bswei / 123rf

À ses clients désireux d’investir dans les entreprises qui ont de bonnes pratiques en matière d’environnement, Sylvain Denis, gestionnaire de portefeuille et conseiller en placement à la Financière Banque Nationale, conseille très rarement d’aller vers des fonds communs dits éthiques ou responsables.

«Je vais plutôt les orienter vers des titres d’entreprises dans le domaine des énergies renouvelables ou d’autres technologies vertes», dit-il, précisant cependant que ce type de placement présente un niveau de risque plus élevé, ces entreprises n’ayant souvent qu’un court historique sur lequel s’appuyer pour évaluer le rendement de leurs actions.

Il n’est pas le seul à préférer cette stratégie. Ces dernières années, en particulier au Canada, les fonds communs dits éthiques ont souvent été critiqués par les conseillers et leurs clients parce qu’ils incluent des entreprises des secteurs pétrolier et minier. Ces fonds utilisent une stratégie d’inclusion dite best in class, ou «meilleur du secteur», pour choisir les entreprises qui composent leur portefeuille. Voilà pourquoi des pétrolières et des minières s’y retrouvent. Au Canada, ces entreprises représentent plus du quart de l’indice composé TSX. S’en priver pourrait avoir des répercussions importantes sur le rendement de ces fonds.

Or, cette stratégie semble de moins en moins logique aux yeux de la jeune génération d’investisseurs, même quand il est question de rendement. «Nous ne sommes pas contre, c’est l’une des stratégies pour investir de façon responsable, mais nous avons des réticences envers les fonds communs», dit Yannick Prince, cofondateur du Club d’investissement responsable du Québec, un regroupement de jeunes investisseurs lancé en 2015 et qui compte à ce jour 70 membres.

Ces investisseurs, de jeunes professionnels pour la plupart, favorisent les titres individuels d’entreprises dont ils jugent qu’elles ont des retombées positives sur la société et l’environnement. Chaque titre suggéré par un membre est d’abord évalué par deux comités distincts, l’un analyse les pratiques de responsabilité sociale de l’entreprise et l’autre évalue son bilan financier.

L’un des critères qu’utilise le Club concerne les activités mêmes de l’entreprise : elles ne doivent pas aller à l’encontre des principes de développement durable. «Une pétrolière, aussi propre soit-elle, ne pourrait se qualifier», indique Yannick Prince. Voilà pourquoi les fonds communs éthiques offerts au Canada n’apparaissent pas sur le radar de ce club d’investisseurs.

La stratégie d’investissement du Club se rapproche de ce qu’on appelle l’«investissement d’impact», une stratégie qui consiste à investir dans des entreprises ou projets dont l’effet sur l’environnement et la société est positif et mesurable. À la différence du Club, toutefois, les investisseurs d’impact vont préférer des titres liés spécifiquement aux énergies renouvelables, à la gestion de l’eau ou des déchets, de même qu’aux technologies propres. De façon générale, de toutes les stratégies utilisées en investissement responsable (IR), l’investissement d’impact est celle qui affiche le plus fort taux de croissance depuis les dernières années.

Selon le «Global Sustainable Investment Review», la stratégie d’investissement d’impact a connu un taux de croissance de 123 % au Canada entre 2014 et 2016 pour atteindre un actif sous gestion de 6,7 G$. Mondialement, l’actif sous gestion dans ce type d’investissement a augmenté de 385 % ! Plus de 107 G$, toujours en actif sous gestion, sont investis selon cette approche dans les régions couvertes par l’étude, soit le Japon, l’Europe, le Canada, les États-Unis, l’Asie, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

En comparaison, les stratégies d’exclusion (armes, tabac, jeux de hasard) et d’inclusion de type meilleur du secteur, souvent favorisées par les fonds communs de placement, ont fait augmenter l’actif sous gestion de 25 % et 16 % respectivement. L’offre stagne également depuis quelques années, alors que des fonds naissent et d’autres meurent. Selon la plateforme Ethiquette, il y aurait quelque 60 fonds communs au Canada portant l’étiquette éthique ou responsable, alors qu’on en dénombrait environ 70 il y a cinq ans.

