Jean St-Gelais (Crédit: David Cannon)

Fonctionnaire de carrière, Jean St-Gelais a pris les rênes de La Capitale assurance et services financiers en mai 2016. La mutuelle fondée à Québec en 1940 compte au-delà de 2 740 employés et avait un actif de 7,1 G$ au 31 décembre 2017. À cette date, son résultat net consolidé était de 75 M$, en hausse de 66 % par rapport à 2016.

«Souvent, lorsque j’arrive quelque part, ça brasse, mais ce n’est pas parce que j’arrive. Ça fait juste partie du défi et moi, j’ai zéro difficulté avec ça, au contraire», lance le président du conseil et chef de la direction, en référence aux turbulences qui marquent l’industrie de l’assurance.

Il faut dire que Jean St-Gelais, en plus d’avoir été à deux reprises le grand patron de la fonction publique québécoise, a notamment été impliqué dans la création de l’Autorité des marchés financiers (AMF), celle de Retraite Québec de même que celle de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Jean St-Gelais estime que La Capitale a connu «une très bonne année 2017». Le secteur de l’assurance de dommages «va très bien. Au Québec, il y a Intact, Desjardins et nous.» Dans le secteur de l’assurance collective, la mutuelle a vécu «une année plus difficile, comme bien d’autres assureurs, mais ç’a tout de même été relativement bien». Il s’agirait même pour ces secteurs de l’une des meilleures années de leur histoire sur le plan de la rentabilité, selon le rapport annuel 2017.

En matière d’assurance individuelle, toutefois, «on est en train de tout revoir, de A à Z», affirme Jean St-Gelais. Le secteur Assurance de personnes et services financiers a néanmoins conclu l’année 2017 avec une croissance des ventes de 18 % par rapport à 2016, enregistrant un bénéfice net consolidé de 31,1 M$.

Un mot d’ordre : évoluer

Historiquement, si l’industrie de l’assurance était connue pour son conservatisme, elle doit aujourd’hui se réinventer. «Comment ça va évoluer ? Je pense qu’il est bien malin celui qui pourrait le deviner, lance Jean St-Gelais. Alors on essaie de clarifier, de simplifier les choses et de se donner un plan d’action. Pour les secteurs du dommage et du collectif, c’est pas mal clair, mais pour l’assurance individuelle, nous sommes encore en réflexion.»

Alors que les défis ne manquent pas, parmi lesquels figurent la faiblesse des taux d’intérêt, l’impact de l’évolution démographique au Québec et au Canada, la croissance en matière d’exigence de capitaux réglementaires, de même que les nécessaires investissements en technologie, Jean St-Gelais entend d’abord «continuer à bien servir nos clientèles, notamment celles du secteur public, avec lesquelles nous avons un historique intéressant et, nous le pensons, une longueur d’avance sur bien d’autres pour les guider et les conseiller».

Du même souffle, Jean St-Gelais ajoute que La Capitale ne peut pas «faire de tout pour tous, car nous n’avons pas la taille des Great-West, Sun Life et Manuvie». Pour cette raison, une démarche est en cours afin d’évaluer chacun des produits et déterminer lesquels «sont les plus rentables pour nous et les plus intéressants pour nos clients, afin de laisser tomber ceux qui ne sont pas utiles».

La Capitale veut également se doter d’outils pour appuyer les conseillers indépendants qui travaillent avec elle et les équipes de son réseau carrière. Dans un contexte réglementaire qui ouvre plus grande la porte à la vente de produits d’assurance par Internet, Jean St-Gelais est d’avis que les courtiers vont toujours avoir une place importante en matière de valeur ajoutée. «Ce n’est pas vrai que quelqu’un va arriver avec un gadget et va tout changer. Il va toujours y avoir une nécessité pour du conseil, car la machine ne pourra pas tout donner. C’est pourquoi nous voulons appuyer nos réseaux de conseillers dans cette évolution.»

Notons que la proportion de nouvelles ventes est répartie à 50-50 entre le réseau carrière La Capitale services conseils et le courtage.

