyenne observée chez les courtiers de plein exercice, d’après des acteurs de l’industrie.

Nous voulons placer «l’intérêt du client avant tout, au coeur d’une équipe qui travaille avec un leader gestionnaire de patrimoine, qui est capable de rassembler une équipe multidisciplinaire autour du client et de façon impeccable», indique Marjorie Minet.

Cette tournée l’aide à poser un diagnostic de la situation, pendant qu’elle travaille aussi à constituer l’équipe de direction dans le but d’être bien en selle en janvier. «Ç’a été très formateur, très positif», résume-t-elle.

Elle pose différents gestes, dont celui de revenir sur des changements à la grille de rémunération qui avaient été prévus par la direction précédente pour 2020. «J’ai préféré jouer la stabilité et me faire une idée de la façon dont on voudrait éventuellement l’ajuster.»

Pour ce faire, elle travaille avec un groupe de CP. Selon elle, il n’y a pas de hausse prévue de la rémunération aux caisses pour les comptes recommandés, comme ç’a été le cas dans le passé chez VMD : «Le travail avance rondement et dans la transparence. Je ne vois pas d’incertitudes majeures concernant la grille.»

Même si plusieurs conseillers de VMD restent inquiets et insatisfaits, Marjorie Minet a réussi à gagner la confiance d’une partie des CP, selon des représentants de VMD sondés dans le cadre du Pointage des courtiers québécois. (Lire «VMD : le vent d’incertitude faiblit», en page 13.)

À chaque réseau sa place

La nouvelle vision mise sur le maillage des acteurs des différentes divisions en gestion de patrimoine sur le terrain. «Dans certains territoires, la symbiose se fait naturellement. Dans d’autres, il faut qu’on la travaille. Je crois beaucoup à l’activation de nos talents», dit Marjorie Minet.

Selon elle, les différents réseaux sont complémentaires : «Je ne vois pas de compétition entre nos réseaux. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas, mais la façon dont on travaille ensemble, ça s’aligne.»

C’est le cas lorsque tous comprennent les offres respectives, collaborent et se soutiennent. «La firme de courtage, la gestion privée et le réseau de branch advice, appelé Service Signature, ont chacun, dans cette industrie, une raison d’être. Le potentiel de service aux membres dans une offre à 360 degrés est tellement grand que l’ensemble du personnel de ces réseaux a sa place», dit-elle.

Pour des CP de VMD, la nouvelle vision risque de changer certaines façons de travailler, notamment sur le plan du volume de recommandations provenant des caisses. Ces dernières sont désormais équipées pour servir certains clients, grâce à SSD, que Marjorie Minet décrit comme une «offre bancaire boostée».

«C’est une offre très axée sur le plan financier, sur les membres qui n’ont pas sauté encore dans le domaine de l’investissement et qui sont dans la construction de patrimoine parce qu’ils ont une situation un peu plus complexe, explique-t-elle. Le personnel de SSD, spécialisé pour ce type de dossier plus complexe, peut compléter l’offre à 360 degrés du courtier de VMD.»

Marjorie Minet fait appel à la fibre entrepreneuriale des CP de VMD : «Ces talents ont de l’ADN d’entrepreneurs. Ils ont une capacité à s’organiser et à développer qui est extrêmement intéressante. Je veux continuer à les appuyer pour qu’ils fassent évoluer l’offre.»

Marjorie Minet souligne qu’il n’y a, chez VMD, «aucun plan de rachat de blocs d’affaires par le siège social», contrairement à la rumeur. «Ce qui m’intéresse dans la dynamique du bloc d’affaires, c’est de travailler le plan de relève, sur nos jeunes. Il faut attirer le talent. Ce que j’adore dans l’organisation en équipes, c’est ce mentorat qui se fait», dit-elle.

Par ailleurs, la nouvelle vision ne passe pas nécessairement par la fusion des équipes d’experts-conseils qui apportent un soutien aux CP. «On rassemble les équipes, mais on garde des liens privilégiés entre les spécialistes et leur contrepartie gestionnaire de patrimoine. C’est important. Il faut que face à un client, ce soient des professionnels qui se connaissent, qui savent comment interagir et qui savent donner ce qu’ils ont de meilleur», dit Marjorie Minet.