Historiquement, ces fonds ont joué un grand rôle pour sensibiliser le public à l’investissement responsable, mais aujourd’hui l’offre s’affine, constate Denis Dion, chef de produit, investissement responsable, Gestion de patrimoine Desjardins.

«De nouvelles stratégies apparaissent en complément, dit-il. À terme, il pourrait y avoir un décalage entre les investisseurs qui espèrent investir dans des produits purs, avec juste des entreprises parfaites, ce qui n’existe malheureusement pas, et ceux qui optent pour un produit offert selon une approche de meilleur du secteur.»

Ne pas jeter le bébé…

Bien sûr, pour acheter des titres individuels d’entreprises dans les technologies vertes, il faut une plus grande tolérance au risque et un portefeuille mieux garni. Ce type de placement s’adresse aussi à ceux pour qui le rendement n’est pas toujours l’unique critère à considérer ou encore qui investissent à long terme et peuvent se permettre un certain niveau de volatilité.

Il ne faudrait donc pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Toutes les stratégies sont bonnes et sont importantes pour avoir un impact sur la planète et améliorer les pratiques des entreprises, rappelle Brenda Plant, pionnière de l’IR au Québec et consultante en investissement responsable et d’impact chez Ellio, une firme de conseil spécialisée en développement durable.

Les fonds communs demeurent aussi une bonne solution pour les plus petits investisseurs qui n’ont pas accès à d’autres types de produits. «Et ce ne sont pas tous les fonds qui utilisent la stratégie du meilleur du secteur, tient à préciser Brenda Plant. Quand on investit dans un fonds de travailleurs comme Fondaction, qui a des critères précis en matière de retombées pour la société, c’est de l’investissement d’impact.»

Pour Denis Dion, l’approche du meilleur du secteur demeure valable, et peut parfois même être supérieure à une stratégie visant à n’inclure que des titres qui obtiennent de bonnes notes selon les critères de durabilité de certaines agences de notation. Tout dépend du degré d’engagement des investisseurs et des gestionnaires de ces fonds.

«Si l’on choisit une entreprise qui a peut-être une moins bonne note, mais avec l’intention de la pousser à s’améliorer, on joue mieux son rôle d’investisseur responsable qui si on prend seulement celles qui ont, en apparence, les meilleurs scores», souligne-t-il.

Selon lui, les critères sur lesquels s’appuient les agences de notation sont parfois moins sévères que ceux utilisés en industrie, ce qui crée des écarts entre ce que l’entreprise «a l’air de faire» et ce qu’elle fait en réalité. «Il faut creuser plus loin et ne pas juste se fier à ces agences de notation.» Il donne en exemple les données sur les émissions de gaz à effet de serre que celles-ci considèrent pour noter les entreprises : il ne s’agit souvent que d’estimations, qui s’éloignent des émissions réelles.

L’IR encore méconnu

Largement répandu maintenant – on le retrouve autant dans les fonds négociés en Bourse (FNB) que dans les titres obligataires ou les fonds distincts -, l’investissement responsable reste malgré tout méconnu et souffre encore de préjugés. Il n’arrive pas à faire une véritable percée du côté des investisseurs individuels et demeure plus populaire chez les investisseurs institutionnels.

Au Québec, comme le note une étude de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) publiée en 2016, la Caisse de dépôt et placement accapare à elle seule une part de 61 % de l’IR.

Le manque de connaissance des conseillers dans ce domaine est un frein, reconnaît Denis Dion. «Les conseillers ne maîtrisent pas assez le sujet, alors ils hésitent à en parler aux clients», dit-il. Chez Desjardins, on a décidé d’outiller les conseillers en matière d’IR en leur offrant un programme de formation sur les différents produits qui existent en fonction des différents profils d’investisseurs.

Selon un sondage SOM mené pour le compte de Desjardins en 2016, on peut expliquer en partie la faible pénétration de l’IR au Québec par le manque de connaissance à la fois des conseillers et du public.