Pour Jean St-Gelais, La Capitale doit appuyer son développement sur une culture d’innovation et demeurer à l’affût afin d’adopter les solutions technologiques les plus prometteuses. La mutuelle, en plus de réunir toutes ses forces TI qui étaient jusqu’alors réparties entre ses différents secteurs d’activité, a créé une vice-présidence au développement corporatif et à l’innovation, chargée notamment de conclure d’éventuelles alliances.

«Lorsqu’on est petit comme nous le sommes, on ne peut pas faire des erreurs trop souvent, alors nous testons des solutions auprès de nos consommateurs. À long terme, est-ce qu’il devra y avoir des regroupements avec des distributeurs ou d’autres assureurs ? L’avenir nous le dira, mais nous sommes ouverts à toutes les possibilités», affirme Jean St-Gelais.

L’entente de collaboration avec Google Cloud annoncée en avril dernier par La Capitale illustre bien le genre de partenariat recherché. «Ils ont développé des centaines de produits et de solutions et notre utilisation dans le contexte de l’industrie de l’assurance va leur permettre de les faire évoluer, explique Jean St-Gelais. Par exemple, en matière de reconnaissance d’images, nos besoins sont multiples. Plutôt que de consacrer du temps et des ressources à l’interne pour développer notre solution, ce partenariat permet d’adapter les solutions existantes à nos besoins en tant qu’assureur.»

Jean St-Gelais évoque aussi le projet de révision de l’espace client du site Internet actuellement en cours et qui devrait, à terme, intégrer un chatbot pour les questions fréquemment posées. «Est-ce que nous irons jusqu’à la reconnaissance vocale, comme Manuvie et d’autres l’ont fait ? Google Cloud a développé la reconnaissance vocale et peut nous apporter cette technologie. Idem pour l’analyse des données. Google Cloud a fait beaucoup de développement en matière d’analyse de données de masse. Notre défi consiste à cerner comment utiliser au mieux, non pas les données externes, mais celles que nous avons à l’interne afin de les exploiter correctement au bénéfice de nos consommateurs.»

Outre les partenariats, La Capitale compte miser sur les acquisitions afin d’assurer sa croissance, même s’il y a déjà eu beaucoup de consolidation dans l’industrie. La mutuelle a notamment fait l’acquisition de Penncorp en 2008, et plus récemment, en 2016, de SécuriGlobe, actif dans le secteur de l’assurance voyages.

Jugeant insuffisante la présence hors Québec de La Capitale, Jean St-Gelais veut accélérer le rythme. La répartition de ses affaires s’établissait à 79 % au Québec et à 21 % hors Québec en mai 2018. «Pour y parvenir, il faut avoir des équipes prêtes à s’investir, dit-il. Nous ne pouvons pas faire du développement hors Québec en restant dans la ville de Québec, installés au fond de nos bureaux. Il faut trouver des gens de confiance à l’extérieur du Québec et construire là-dessus.»

Pour financer ces différents projets, La Capitale n’envisage aucunement de modifier son statut de mutualiste. Jean St-Gelais rappelle que le mutualiste français Covéa détient 20 % du secteur de dommage de La Capitale. «Nous allons d’abord utiliser nos capitaux, et si des gestes en nécessitent davantage, nous ferons appel à notre partenaire, comme à des gros acteurs incontournables du Québec.»

Recevoir l’appel

Jean St-Gelais se considère comme chanceux d’avoir croisé La Capitale sur sa route. En 2014, décidé à prendre sa retraite du secteur public, il n’avait pas de plans précis en tête. «Je me disais : je vais partir, ça va se savoir et peut-être que des gens vont lever la main. Peut-être que je devrai déménager à Montréal ou à Ottawa, ou juste m’en tenir à ma pension et ç’aurait été correct aussi.»

Il n’a finalement pas eu à choisir. Il a reçu un coup de fil et a commencé à siéger au conseil d’administration à compter du printemps 2015. «La Capitale a des racines fortes avec l’administration publique. C’est donc une continuité un peu naturelle, même si les enjeux sont différents.»

