Trois hommes d'affaires à une table qui réfléchissent ou semblent anéantis après une récession.
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Après 10 années de hausse depuis la crise financière qui a plongé l’économie mondiale dans une récession en 2008, nombreux sont ceux qui craignent une chute imminente de la croissance économique, voire une forte correction boursière.

Les comptes de courtage en gestion discrétionnaire subiront alors leur premier test, estime Richard Legault, président- fondateur de Phoenix Stratégies Conseils, une firme qui offre des conseils en planification stratégique, notamment auprès d’institutions financières.

La gestion discrétionnaire permet aux clients de déléguer la responsabilité des décisions de placement quotidiennes à un gestionnaire de portefeuille. Elle compte de plus en plus d’adeptes parmi les clients et les conseillers.

«La gestion discrétionnaire a connu un essor important au cours des dernières années. Comme les marchés boursiers ont aussi eu une période faste, cette approche fait le bonheur de tout le monde. Mais quand les marchés boursiers seront en chute libre, des clients mécontents de voir leur portefeuille perdre beaucoup de valeur pourraient contester des décisions prises par leurs conseillers qui travaillent en mode de gestion discrétionnaire», prévient Richard Legault, qui a été président d’iA Valeurs mobilières (iAVM) de 2012 à 2018.

«Les avocats spécialisés en litige pourraient faire de bonnes affaires», ajoute-t-il.

Transfert de responsabilité

Si le conseiller en placement devenu gestionnaire de portefeuille discrétionnaire bénéficie maintenant d’une plus grande autonomie pour acheter ou vendre des titres sans l’autorisation du client, il doit aussi comprendre que «cette latitude et ce gain d’efficacité se traduisent par un transfert de responsabilité qui n’est pas sans risque. Un risque qui pourrait être sous-estimé», pense Richard Legault.

Denis Gauthier, premier vice-président et directeur national de la Financière Banque Nationale – Gestion de patrimoine, affirme être bien conscient de ces risques. Mais, «comme le travail est bien fait, en amont et en continu, on ne s’y expose pas beaucoup», dit-il.

Richard Rousseau, vice- président principal du Groupe gestion privée chez Raymond James, ne s’en inquiète pas non plus. «La gestion discrétionnaire, ce n’est pas une excuse pour ne plus parler à ses clients, bien au contraire. Le conseiller devenu gestionnaire de portefeuille doit maintenir les discussions, qui doivent même déborder du cadre transactionnel, pour avoir une vue plus globale de l’ensemble de la situation financière de ses clients», explique-t-il.

La firme Raymond James compte quelque 160 conseillers en gestion discrétionnaire, qui gèrent des actifs de près de 9 G$, soit environ le quart de l’ensemble de ses actifs sous gestion.

La Financière Banque Nationale (FBN) cumule pour sa part plus de 30 G$ d’actifs en gestion discrétionnaire, soit deux fois plus qu’il y a cinq ans. Cela représente près de 30 % de l’ensemble de ses quelque 100 G$ d’actifs sous gestion. Parmi les 840 conseillers en placement de la FBN, environ 400 sont spécialisés en gestion discrétionnaire, par rapport à 175 il y a cinq ans.

La FBN rappelle que ses conseillers en placement et ses gestionnaires de portefeuille ont une politique de placement à long terme et ne font pas d’anticipation de marché (market timing). Cependant, «nous sommes bien conscients d’être à un stade avancé du long cycle économique et boursier, et que des décisions de placement sont prises en conséquence», indique Pierre-Éloi Laurin, gestionnaire de portefeuille en chef à la FBN.

Bien connaître ses clients

Les conseillers peuvent donc être appelés à se tourner vers des placements jugés plus défensifs, en ayant par exemple moins de titres à plus haut risque ou en misant davantage sur des valeurs sûres (blue chips) et des obligations. Cette tendance sera d’autant plus forte si leurs clients sont craintifs.

Nos intervenants rappellent d’ailleurs à quel point il est important de bien connaître la situation des clients et leurs objectifs de placement. «On ne se retrouvera pas dans une situation où le portefeuille d’un client ne répond pas à son profil d’investisseur ou à sa situation financière», assure Richard Rousseau.

Denis Gauthier fait écho à ces propos : «Les conseillers doivent s’enquérir de la situation des clients et de leur tolérance au risque, qui évoluent avec le temps. Quand ce travail est fait en continu, il y a peu de risque de dérapage, peu importe où nous en sommes dans le cycle économique.»

La FBN voit aussi à ce que le conseiller soit appuyé et suivi par un comité de supervision des gestionnaires de portefeuille. L’objectif est de s’assurer, sur une base régulière, du respect des paramètres de la politique de placement et de la convenance des titres détenus. Ce comité «travaille en étroite collaboration avec le service de conformité», précise Pierre-Éloi Laurin.

Tolérance bien évaluée ?

Malgré toutes ces mesures de précaution et de protection, les firmes ne sont pas à l’abri des risques, pense Richard Legault. «Même s’il existe des politiques de placement, il arrive dans certains cas que les objectifs ou la tolérance au risque se résument à quelques paragraphes. C’est trop sommaire et ça peut causer des problèmes», craint-il.

Autre facteur à considérer : la tolérance au risque est trop souvent évaluée à l’aide d’un simple questionnaire. L’évaluation est alors faite de manière essentiellement quantitative, en tenant compte notamment de l’horizon de placement, de l’âge ou de la situation financière du client.

«Ce questionnaire peut difficilement évaluer l’aspect humain et comportemental d’un client, comme son degré d’anxié- té. Un investisseur pourrait contester l’évaluation de sa tolérance au risque en affirmant que son conseiller a pris plus de risques que ce à quoi il s’attendait», affirme Richard Legault.

D’autant plus qu’un investisseur peut facilement prétendre avoir une forte tolérance au risque quand il n’a pas encore été confronté à une importante correction boursière, ajoute-t-il.

Pour éviter d’éventuels litiges et mettre toutes les chances de leur côté, «les gestionnaires de portefeuille discrétionnaire doivent bien connaître leurs clients, en tout temps, et s’assurer de documenter le plus possible cette relation», suggère Richard Legault. Il conseille même de noter les détails, les dates et les lieux des discussions ou des rencontres avec les clients.

De même, ajoute-t-il, les services de conformité ont tout intérêt à recenser les dossiers de gestion discrétionnaire pour s’assurer que des politiques de placement conformes et complètes couvrent bel et bien tous les aspects nécessaires, et qu’elles ont été approuvées par le client.

Sinon, qui sait ce qui arrivera lors de la prochaine correction boursière ?