Se sentir chez elle, au Québec

Pour mettre en oeuvre sa vision, Marjorie Minet tablera sur deux éléments que ses parents lui ont appris. «Du côté maternel, je viens d’une famille d’un petit village dans les Alpes françaises pour laquelle la solidarité, la coopération, c’est une façon de vivre. Et du côté paternel, j’ai la chance d’avoir côtoyé des entrepreneurs qui me donnent aussi cette façon d’envisager la vie de manière active avec un leadership et une façon de connaître notre capacité d’action dans la société», explique-t-elle.

Celle qui se décrit, plus jeune, comme une «très bonne élève», est titulaire d’une maîtrise en droit public de l’Université Lyon 3 (France). «C’était une façon de décoller avec le bagage le plus généraliste, le plus large et un bagage formateur», dit-elle.

Marjorie Minet commence sa carrière en 1999 à titre de gestionnaire administratif et financier d’une école universitaire d’ingénieurs, à l’issue d’un concours national. «Ç’a été un coup d’accélérateur très grand dans ma carrière, dit-elle. J’ai découvert une passion. L’informatique est un moyen de création que je chéris.»

Vers 23 ans, Marjorie Minet part travailler au Québec comme consultante. «Le sentiment d’appartenance à cette société québécoise a été immédiat. Je me suis sentie proche de qui je suis. Je me suis demandé pourquoi je ne suis pas née ici. Je n’ai jamais remis en question un éventuel retour. J’ai épousé un Québécois, mes enfants sont québécois. C’est un grand bonheur», dit cette mère de jumeaux de six ans, un garçon et une fille.

Elle fait son entrée au Mouvement Desjardins en avril 2005 comme coordonnatrice, communications, formation et gestion de projets en conformité réglementaire. Elle occupera diverses fonctions en conformité, dont celle de directrice, programmes de conformité en valeurs mobilières.

«Ç’a été une très bonne école. J’ai beaucoup aimé, parce qu’il y a un rôle social intéressant aussi dans la conformité. On protège l’intégrité du marché et le client», dit-elle.

Elle nourrit un appétit croissant pour la gestion de patrimoine et devient, de mars 2015 à avril 2018, directrice principale, administration des affaires, Courtage et Gestion privée. Elle contribue à la définition des orientations stratégiques de ces secteurs.

Avec son équipe, elle développe, en 2015, le concept de caravane selon lequel le personnel du siège social (conformité, arrière-guichets, informatique, administration) visite les 35 succursales et 41 points de service pour écouter ceux qui y travaillent. «Je sentais beaucoup d’irritants, d’incompréhensions, peut-être aussi de non-coordination.» L’objectif est de résoudre les problèmes et l’initiative est porteuse, selon elle : «Aujourd’hui, quand quelqu’un soulève un problème, il l’envoie à une seule adresse et c’est pris en charge par le siège social ; nos conseillers le savent. J’en suis très heureuse.»

Aujourd’hui, Marjorie Minet reste motivée, malgré les défis technologiques et humains posés par la poursuite de ses activités pendant la crise sanitaire actuelle. «Nous allons réinventer notre façon de travailler et faciliter les relations à distance, au-delà des relations humaines qui seront difficiles.»

De plus, Marjorie Minet vise à accroître la part de marché de VMD, dont l’actif sous gestion était de 33,9 G$ à la fin de février 2020. Elle devra donc inverser la tendance récente. La part de marché de VMD, exprimée en pourcentage des actifs des courtiers de détail en valeurs mobilières au Québec compilés par l’Institut de la statistique du Québec, est en léger déclin ces dernières années et s’établissait à environ 10,5 % en 2019.

«VMD représentait 12,2 % des parts de marché en 2015 au Québec et 13,1 % à la fin 2019, d’après des données de Desjardins combinées à celles de Strategic Insight», nuance toutefois un porte-parole de Desjardins.

«J’ai besoin de rassembler et de bâtir le futur. On doit être en évolution constante, en soutien à nos membres», dit Marjorie Minet.