Originaire d’Arvida, au Saguenay, Jean St-Gelais a grandi au sein d’une famille composée de cinq enfants, dont le père était entrepreneur en construction. «J’ai grandi dans une ville industrielle, j’ai joué au hockey, j’ai étudié et quand est venu le temps de l’université, ma branche, c’était l’économie. Alors je suis allé à Québec, parce qu’on ne l’enseignait pas à Chicoutimi.»

Son arrivée à l’université a marqué le début d’une longue carrière menée sur les chapeaux de roues. «J’y ai fait des rencontres qui ont certainement influencé le reste de ma carrière», dit-il sans détour. Il évoque Pierre Fortin, qui lui a suggéré d’aller voir «comment les choses se passaient à la Banque du Canada». Jean St-Gelais y a travaillé de 1982 à 1984, au service des recherches, avant d’aller faire sa maîtrise en sciences économiques à l’Université Queen’s, à Kingston, en Ontario.

Il a ensuite dû faire un choix. «Soit je retournais travailler pour le gouvernement fédéral, soit je poursuivais au doctorat. Cette année-là, ma femme complétait sa maîtrise en linguistique à l’Université Laval, alors nous vivions à distance. J’ai finalement opté pour un contrat de six mois comme contractuel au ministère des Finances à Québec, mais j’y suis resté 16 ans.»

Évoluant d’un poste à l’autre de 1985 à 2001, Jean St-Gelais a été nommé sous-ministre adjoint aux politiques fiscales et revenus budgétaires en 1996, puis sous-ministre associé aux politiques fiscales, budgétaires et aux institutions financières de 1998 à 2001 alors que Bernard Landry était ministre des Finances. Lorsque celui-ci est devenu premier ministre du Québec, en 2001, Jean St-Gelais a été nommé secrétaire général et greffier du Conseil exécutif. Une responsabilité importante qu’il a assumée une seconde fois, de 2012 à 2014, pendant le règne de Pauline Marois.

Entre ces deux mandats, le changement de gouvernement a permis à Jean St-Gelais de relever de multiples défis. Notamment à la tête de l’AMF, où il a passé sept ans, de 2004 à 2011.

«Jean est un gestionnaire exceptionnel qui a su diriger de main de maître l’Autorité des marchés financiers et aussi la nouvelle Agence du revenu. À l’Autorité, il a assuré le leadership du Québec à l’échelle du Canada tout entier», témoigne Raymond Bachand, qui a été ministre des Finances de 2009 à 2012.

«Le président de l’Autorité est et doit être indépendant et à distance du ministre des Finances. Dans le dossier constitutionnel de la tentative fédérale de créer une commission nationale des valeurs mobilières, les efforts et le leadership énergique de Jean St-Gelais ont été déterminants et centraux sur le plan des alliances créées à l’échelle du Canada et sur celui de la victoire du Québec en Cour suprême», ajoute Raymond Bachand.

Si le passage de Jean St-Gelais à la tête de l’AMF n’a pas été de tout repos, notamment en raison du dossier Norbourg, les moments marquants de son parcours ne manquent pas et sont diversifiés. Citons notamment la venue d’Ubisoft à Montréal, La paix des braves avec les Cris et la fusion des Bourses de Toronto et de Montréal.

«Il faut prendre un recul quand on est dans l’administration publique, que ce soit à l’AMF ou ailleurs. Lorsqu’il arrive des situations difficiles, il faut se demander quel est le meilleur geste à faire, malgré les critiques et pour notre réglementation future, comment le Québec peut-il se positionner, explique-t-il. C’est facile de sortir sur la place publique et déchirer sa chemise, mais je pense qu’aujourd’hui, l’AMF, sur le plan international, est très à l’avant-garde à plusieurs égards.»

Faisant le lien avec le secteur de l’assurance, il ajoute : «Faire évoluer les choses implique souvent de prendre des décisions difficiles, mais s’entêter à conserver des activités sans valeur ajoutée pour le client, ça ne sert personne. C’est sûr que ça bouleverse les façons de faire et les gens peuvent être inquiets, car il y a de l’incertitude, et c’est normal. Mais quand on travaille en toute transparence, que ce soit envers les contribuables, ceux qui sont réglementés ou les consommateurs, ça règle une grande partie des problèmes.»