Seulement 23 % des sondés avaient une bonne idée de ce qu’est l’IR ou savaient exactement de quoi il s’agissait (46 % si on inclut ceux à qui l’IR était familier sans qu’ils sachent exactement ce que c’est). Une très faible minorité (3 %) ont indiqué avoir demandé eux-mêmes à leur conseiller de leur en proposer, et 10 % ont mentionné que leur conseiller leur en a déjà offert.

Ce n’est toutefois pas l’intérêt qui manque. Une fois le concept de l’IR expliqué, 81 % des répondants disaient être assez ou très intéressés. Il n’est donc pas étonnant que, de façon générale, les gestionnaires de fonds soient aussi incités à intégrer les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) à l’ensemble de leur portefeuille.

«Le bassin d’entreprises dans lequel on peut piger est limité», souligne toutefois Rosalie Vendette, leader de pratique ESG chez Desjardins, qui rappelle que l’institution s’est engagée à réduire de 25 % l’empreinte carbone de ses portefeuilles d’ici 2020.

«Les autorités réglementaires au Canada exigent d’avoir des objectifs d’investissement spécifiques avec un univers de référence précis, ajoute Denis Dion. Nous sommes contraints de choisir des produits qui ont un mandat spécifique afin que l’investisseur sache dans quoi il investit.»

Il rappelle que décarboniser les placements est plus risqué sur le marché canadien, où le secteur de l’énergie représente 20 % de la valeur de l’indice composé S&P/TSX. «Ailleurs, le poids de ce secteur n’est que de 5 %. Cette stratégie n’a donc pas le même effet sur un portefeuille global. Le risque financier est moindre que pour l’investisseur canadien.»

Conformité

La conformité est-elle un autre frein à l’expansion de l’IR ? À une certaine époque, tenir compte d’enjeux non financiers pour évaluer le rendement d’une entreprise aurait pu aller à l’encontre du devoir fiduciaire des conseillers, mais les temps ont beaucoup changé, constate Denis Dion. «Aux États-Unis, on voit même la tendance se renverser. La loi considère maintenant que c’est le fait de ne pas tenir compte des critères ESG qui menace le devoir fiduciaire.»

Pour Brenda Plant, c’est tout un système qu’il faudrait revoir pour que l’IR prenne vraiment la place qui lui revient. «Le système de rémunération basé sur les commissions de suivi des conseillers ne les encourage pas à offrir ce genre de produits, car ils n’y voient pas d’intérêt», dit-elle.

Elle croit cependant que la croissance de la tarification à honoraires de même que la pression exercée par les robots-conseillers, qui offrent de plus en plus d’options en faveur de l’IR, pourraient changer la donne.

Les investisseurs ont aussi leur bout de chemin à faire. Le niveau de littératie financière peu élevé demeure un problème. Brenda Plant croit que les gouvernements auraient leur rôle à jouer pour éduquer la population et l’encourager à soutenir des entreprises locales et responsables.

De son côté, Yannick Prince constate que la peur de se priver de rendement persiste, malgré les études prouvant que l’investissement responsable permet d’obtenir un rendement équivalent, voire légèrement supérieur, à celui de placements qui n’appliquent aucun critère particulier lié à l’IR.

Devant les incrédules qui trouvent son club «bien cute» et qui pensent que ses membres sacrifient leur rendement pour changer le monde, ce jeune investisseur aime bien brandir les performances de son portefeuille : «Nous avons obtenu un rendement de 61 % depuis mai 2015, contre 3 % pour la Bourse de Toronto. On aime bien narguer le monde de la finance.»

Type de produit / Stratégies

Fonds communs de placement

Exclusion

Meilleur du secteur

Engagement des actionnaires

Fonds distincts

Exclusion

Meilleur du secteur

Engagement des actionnaires

Fonds négociés en Bourse

Meilleur du secteur

Exclusion (parfois)

Titres particuliers

Exclusion

Meilleur du secteur

Investissement d’impact

Titres obligataires particuliers

Meilleur du secteur

Investissement d’impact

Fonds ou offre d’investissement à impact

Investissement d’impact

Engagement des actionnaires (dans le cas de FNB à investissement d’impact)

Source : ethiquette.ca