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Selon les données du Top 10 des cabinets multidisciplinaires de 2019 de Finance et Investissement, environ 10,8 % du revenu brut des représentants résulte de la rémunération à honoraires, laquelle est directement payée par le client en fonction de son actif sous administration. C’est plus de deux fois la proportion affichée en 2018 (4,7 %) et près de quatre fois celle de 2016 (3,1 %). En comparaison, en moyenne, 64 % du revenu brut des conseillers en placement sondés provenait de la rémunération à honoraires, d’après le Top des courtiers québécois de 2019.

Le passage aux comptes à honoraires est un plus grand défi pour les réseaux de représentants en épargne collective que pour les réseaux de représentants de plein exercice, d’après une récente analyse d’Investor Economics réalisée pour le compte de l’Institut des fonds d’investissement du Canada.

La raison, explique cette firme de recherche, tient à la structure des comptes, qui sont majoritairement au nom du client (client name) chez les premiers, alors que les seconds sont généralement dans une structure de comptes nominés (nominee accounts), aussi désignés comme des comptes autogérés, des comptes de propriétaire apparent ou des comptes prête-nom.

Dans la première structure, les titres de fonds communs sont enregistrés au nom du client chez le manufacturier, non chez le courtier ; dans la seconde, l’enregistrement légal des fonds réside chez le courtier. En pratique, explique Jean Morissette, consultant pour l’industrie de la gestion de patrimoine, une structure nominée «permet de faire une même transaction à travers de nombreux comptes ; une structure au nom des clients oblige à la reproduire client par client». Là où prévaut la structure au nom du client, celle-ci rend beaucoup plus ardu le transfert à des comptes à honoraires, puisqu’il faut effectuer le passage un client à la fois.

Autre avantage pratique, la structure nominée sert de soutien à la gestion discrétionnaire de portefeuille, indique le consultant : «Le gestionnaire peut effectuer la même transaction dans tous les comptes des clients où c’est pertinent et il peut le faire de façon autonome, sans demander la permission spécifique de chaque client.»

Les comptes au nom du client demeurent, chez les représentants en épargne collective, «le principal obstacle à l’adoption du modèle de rémunération à honoraires, pourtant populaire du côté des courtiers de plein exercice», selon l’étude d’Investor Economics.

Un certain scepticisme

«Cette proposition d’Investor Economics me semble un peu courte», affirme Maxime Gauthier, chef de la conformité et représentant en épargne collective chez Mérici Services Financiers, ce qui reflète la réaction des trois spécialistes que Finance et Investissement a consultés sur le sujet. «Elle constitue une facette de la question, mais elle n’explique pas tout», complète Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers.

Selon ces derniers, si la rémunération à honoraires ne trouve pas plus rapidement preneur auprès des conseillers en épargne collective, c’est tout simplement parce qu’elle ne présente pas pour nombre d’entre eux un avantage particulier.

«Chez nous, nous avons les deux structures, nom-client et nominée, et les conseillers qui sont en structure nominée sont loin d’être tous à honoraires, affirme Gino-Sébastian Savard. Moi le premier, à peu près tous mes clients sont en structure nominée, mais aucun n’est dans un compte à honoraires.»

«Que mon client dispose de fonds avec frais d’entrée et commission de suivi de 1 %, ou à honoraires de 1 %, quelle est la différence ? demande Maxime Gauthier. Au bout du compte, la seule question qu’on devrait poser est : combien le conseil a-t-il coûté au client ?»

Plein exercice et honoraires

Selon ce dernier, trois enjeux se sont combinés pour propulser l’adoption des comptes à honoraires dans les réseaux de courtage de plein exercice : la croissance des fonds négociés en Bourse (FNB), la guerre des frais liés aux FNB, et une plateforme technologique permettant l’accès aux FNB déjà en place.

N’oublions pas que les courtiers de plein exercice facturaient principalement à la transaction, il y a quelques décennies, rappellent nos trois intervenants. Ils ont profité de la montée des FNB pour rehausser leur offre en l’axant davantage sur le service et le conseil par le recours à une rémunération à honoraires.

Certains ont même profité des bas frais rattachés aux FNB pour augmenter leurs émoluments. «J’ai en main des grilles d’honoraires de concurrents en plein exercice, avance Maxime Gauthier. Dans certains comptes, ils facturent 1,15 % et même 1,25 %, alors qu’auparavant on pouvait difficilement aller au-dessus de 1 %.» C’est un geste de bonne guerre, admet Jean Morissette, jugeant que «l’important, c’est que les clients se sont retrouvés avec des frais [globaux qui incluent le conseil et la gestion des avoirs] plus bas».

FNB boudés

L’adoption des FNB n’a certainement pas soulevé autant d’enthousiasme chez les représentants en épargne collective. Tout d’abord, une plateforme technologique permettant de négocier des FNB ne leur était pas accessible jusqu’à récemment, alors qu’elle ne présentait aucun obstacle dès le départ du côté du plein exercice, ajoute Maxime Gauthier. Donnant accès aux FNB des manufacturiers de fonds communs, et permettant de les négocier uniquement comme des fonds communs, c’est-à-dire à la fin du jour, Fundserv offre ce genre d’outil depuis seulement deux ans. B2B Banque, qui ouvre les portes de tout l’univers des FNB, est disponible depuis seulement un an environ, selon nos sources.

Ces plateformes soulèvent la question de la préséance de la poule ou de l’oeuf. S’il n’y a pas de demande de FNB, est-ce parce qu’aucune plateforme n’y donne accès ? ; ou l’absence de plateforme tient-elle à une demande inexistante en FNB ? Le deuxième cas prévaut, affirme Maxime Gauthier. «Si mes conseillers ne me demandent pas un inventaire de FNB parce que les clients n’en veulent pas, dit-il, je ne vais pas en offrir», impliquant qu’il ne fera pas de zèle non plus pour trouver une plateforme de transaction.

Bref, si le passage aux honoraires tarde du côté des réseaux d’épargne collective, ce n’est pas à cause d’obstacles comme l’absence de structures de comptes nominés ou l’absence de plateformes technologiques de transaction. C’est parce que le statu quo semble faire l’affaire.

«La résistance aux honoraires ne vient pas nécessairement des représentants et des courtiers», juge Jean Morissette. Elle tient à la masse d’actifs déjà en place (sur un modèle de rémunération à commission) et au modèle d’affaires qui sous-tend ces actifs. Le consultant voit très bien le passage aux honoraires s’effectuer, perspective que partagent Maxime Gauthier et Gino-Sébastian Savard, mais le changement se fera surtout au gré de nouveaux comptes qu’on ouvrira et qu’on établira sans doute sur la base d’honoraires.

Un autre impératif jouera en faveur du passage aux honoraires, selon Jean Morissette : «La façon de gérer un portefeuille aujourd’hui ne se limite plus seulement aux actions et obligations, comme on le voit dans les grands fonds de pension. Il faut maintenant ajouter les fonds privés, les fonds alternatifs, les actifs réels.» Cela exige une flexibilité qui est restreinte par le modèle des fonds communs à base de commissions de suivi. «C’est pourquoi on voit de plus en plus de représentants en épargne collective entreprendre de passer au plein exercice», ajoute-t-il. La transition vers les honoraires accompagnera sans doute ce mouvement.