Et ce, même si elles sont satisfaites que les régulateurs continuent de permettre les commissions de suivi.

«C’est une victoire amère. À court terme, c’est une victoire de conserver les commissions de service, mais à long terme, je ne pense pas que les ACVM comprennent à quel point le fait d’enlever l’option des frais d’acquisition reportés va frapper durement le secteur des indépendants», indique François Bruneau, vice-président administration Investissement de Groupe Cloutier Investissements.

Selon lui, ce ne sont pas les conseillers avec beaucoup d’expérience ou qui ont les plus importants blocs d’affaires qui utilisent les FAR : «Ils sont utilisés par des conseillers jeunes, pour des clients jeunes, à qui les FAR conviennent. Si on enlève cette source de revenus aux jeunes conseillers, on vient carrément empêcher l’émergence de la relève dans le secteur indépendant. On vient étouffer le côté entrepreneurial dans notre domaine.»

En interdisant les FAR, les ACVM disent aux indépendants que leur modèle d’affaires n’a plus sa place et qu’ils doivent le changer, affirme François Bruneau : «Ce qui est un peu frustrant, c’est que ça ne touchera que peu ou pas du tout les conseillers des réseaux intégrés, qui n’utilisent pas les FAR parce qu’ils sont payés à salaire.»

Cette décision risque de faire déferler une vague de consolidation, les plus petits courtiers risquant de devoir jeter l’éponge, faute de relève parmi les conseillers, poursuit-il.

Selon François Bruneau, ce n’est pas la majorité des conseillers qui seraient prêts à faire équipe avec des conseillers plus jeunes afin d’éviter les désagréments découlant de l’abolition des FAR : «On fait affaire avec des entrepreneurs qui ont toujours été habitués à bâtir leur propre bloc de clientèle, leur propre business, pas à partager des clients avec d’autres conseillers. Il y a une belle camaraderie dans l’industrie, mais au bout du compte, tous les conseillers sont en concurrence les uns avec les autres. C’est incompatible de demander à des entrepreneurs de s’allier pour travailler ensemble. C’est possible, mais ce n’est pas donné à tout le monde.»

Les plus grands perdants de la réforme risquent malheureusement d’être ceux qui ont le plus besoin de conseils financiers, soit les clients ayant peu d’actif à investir, d’après François Bruneau.

Il donne l’exemple d’un client ayant 10 000 $ à investir, qui rapportera au conseiller une commission brute de 100 $ s’il facture 1 % d’honoraires ou 1 % de commission de suivi. Si son taux de commission (payout rate) est de 75 %, il lui restera 75 $ pour la première année, ce qui laissera peu de revenus après qu’il aura payé ses permis, ses frais d’inscription auprès de son courtier, son assurance responsabilité professionnelle et ses frais de déplacement, estime François Bruneau : «Peu de conseillers vont ouvrir des petits comptes. Les clients moins fortunés n’auront plus de conseillers indépendants. Les banques les délaissent déjà [sur le plan du courtage de fonds communs], et pour elles, c’est beaucoup plus simple de leur vendre un certificat de placement garanti. La tentation est forte de vendre le produit le plus rentable.»

Il constate que des représentants en épargne collective ont déjà commencé à mettre des barrières à l’entrée, se concentrant sur les clients ayant un seuil minimum d’actif à investir.

Autres problèmes

Maxime Gauthier, chef de la conformité de Mérici Services Financiers, partage plusieurs des préoccupations de François Bruneau. Il se dit satisfait que les ACVM maintiennent les commissions de suivi : «C’est sage et approprié pour ne pas menacer l’accès au conseil et la diversité dans l’industrie. On est satisfait de ce changement de position-là.»

L’annonce de l’intention d’abolir les FAR l’inquiète toutefois : «Je comprends les préoccupations des ACVM. Je demeure profondément convaincu qu’on aurait pu régler les problèmes de ceux qui ont recours à ces rémunérations-là autrement qu’en les retirant. En les éliminant, on vient potentiellement créer d’autres problèmes», note Maxime Gauthier.

Selon lui, peu de conseillers indépendants qui commencent leur carrière seront en mesure de générer un revenu suffisant pour survivre aux premières années de pratique.

L’accessibilité au conseil pour les ménages avec un actif modeste risque d’être diminuée, craint-il : «Si on abolit la structure des FAR, ce n’est pas évident que les ménages vont demeurer intéressants dans les modèles d’affaires des firmes de courtage. Ça sera une décision d’affaires de délaisser ces clients et ça risque d’être extrêmement dommageable pour l’accès au conseil, pour la littératie financière et pour aider Monsieur et Madame Tout-le-monde à faire croître son patrimoine. C’est un enjeu de société important.»

En raison de la faible rentabilité à court terme des détenteurs de petits comptes, seuls les conseillers bien établis risquent de les accepter. Et il ne croit pas qu’un client ayant 10 000 $ à investir veuille de l’option avec frais de souscription initiaux, ou frais d’entrée.

«Un conseiller va dire : « Plutôt que d’investir tes 10 000 $, tu vas investir 9 500 $ et je vais prendre 500 $ de commission d’entrée. » Le client se retrouve à investir 500 $ de moins. On repousse ainsi l’atteinte de ses objectifs financiers. Peut-être que le client ira alors voir une institution financière et dire : « Finalement, ton CPG à 1,5 % de rendement par an, il est plus intéressant, parce que de l’autre côté je pars à – 5 % de rendement »», illustre Maxime Gauthier. Or, l’espérance de rendement à long terme d’un CPG est bien plus faible que celle d’un fonds d’actions bien diversifié.

Trop de solutions écartées

Maxime Gauthier et François Bruneau estiment que les ACVM ont proposé trop peu de solutions et de mesures ciblées afin de régler les problèmes liés aux FAR.

D’abord, la position des ACVM sur les commissions intégrées laisse croire que les cas d’abus liés aux FAR sont généralisés, alors que ce n’est pas le cas, juge Maxime Gauthier. Il est vrai que certains représentants ont eu des pratiques préjudiciables en vendant des fonds avec FAR à des clients de 70 ans et plus ou à des clients dont l’horizon de placement était inférieur à celui de l’échéance des frais de rachat.

«Il aurait été possible, avec des réformes ciblées, de mettre fin à un très grand nombre de pratiques préjudiciables. Rien n’aurait empêché le régulateur de dire : « Les frais de sortie pour les clients de tel âge, c’est terminé. Les frais de sortie pour les clients qui ont un horizon de placement de X ans, c’est terminé. » On aurait pu obliger les conseillers et les courtiers qui utilisent ce mode de rémunération à rembourser le client s’il doit payer des frais parce qu’il n’aurait pas dû être mis dans ce type d’option, ajoute Maxime Gauthier. On aurait pu mettre en place un paquet de mesures ciblées faciles à appliquer pour régler les enjeux des FAR sans menacer l’accessibilité au conseil ni l’accessibilité à la profession comme on risque de le faire.»

François Bruneau ne comprend pas pourquoi les ACVM ont écarté l’idée d’obliger le conseiller à rembourser les FAR si son client rachetait ses parts de fonds communs avant six ou sept ans, plutôt que de maintenir la situation actuelle où le client doit payer les frais à la sortie. Ainsi, ce serait le conseiller lui-même qui serait pénalisé par les frais de rachat et non le client si ce dernier devait racheter ses parts de fonds plus tôt que prévu.

Selon lui, cette solution était parfaite, puisqu’elle aurait incité le conseiller à offrir une qualité de service élevée afin que son client lui reste fidèle. De son côté, le client n’aurait pas été pénalisé s’il avait choisi de racheter ses parts afin de changer de conseiller, par exemple. «Ç’aurait été une solution idéale, une échappatoire au secteur du courtage indépendant, qui aurait pu continuer à stimuler de l’intérêt pour la relève.»

Même si les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) proposent d’ajouter une série de nouvelles règles dans leur projet de réformes ciblées du Règlement 31-103, ce groupe de régulateurs doit aussi collaborer avec l’industrie pour enlever des règles.

C’est ce qu’estime notamment Robert Frances, président du conseil et chef de la direction du Groupe financier PEAK : «Rien ne va faire baisser les coûts de conformité dans les prochaines années, alors qu’on veut contrôler nos coûts. On est dans un domaine où les gens nous confient leur argent et c’est normal qu’il y ait de la conformité. Ce qu’on demande aux ACVM, c’est : « Quand on a de nouveaux coûts de conformité, est-ce qu’on peut trouver autre chose où on va éliminer des coûts ? » Par exemple, il n’y aura plus d’option avec frais d’acquisition reportés [FAR], donc tous les coûts de conformité associés à l’évaluation des FAR pourraient disparaître.»

Robert Frances est très heureux que les ACVM n’interdisent pas les commissions de suivi, mais se dit préoccupé des conséquences de l’abolition proposée des FAR.

«On est favorable à tout ce qui peut réduire les conflits d’intérêts et aider les consommateurs. Mais on est toujours inquiet quand le nombre d’options pour les clients est réduit. C’est dangereux. On préfère réglementer les choses plutôt que les interdire», indique-t-il.

«Nous n’avons presque plus de FAR dans notre firme : 7 ou 8 % de nos revenus viennent des fonds avec frais d’acquisition reportés. Ce n’est pas énorme. Mais leur abolition va affecter les clients pour qui les FAR sont utiles et les conseillers qui les utilisaient pour ces clients-là. Les ACVM vont devoir se poser la question : « Comment remplacer ce que les FAR faisaient lorsqu’ils étaient bien utilisés ? »» note Robert Frances.

Selon lui, l’abolition proposée des FAR ne facilite en rien l’accès au conseil financier. Il soupçonne que cela va créer des ennuis à la relève à court terme. Il demeure néanmoins optimiste : «Il y a 20 ans, quand les FAR étaient populaires, beaucoup de conseillers travaillaient seuls. Aujourd’hui, beaucoup de conseillers de la relève sont payés à salaire, par des conseillers seniors. De plus en plus, les conseillers sont dans des équipes et ont deux ou trois employés. Ce ne sont plus des pratiques personnelles, ils sont devenus des mini-entreprises. L’élimination des FAR n’aide pas, mais n’aura pas le même impact que si ç’avait été fait il y a 20 ans, parce que les conseillers sont maintenant des PME.»